Pour celles qui ont obtenu un titre de séjour suite à leur mariage, elles devront, pour le renouveler, prouver que la rupture de la vie commune a été rompue en raison des violences conjugales. Pour celles qui ont été exploitées, seule une coopération avec les autorités policières leur permettra d’obtenir le droit de rester sur le territoire. Pour celles qui fuient des persécutions liées au genre dans leur pays d’origine, il faudra raconter l’excision, les viols, la réduction en servitude, le mariage forcé.
Raconter encore et encore et prouver l’horreur subie. Dans tous les cas, si leur histoire et les persécutions subies ne sont pas considérées comme vraisemblables et précises, elles ne seront pas protégées. Et pour ne pas avoir réussi à convaincre les autorités de ces violences, le couperet est aussi terrible, ce sera l’obligation de quitter le territoire français. S’ensuit alors une spirale infernale : perte de droit au séjour puis de leur emploi, impossibilité de payer le loyer, le difficile accès aux soins et à un avocat pour divorcer, le parcours du combattant pour obtenir un hébergement d’urgence, la rue.
Ces femmes victimes de violences sont d’abord considérées comme étrangères. Dans un pays qui prendrait en compte les violences sous toutes leurs formes, les victimes devraient être immédiatement protégées quand elles appellent à l’aide. Mais c’est loin d’être le cas. Pire, en 2023, des femmes ayant appelé la police à l’aide ont été placées en garde à vue puis en centre de rétention.
🟣 Actualités
✍ Aujourd’hui, en France, les femmes migrantes victimes de violences ne sont pas protégées, ni même écoutées ou encore crues. Il est temps d’agir, nous avons besoin de vous !
Signez notre pétition : https://www.lacimade.org/agir/petitions-appel/pour-les-droits-des-femmes-migrantes-victimes-de-violences-mobilisons-nous/
📣 Donnons-nous rendez-vous le 23 novembre prochain, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, pour manifester notre soutien pour toutes les victimes, y compris les femmes étrangères sans titre de séjour en France, et exiger pour toutes sans distinction plus d’égalité, de justice et de protection.
🟣 Des femmes prennent la parole, dénoncent et revendiquent leurs droits
Quinze femmes se sont retrouvées au centre Frantz Fanon, à Montpellier, accompagnée par la photographe Fatoumata Diabaté[1], pendant 2 jours. De cet atelier, elles ont mis en avant l’exploitation de leur personne, la violence à raconter leur histoire, la violence du parcours d’exil, les violences suivies (l’excision, les mariages forcés et précoces, les violences conjugales, la manipulation de la femme et l’obligation de la conformer à la place à laquelle la société l’assigne). Elles ont aussi parlé de l’absence de droits et de la violence du rejet et des conditions du non accueil en France.
Retrouvez l’ensemble des photographies de l’atelier des femmes fortes
Ces femmes, comme des milliers d’autres, ont envie de se faire entendre ; elles nous partagent leurs réflexions en image. Elles seront dans la rue ce 25 novembre 2023.
🟣 Décryptage
Il aura fallu attendre 2003 pour que la situation des personnes étrangères victimes de violences soient prises en compte dans la loi qui régit le droit au séjour des personnes étrangères en France. Depuis, les textes ont commencé à considérer la situation des personnes étrangères victimes de violences conjugales ou familiales, des mariages forcés ou des situations de traite des êtres humains sous ses différentes formes. Leur application n’est cependant pas systématique et la loi reste encore insuffisante pour permettre à ces personnes d’une part, d’être efficacement protégées et d’autre part, d’accéder effectivement à leurs droits.
En 2022, selon les estimations du ministère de l’intérieur, 145 cartes de séjour ont été délivrées pour les bénéficiaires d’une ordonnance de protection et 155 pour les victimes de traite. Ces chiffres sont bien loin de correspondre à la réalité des violences. Or, sans titre de séjour, il est extrêmement difficile de bénéficier effectivement d’une protection, d’ester devant un tribunal, d’être représentées et défendues par un avocat, de pouvoir divorcer, d’accéder à un hébergement, à un accompagnement social et médical ou encore à la reconnaissance des violences subies ; autant d’éléments nécessaires pour favoriser leur autonomie, leur reconstruction mais aussi leur insertion sur le territoire français.
