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2020, un été aux « mer-frontières » européennes

31 août 2020

Un été de plus où les Etats, de chaque côté des frontières maritimes de l’Union européenne (UE), violent le droit, tentent de le contourner ou encore de l’entraver et jouent avec la vie de milliers de personnes. Un été de plus à compter les pertes en vie humaines et les disparitions en mer. Un été de plus que les mobilisations solidaires en mer, sur terre et dans les airs s’échinent à dénoncer les violations du droit et demander son respect.
2020, un été aux frontières maritimes européennes…

L’année 2020, une année moins meurtrière en mer ?

Tandis que les opérations de secours et de sauvetage ont été réduites à néant sur certaines périodes de l’été, les pratiques illégales des Etats en mer ont perduré et évolué : privatisation des « push backs », non-assistance à personne en danger, « hotspots flottants », refoulement par procuration, etc. Depuis le début de l’année, 483 personnes ayant perdu la vie en Méditerranée ont été recensées. Sur les huit premiers mois de l’année, ce serait une personne sur 68 qui perdrait la vie en passant par cette route contre une personne sur 16 en 2019 sur l’année entière. L’année 2020, une année moins meurtrière ?

Rien n’est malheureusement moins sûr…Pour la cinquième année consécutive, les arrivées par voie maritime sont en baisse, tout comme le nombre de personnes décédées recensées en Méditerranée. Toutefois, regarder uniquement ces chiffres pourrait induire en erreur. De nombreuses personnes ont également disparu en mer sans être comptabilisées dans les chiffres officiels. Lorsqu’un corps sans vie est repéré dans les eaux, il n’est pas nécessairement récupéré pour être identifié et ramené à ses proches. Ce fût le cas en juillet 2020 où, pendant trois semaines et malgré les multiples interpellations de l’ONG Seawatch, l’Italie, Malte et la Libye ont laissé le corps d’une personne décédée dériver en mer. Il arrive également que nous n’ayons pas connaissance de certains naufrages, et que des personnes disparaissent dans l’ignorance totale. Les personnes sont également retenues en amont de la frontière maritime. Avec ses partenaires nigériens et libyens, l’UE et ses États, à coups de millions d’euros, entravent les parcours des exilés, qui empruntent des routes toujours plus longues et plus dangereuses. Ainsi, des personnes disparaissent dans le désert du Sahara nigérien où aucune donnée officielle n’est collectée à ce jour. Bien au-delà des chiffres affichés, il faudrait donc ajouter toutes celles et tous ceux dont on ne saura jamais ce qu’elles et ils sont devenues.

En méditerranée centrale, à la frontière euro-africaine

Sauvetage en mer : violation du droit international maritime et entrave à la solidarité

En 2020, l’Etat italien a continué d’empêcher l’intervention des ONG solidaires en mer. Sous couvert de la crise COVID 19, il a (comme Malte) déclaré ses ports « non sûrs », empêchant de fait le débarquement des personnes rescapées par les ONG solidaires en mer ou en le ralentissant.

Les autorités maltaises et italiennes ont maintenu des personnes qui avaient été secourues dans leurs zones de recherche et de sauvetage sur des bateaux privés, qu’elles ont affrétés et fait stationner en dehors de leurs eaux territoriales, dans l’attente que d’autres Etats européens acceptent de les accueillir. Ainsi, des personnes interceptées en mer ont été parquées sur des « hotspots flottants » en dehors de tout cadre légal, pour une période indéterminée et sans information sur leur devenir, parfois pendant plusieurs semaines.

Le 22 juillet, le gouvernement italien a saisi le bateau de l’ONG SOS Méditerranée pour « irrégularités techniques et opérationnelles ». Celui-ci demeure jusqu’alors bloqué à quai, en Sicile. Les ONGs de secours et sauvetage se mobilisent et s’efforcent de rappeler aux États européens leurs obligations au regard du droit international, même en période de COVID 19.

La société civile fait également front commun en mettant en place une coalition contre les violences à la frontière orientale ou encore en demandant à l’UE de cesser toute coopération avec la Libye.

Le contournement du droit : la zone SAR libyenne, un prétexte pour les européen.ne.s

La Libye s’est dotée, depuis décembre 2017, d’une zone de recherches et de sauvetage (zone SAR), lui permettant – au regard du droit international maritime – d’y intervenir en cas de besoin de sauvetage.

Cette zone SAR, critiquée par la société civile, est par ailleurs utilisée comme prétexte par les Etats européens frontaliers comme l’Italie ou Malte, pour ne plus répondre aux appels des embarcations en détresse et de leurs soutiens, au motif que les opérations de secours et sauvetage seraient assurées par les autorités libyennes dans ladite zone. C’est ainsi que nous sommes passé·e·s de la pratique de « push backs » – renvoyer des personnes depuis les eaux internationales vers la Lybie- aux pratiques de « pull back » qui consistent pour l’Union européenne et ses Etats, via leurs systèmes de surveillance aérienne notamment, à prévenir les gardes côtes libyens de la présence d’un bateau dans leur zone SAR afin qu’ils se chargent de l’intercepter et de le ramener sur leurs côtes. Autrement dit, des « push back par procuration ».

