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Assez : les femmes étrangères aussi doivent être protégées !

25 novembre 2023

Dans une tribune publiée dans Le Monde ce samedi 25 novembre 2023, plus d’une vingtaine d’organisations appellent à un véritable tournant pour lutter contre les violences et réellement protéger toutes les femmes.

Des millions de femmes à travers le monde dénoncent les violences. D’autres, contraintes au silence ne peuvent témoigner des horreurs subies. C’est le cas pour un certain nombre de femmes étrangères en France, qui par peur de l’expulsion, se taisent. Ce 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, les organisations signataires de cette tribune appellent à un véritable tournant pour lutter contre les violences et réellement protéger toutes les femmes. Nos institutions se doivent de réagir. Immédiatement.

L’iceberg de l’horreur : des violences massives pourtant minimisées

En France, 213 000 femmes ont déclaré en 2019 être victimes de violences physiques ou sexuelles, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes. 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentatives de viol chaque année. Ces violences concernent toutes les femmes, quelle que soit leur catégorie sociale, leur nationalité, leur âge. Elles peuvent prendre différentes formes et être subies au sein de la sphère familiale, mais aussi dans des relations sociales, dans la rue, au travail, n’importe où, tout le temps. La violence de genre est omniprésente, étouffante. Ces violences se déroulent dans l’intimité mais ne sont pas d’ordre privé : c’est l’affaire de tout le monde, à commencer par celle de la puissance publique.

Les femmes étrangères, comme toutes les femmes, peuvent être confrontées à des violences, dont certaines bien spécifiques. Majoritaires, elles représentent 52 % de la population migrante, d’après l’Institut national d’études démographiques, et leur condition de femme les expose à des violences systémiques et répétitives, du départ à l’arrivée dans le pays de destination. Certaines, torturées, emprisonnées, exploitées, violées dans leur pays, d’autres victimes de sévices de toute sorte pendant leur parcours migratoire ou bien en France. Et une fois en Europe, les violences ne s’arrêtent pas. De récents articles ont mis en lumière tous ces phénomènes. La réponse aux constats, aux alertes, aux dénonciations de l’innommable ? Le silence affligeant des pouvoirs publics.

Nos organisations reçoivent des femmes qui ont vécu des violences sexuelles et sexistes, des violences conjugales ou familiales, ou encore l’excision, un mariage forcé, l’esclavage en France. Comment améliorer leur protection ? Car c’est bien de cela dont il s’agit : protéger ces personnes et ne pas s’arrêter au seul fait « qu’elles n’ont pas vocation à rester sur le territoire français », comme on a pu l’entendre en préfecture ou en commissariat. Ne rien « pouvoir faire étant donné leur situation administrative » n’est pas une fatalité, mais le choix délibéré de l’inaction.

En refusant de tenir compte de ces violences, en refusant de les croire, de les accueillir, une autre violence est exercée, et cette fois-ci, émanant de nos institutions.

Un arsenal juridique détourné

Un certain nombre de dispositions législatives garantissant des droits à des personnes étrangères victimes de violences ont été obtenues au cours des dernières années : certaines peuvent demander l’asile, d’autres, victimes de traite des êtres humains doivent bénéficier d’une carte de séjour si elles déposent plainte et prouvent leur distanciation avec l’exploitant·e. Les femmes mariées victimes de violences conjugales se voient délivrer et renouveler leur titre de séjour lorsqu’elles rompent la vie commune et apportent la preuve des violences subies. Ces textes ont le mérite d’exister. Certes. Reste qu’ils sont lacunaires, ne protègent pas toutes les femmes : leur interprétation s’avère majoritairement restrictive et soumise au pouvoir discrétionnaire de l’autorité préfectorale. En pratique, les femmes concernées n’accèdent pas à la préfecture : les démarches sont kafkaïennes et les auteurs de violences très créatifs pour les empêcher d’initier leurs demandes. Des documents sont illégalement requis par l’administration, les violences qui ne se voient pas sont ignorées, celles qui se voient sont examinées de façon suspicieuse, sur un ton inquisiteur.

