Dans les coulisses d’Exils, son et lumière d’exception
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Aurore Maruszyczak a été stagiaire Europe à la Cimade d’avril à septembre 2022. Dans le cadre de ses missions et de son mémoire de recherche, elle a notamment été amenée à travailler sur les risques d’expulsion « par ricochet » auxquels sont exposées les personnes ciblées par un transfert Dublin depuis la France.
Le renvoi « par ricochet », aussi appelée expulsion « en chaîne » ou « en cascade », correspond au double renvoi que risque de subir une personne exilée, d’abord depuis l’Etat européen dans lequel elle souhaite déposer sa demande d’asile vers un autre Etat européen considéré responsable de sa demande d’asile en application du règlement Dublin, puis depuis cet Etat européen vers son pays d’origine où elle risque de subir des traitements inhumains et dégradants, en violation du droit international.
Prenons un exemple concret : avant la prise de Kaboul par les Talibans en août 2021, lorsqu’une personne afghane était transférée par un Etat européen vers la Suède en application du règlement Dublin, et que sa demande d’asile avait déjà été rejetée par ce pays, les autorités suédoises avaient pour pratique de l’enfermer en centre de rétention en vue de programmer son expulsion vers Kaboul : voir l’actualité publiée sur le site de La Cimade Dubliner en Suède, une antichambre des expulsions vers l’Afghanistan, 24 mai 2018. (Nota bene : Depuis la prise de Kaboul la prise des Talibans en août 2021, la Suède a cessé d’expulser vers ce pays.)
Plusieurs juridictions françaises ont reconnu ce risque d’expulsion « par ricochet » et ainsi annulé des transferts Dublin. Dans plusieurs décisions, elles ont enjoint la France à étudier la demande d’asile de la personne menacée d’expulsion vers l’Allemagne ou encore la Suède, soulignant l’incapacité des autorités françaises à garantir que la personne ne sera pas ensuite expulsée vers son pays d’origine[1].
La prise en compte de ce risque d’expulsion « par ricochet » est plaidée par les associations de défense des personnes migrantes qui ont conscience des risques encourus par les personnes concernées. A l’inverse, la plausibilité de ce risque par ricochet est souvent remise en cause par les préfectures et juridictions, qui estiment n’avoir aucune responsabilité dans un éventuel renvoi vers le pays d’origine par un autre Etat européen. Or reconnaître qu’il y a un risque de renvoi par ricochet revient à dire qu’on ne peut pas expulser une personne vers un autre Etat membre de l’Union européenne et qu’il faudrait donc activer la clause de souveraineté afin que la France devienne responsable de cette demande d’asile. Lorsque des juridictions constatent qu’il existe un risque de renvoi par ricochet, leurs décisions font souvent l’objet d’un appel formé par le préfet et finissent par être annulées. Ce cas de figure s’est par exemple présenté en 2017, lorsque le tribunal administratif de Toulouse a annulé, en première instance[2], l’arrêté de transfert d’un homme de nationalité afghane vers la Suède. A la suite de cela, le préfet de la Haute-Garonne a fait appel de cette décision afin que le transfert soit maintenu.
Le principal obstacle à la reconnaissance d’un tel renvoi est le postulat de base sur lequel se fondent les juridictions françaises face à ce genre de situations : les craintes du demandeur d’asile d’un renvoi par ricochet doivent être présumées non-fondées[3]. Cette position du Conseil d’Etat est très claire et fortement défavorable à une protection des personnes demanderesses d’asile qui exprimeraient des craintes lors d’un transfert Dublin. Si la plus haute juridiction administrative française se positionne de la sorte c’est notamment parce qu’elle considère que tous les Etats membres de l’Union européenne ont un niveau égal de protection des droits de l’homme. Or, la condamnation de la Grèce en 2011 par la Cour européenne des droits de l’homme[4] pour ses défaillances systémiques de traitement et d’accueil de l’asile prouve le contraire. Tous les Etats de l’Union européenne ne garantissent pas le même niveau de protection des droits de l’homme. C’est pourquoi dans un arrêt du 14 mars 2017, Ilias & Ahmed c. Hongrie, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé qu’il était nécessaire de systématiquement procéder à un examen approfondi de la demande d’asile de la personne afin de s’assurer que les garanties offertes par le pays responsable de l’examen de sa demande d’asile lui permettront d’accéder à une « procédure d’asile adéquate qui la protège contre le refoulement[5] ». Cet examen doit avoir lieu malgré la présomption d’égales garanties de protection des droits de l’homme entre les Etats membres. Le principe de confiance mutuelle, principe fondamental en droit de l’Union européenne, ne doit pas aveugler les Etats et les dispenser de s’assurer du respect des droits de l’homme dans les autres Etats membres.
[1] La Cimade, Rapport d’observation : Dublin, la machine infernale de l’asile européen, avril 2019 (p. 51).
[2] Jugement du 27 novembre 2017 du Tribunal administratif de Toulouse, n°1705421.
[3] Conseil d’Etat – 2ème – 7ème chambre réunies, 28 mai 2021, requête n°447956, par.3.
[4] Cour EDH, Gde ch., 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, requête n° 30696/09
[5] Cour EDH, Gde ch., 14 mars 2017, Ilias & Ahmed c. Hongrie, requête n ° 47287/15, p.134.
Auteur: Pôle Europe et International
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