Il est des coupables qui viennent de loin et qui n’ont pas toujours de visage, ni même d’arme pour tuer. Ici, la plateforme de dématérialisation ANEF, gérée par le ministère de l’Intérieur, et la Préfecture du Nord ont mis plus d’un an à fournir à Fatima, 26 ans, sa carte de résidente de réfugiée, indispensable pour circuler, travailler et bénéficier des droits sociaux reconnus aux personnes réfugiées. Un an à faire la sourde oreille aux interpellations de tous les travailleurs sociaux, un an à se renvoyer la balle, jusqu’à conduire Fatima à une précarité extrême telle que sa fille Fanta, âgée d’à peine 3 mois, n’y survivra pas.
Comment en est-on arrivé là ?
Le 28 juillet 2022, Fatima dépose une demande de carte de résident, soit une carte d’une durée de dix ans, devant être légalement délivrée dans les trois mois qui suivent la demande par la personne reconnue réfugiée. Cette demande se fait désormais par la plateforme dématérialisée ANEF dépendante du ministère de l’intérieur, qui dysfonctionne notoirement. Il y est mis à disposition de Fatima, une attestation de dépôt, valable jusqu’en janvier 2023, qui justifie de son séjour régulier sur le territoire, lui ouvrant le droit au travail et aux prestations sociales. En février 2023, en l’absence de délivrance de sa carte de résidence, elle en sollicite le renouvellement. Aucun retour ne lui est fait. Le RSA et les allocations familiales ne lui sont plus versées. Se constituent une dette locative et une dette auprès d’EDF. Fatima vit seule avec ses deux fils, âgés de quatre et deux ans. Elle est enceinte. Deux jours après la naissance de sa fille, le 31 juillet 2023, l’électricité lui est drastiquement réduite.
Sans ressources, Fatima est contrainte de mendier. Ce n’est que suite à un recours au Tribunal administratif en octobre, qu’une attestation lui est enfin délivrée. Elle lui permet de récupérer une partie de ses droits sociaux.
La décision intervient néanmoins trop tard. Fatima tente de résorber sa dette, sans succès. La veille du drame, elle appelle EDF, explique sa situation. Le service clients lui assure que le courant va être remis dans la soirée, au vu du froid. Cela ne viendra jamais. Dans la nuit du 3 au 4 novembre 2023, le froid se faisant mordant. Fatima, inquiète de l’usage de charbon en intérieur, se voit pourtant contrainte d’y recourir. A cinq heures, elle se réveille prise de vertiges. Son nourrisson a largement vomi et ne répond pas. Elle appelle les urgences. Les secours arrivent et ne parviendront pas à réanimer le nourrisson. Fanta est enterrée trois jours plus tard, au cimetière d’Armentières.
« À ma connaissance, c’est la première fois que la dématérialisation des demandes de titre de séjour tue », s’exclame l’avocate de la famille, Me Fortunato. Toutefois, face à l’incurie de la Préfecture, de plus en plus désengagée vis-à-vis des usagers avec la dématérialisation, il est à craindre que ce drame en appelle d’autres.
Signataires : APU Fives, APU Moulins, APU Vieux-Lille, Le Comité des sans papiers 59, le Syndicat des avocats de France, SOLIPAM, Médecins du Monde, La Cimade Hauts de France, le Secours Catholique, Médecins du Monde, La Ligue des Droits de l’Homme, Le Collectif Galois, Chez Violette, Utopia 56, UD CGT 59, Avocats défense des étrangers (ADDE), le Groupe d’Information et de Soutiens des Immigré·e·s (GISTI)
Cette marche blanche sera précédée d’une conférence de presse le 30 janvier à 14 heures à la Bourse du Travail de Lille, en présence des signataires, d’avocats et de Fatima, la mère de Fanta. Plusieurs autres témoignages de personnes concernées sont prévues.