En France, en 2023, seules les personnes victimes de violences conjugales ou familiales et les victimes de traite des êtres humains peuvent obtenir un titre de séjour. Une personne étrangère victime de viol par exemple n’est pas protégée et ne pourra pas se maintenir en France quand bien même elle se serait constituée partie civile. L’auteur aura alors peu de risque d’être inquiété, les instructions sans victimes ou témoins aboutissant rarement.
Les obstacles pour obtenir ce titre sont fréquent : difficulté de porter plainte, exigences abusives de preuves de violences, impossibilité d’obtenir un rendez-vous en préfecture, délais très longs, remise en cause des violences, etc.
Pour les victimes de violences liées au genre qui sont dans l’impossibilité de revenir dans leur pays, l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) se limitent à accorder des protections subsidiaires ou, plus rarement, des statuts de réfugié.e.s sur le seul motif de “l’appartenance à un groupe social” plutôt qu’à travers le prisme du genre. Pour obtenir une protection, encore faut-il arriver à convaincre des persécutions, aussi est-il trop souvent exigé de ces femmes de parler des violences, de viols, de leur excision, des violences subies dans le cadre d’un mariage forcé ou suite à la découverte de leur orientation sexuelle. Parler de l’intime n’est pas anodin et on ne peut pas attendre de ces femmes qu’elles racontent toutes ces violences et traumatismes de manière si précise… C’est pourtant ce qui leur est demandé !
🟣 Qu’est-ce que la double violence ?
Pour les femmes étrangères, une violence peut en cacher une autre. Aux violences qu’elles peuvent subir en tant que femmes – dans leur pays d’origine, pendant leur exil ou en France – s’ajoute trop souvent la violence de l’administration française parce qu’elles sont étrangères
🟣 La Cimade revendique
- Que les personnes victimes de violences, quelles que soient les violences subies et la situation de l’auteur, puissent accéder à un droit au séjour stable et pérenne ;
- Un droit d’asile pour les personnes victimes de persécutions liées au genre qui ne soit pas seulement accordé au motif de l’appartenance à un certain groupe social mais aussi sous le prisme, par exemple, des opinions politiques ;
- Que les personnes victimes de violences puissent porter plainte sans aucune crainte et que tous les acteurs judiciaires soient formés ;
- Le droit d’être hébergé·e et mis·e à l’abri quel que soit son statut administratif, tout comme le droit de bénéficier d’un suivi social, de divorcer ou d’obtenir réparation pour les faits subis.
- La Cimade appelle à une véritable politique de lutte contre les violences faites aux femmes digne et respectueuse de toutes les femmes, sans condition d’origine, de nationalité, de statut administratif.
🟣 Ressources utiles pour aller plus loin
- Un guide ‘comment mieux accompagner les personnes étrangères victimes de violences » guide en version papier et téléchargeable ici
- Le petit guide ‘conjuguer la migration au féminin’ : c’est ici
- Le guide pratique « mieux comprendre la traite des êtres humains » c’est par là
- Action de la Cimade en novembre 2018 : c’est ici et si on déroule la page jusqu’en bas pour voir la vidéo et écouter les 3 minutes de condensé des réponses des policiers et gendarmes à notre testing dans les commissariats
- Le court métrage « ni une ni deux » d’une durée de 20 minutes : c’est là
- Et un des photos montages de Vali, réalisé dans le cadre de la campagne Ni une ni deux mettons fin à la double violence : j’ai vécu, j’ai réussi (ici)
- Les dernières publications et actualités concernant la situation des personnes étrangères victimes de violences
[1] Fatoumata DIABATE est une photographe malienne vivant et travaillant entre Montpellier et Bamako. Portraitiste, photographe humaniste et sociale, ses images ont pour sujet principal les femmes et les jeunes générations au Mali. La tradition orale, les croyances, la question de la transmission sont au cœur de son travail qui a fait l’objet de plusieurs expositions au Mali, en France et à l’international.
Présidente de l’Association des Femmes Photographes du Mali, lauréate de la résidence photographique du Musée du Quai Branly en 2020 et lauréate lors des Grands Prix du Jury et du Public de l’édition 2023 des Boutographies à Montpellier, Fatoumata DIABATE développe actuellement le projet de Galerie Œil de Femmes gérée par l’association Moussogniè, espace culturel dédié à la découverte de l’art contemporain africain, avec une attention particulière portée à la photographie africaine, mais également lieu de conférences, d’ateliers et de rencontres visant à la promotion de la diversité artistique africaine et des échanges culturels internationaux ainsi que l’émergence de nouveaux talents.