De nombreux bateaux ont été arrêtés et les personnes à bord ramenées systématiquement dans les camps fermés libyens. Le 17 juillet, trois ressortissants soudanais ont été tués par balle au moment de leur débarquement en Libye après un pull back. La veille, l’Italie renouvelait sa confiance à la Libye, avec accord du parlement, en signant pour trois ans supplémentaires le Mémorandum d’entente avec la Libye pour contrer l’immigration illégale ».

En mer Egée, à la frontière gréco-turque

A la frontière maritime orientale, depuis mars 2020, la Grèce aurait laissé plus d’un millier de personnes à la dérive, souvent sur des canots pneumatiques surchargés, sans intervention des gardes côtes, selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). En parallèle, les rapports et les témoignages indiquant que des hommes, des femmes et des enfants pourraient avoir été renvoyés en Turquie immédiatement après avoir atteint le sol ou les eaux territoriales grecques au cours des derniers mois se multiplient. Interrogé à ce sujet par le député Andrej Hunko (Die Linke), le gouvernement allemand a affirmé qu’un de ses navires le Berlin – opérant dans la zone dans le cadre des opérations de surveillance coordonnées par Frontex – avait effectivement observé et documenté au moins trois cas de refoulements de ce type.

Dans la Manche, à la frontière franco-britannique

Sur le littoral franco-britannique, tandis que la situation humanitaire des personnes exilées n’a cessé de se détériorer depuis le début de l’été et malgré l’arsenal de dispositif de contrôle et de surveillance déployé (patrouilles de la Gendarmerie, drones, motos tout-terrain, hélicoptères et caméras de vision nocturne), les tentatives de passage en canots observés depuis fin 2018 se sont multipliées. Ces tentatives sont particulièrement périlleuses à cause des courants et de l’intense circulation de navires géants dans le détroit du Pas-de-Calais, véritable autoroute de la mer. La découverte macabre sur une plage de Sangatte (Pas-de-Calais), ce 19 août 2020, du corps inanimé d’Abdulfatah Hamdallah, un exilé soudanais originaire du Kordofan occidental, après avoir tenté de traverser le détroit à bord d’une embarcation de fortune est un rappel criant de la violence de cette « mer-frontière ». Face à ces drames, les gouvernements français et britannique entendent tout mettre en œuvre pour « rendre la Manche impraticable pour les traversées de petites embarcations » et redoubler d’efforts pour lutter contre les « passeurs qui profitent de la détresse d’êtres humains ». Une politique loin d’être nouvelle.

A cette frontière comme aux autres frontières européennes, en accusant les passeurs d’être responsables de ces drames, les décideurs politiques détournent l’attention des causes structurelles à l’origine de ce phénomène. C’est bien le durcissement de la règlementation et la sophistication des contrôles aux frontières, rendant l’accès toujours plus difficile, qui est à l’origine du développement d’un « business » du passage clandestin. En multipliant les obstacles pour rejoindre leur territoire, les gouvernements européens contraignent les exilés à faire appel à des passeurs et à s’exposer à l’exploitation des trafiquants, se rendant ainsi complices, sinon les responsables, des tragédies migratoires.

Le sauvetage en mer demeure aujourd’hui vital aux frontières maritimes européennes tant que les politiques migratoires ne changeront pas

Il est par ailleurs une obligation au regard du droit maritime international. L’empêcher ou participer à des actions qui permettent de l’éviter, c’est se rendre responsable de la disparation et de la mort de personnes ou encore complices des actes de tortures ou traitements inhumains et dégradants que les personnes subiront de retour dans le pays qu’elles fuient, notamment en Libye. L’Union européenne, ses États ainsi que les États coopérant doivent cesser cette politique du laisser mourir !

Alors que la Commission européenne doit présenter son nouveau « pacte européen sur l’asile et les migrations » le 23 septembre, il est urgent que les Etats européens changent de cap et construisent de nouvelles politiques ambitieuses et respectueuses du droit international maritime pour que les « mers-frontières » ne tuent plus !

 

Sources 

UNHCR, Mediterranean situation 

UNHCR, Europe : Dead and missing at sea, January 2018 – December 2019

UNHCR Regional Bureau for Europe, Data and trends : arrivals and displaced populations, July 2020

UNHCR concerned by pushback reports, calls for protection of refugees and asylum-seekers, 21.08.20

Le HCR appelle la Grèce à enquêter sur les refoulements aux frontières maritimes et terrestres avec la Turquie, 12.06.20

 

Photographie : Sauvetage par SOS Méditerranée dans les eaux internationales au large de la Libye, octobre 2017. © Anthony Jean

 

Auteur: Pôle Europe et International

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