Certaines femmes, parce qu’elles sont étrangères, se voient dénier leurs droits fondamentaux. Souvent, elles ne peuvent pas porter plainte contre les violences subies, des policiers et policières arguant de leur situation administrative ou qu’elles n’ont pas le droit de le faire. Trop souvent, il leur est demandé d’apporter un certificat médical en amont du dépôt de plainte. En réalité, est exigée de la personne qu’elle rapporte des traces visibles, des preuves indéniables de la violence subie. C’est de cette preuve que découle la reconnaissance de la qualité de victime et des droits y afférents. Le fait d’être étrangères ne permet pas à ces femmes d’assurer pleinement la défense de leurs droits devant les tribunaux, d’accéder à certains types d’hébergement. Elles craignent sans cesse de perdre la garde de leur·s enfant·s, leur accès aux soins est détérioré et leur santé mentale oubliée… Des femmes ont osé demander l’aide de la police à la suite de violences et ont été placées dans des centres de rétention où La Cimade intervient. Quel est ce système institutionnel qui permet aujourd’hui de violer ou de battre un être humain en toute impunité dès lors que la victime est en situation irrégulière ? Cela signifie-t-il que la qualité de victime est fonction de la situation administrative et que la protection dépend d’une autorisation de séjour tamponnée par la bonne autorité ?

Parler de l’intime n’est pas anodin et on ne peut pas attendre de ces femmes qu’elles racontent systématiquement et précisément ces traumatismes, ni avec le vocabulaire ni les codes socioculturels dits occidentaux. C’est pourtant ce qui leur est demandé ! Parler de viols, d’excision, des violences subies dans le cadre d’un mariage forcé ou suite à la découverte de son orientation sexuelle. Et toujours devoir convaincre de leur véracité pour ne pas se voir dire « vous vous prétendez victime pour obtenir des papiers et des droits ». La sanction pour ne pas avoir réussi à convaincre ? Un refus de protection, accompagné bien trop souvent d’une obligation de quitter le territoire. Il est urgent de cesser la suspicion généralisée entourant la parole des victimes, d’en finir avec l’invisibilisation des victimes de nationalité étrangère.

Assez ! Il est temps de décider d’une politique publique forte, de faire appliquer les textes, de créer des places d’hébergement, de soutenir l’accès aux droits et à la santé des femmes victimes de violences, de former les acteurs et d’octroyer les moyens nécessaires à une véritable politique de lutte contre toutes les violences. Il est essentiel de protéger enfin toutes les victimes, y compris les femmes étrangères sans titre de séjour en France.

Pour toutes, sans distinction, réclamons, exigeons plus d’égalité, de justice, de protection !

Retrouvez la tribune en intégralité sur le site du Monde.

 

Liste complète des organisations signataires :

  • Irène Ansari, coordinatrice, La ligue des femmes iraniennes pour la démocratie
  • Ana Azaria, présidente, Organisation de Femmes Egalité
  • Danielle Bousquet, présidente, Fédération nationale des CIDFF (Centres d’information sur les droits des femmes et des familles).
  • Françoise Brié, directrice générale, Fédération nationales Solidarité Femmes (FNSF)
  • Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale, La Cimade
  • Cécile Chaussignand, vice-présidente, Le Comede
  • Sarah Durocher, présidente, Planning familial
  • Isabelle Gillette-Faye, présidente, Genre & Cultures
  • Camille Gourdeau, co-présidente, FASTI (Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s)
  • Evelyne-Aurore Houngbossa Ongong Boulou, présidente, RIFEN NDPC/GAMS Hauts-de-France
  • Geneviève Jacques, présidente, Femmes de la Terre
  • Sarah McGrath, directrice Générale, Women for Women France
  • Priscillia Mutatayi, présidente, GAMS Sciences-Po
  • Alissata Ndiaye, présidente, Fédération Nationale GAMS
  • Maëlle Noir, membre de la coordination nationale #NousToutes
  • Dr Florence Rigal, présidente, Médecins du monde
  • Vanina Rochiccioli et Christophe Daadouch, co-président⋅es, Gisti
  • Suzy Rojtman, porte-parole, Collectif national pour les droits des femmes
  • Jean-Claude Samouiller, président, Amnesty international France
  • Alice Vaude, secrétaire nationale de l’Organisation de Solidarité Trans (OST)
  • Marie-Christine Vergiat, vice-présidente, LDH (Ligue des droits de l’Homme)

 

 

Auteur: Service communication

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