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Audience de la Cour de cassation sur le placement de familles en rétention

4 décembre 2009

En 2008, les préfectures d’Ille-et-Vilaine et de l’Ariège se sont pourvues en cassation contre deux décisions des cours d’appel de Rennes et de Toulouse qui avaient estimé « que placer une famille avec des enfants en bas âge en rétention administrative est constitutif d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme ».

En 2008, les préfectures d’Ille-et-Vilaine et de l’Ariège se sont pourvues en cassation contre deux décisions des cours d’appel de Rennes et de Toulouse qui avaient estimé « que placer une famille avec des enfants en bas âge en rétention administrative est constitutif d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme ».

Un jugement sera rendu par la Cour de cassation le 10 décembre 2009. Les débats ont eu lieu au cours de deux audiences qui se sont tenues les 29 septembre et 2 décembre 2009.

Conclusions des préfectures

Sans surprise, l’avocat des deux préfectures a considéré qu’il était « inconvenant » d’évoquer un traitement inhumain et dégradant au sujet du placement des familles en rétention. Il a mis en avant l’existence « d’espaces adaptés pour l’accueil des familles », et indiqué que la souffrance ressentie par les familles, pour laquelle il éprouvait « la plus grande compassion », trouvait sa source dans la situation irrégulière dans laquelle elles se sont placées et était donc de leur fait, et non de la responsabilité de l’administration.

Il a terminé en indiquant que si la Cour considérait que ces placements étaient constitutifs d’un traitement inhumain et dégradant, cela priverait d’effet les mesures d’expulsion prises par l’Administration à l’encontre de familles et conduirait à la « paralysie de l’action administrative ».

Avocat des familles

L’avocat des deux personnes placées en rétention a rappelé que le placement d’un enfant en rétention administrative ne reposait sur aucune base légale. Ni le Ceseda ni aucune autre disposition législative ne le prévoit. En aucun cas, le décret de 2005 (qui prévoit quelques normes pour les CRA « habilités à recevoir des familles ») n’a pour effet de donner une base légale à ce placement, il ne fait qu’aménager ses conditions matérielles.

Conclusions de l’avocat général

Au terme d’un rapport très argumenté, sans remettre en cause le principe du placement des familles en rétention, l’avocat général a conclu au rejet des deux pourvois formés par ces préfectures.

Il a rappelé dans un premier temps que la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ne s’était encore jamais prononcée sur la rétention familiale.

Il a rappelé les termes de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) qui proscrit la privation de liberté (Art. 37), et prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toute décision le concernant (Art. 3-1). Il s’est également appuyé sur de nombreux rapports et avis : Défenseur des enfants, CNDS, CPT, Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Rapport Mariani et une déclaration de l’Assemblée générale des Nations-unies de 1990 qui indique que « le très jeune enfant ne peut être privé de liberté que très exceptionnellement et pour un temps très limité ».

Revenant ensuite sur les jugements rendus par les juridictions du fond, il a indiqué que les magistrats avaient suffisamment motivé leurs décisions. En effet, si la rétention administrative ne constitue pas par elle-même un traitement inhumain et dégradant, l’existence d’espaces spécialement aménagés pour les familles ne constitue pas un « brevet de compatibilité » avec la Convention européenne des droits de l’Homme.

La question posée par l’affaire est donc : est-ce que la privation de liberté de ses enfants en bas âge avec leurs parents en rétention excède la simple expérience pénible pour atteindre le seuil de gravité suffisant pour caractériser un traitement inhumain et dégradant ?

En l’espèce, les juges du fond ont suffisamment motivé leur décision en appréciant la situation conformément aux critères posés par la jurisprudence de la CEDH. Ce seuil de gravité s’apprécie notamment au regard de la nature et du contexte du traitement, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime.

Les magistrats ont ainsi insisté sur deux éléments :

  • « le fait que l’enfant se trouve soudainement soustrait, dès son plus jeune âge, à un cadre de vie habituel et approprié – le domicile de ses parents – pour se voir imposer, même temporairement, des conditions de vie tout à fait anormales pour un bébé d’un an ; »
  • « la grande souffrance, morale et psychique, infligée à la mère et au père par cet enfermement avec leur bébé, souffrance qui, par sa nature, son importance et sa durée (la prolongation de la rétention sollicitée par le Préfet étant de quinze jours), dépasse le seuil de gravité requis par le texte précité ».

Il a par ailleurs relevé que selon la CEDH cette appréciation pouvait se faire également en prenant en considération d’autres textes internationaux, en particulier la CIDE. En ce sens, le placement en rétention paraît d’autant plus contraire à l’intérêt de l’enfant qu’il concerne une famille dans une situation « stabilisée » : domicile et conditions de vie adaptés pour un jeune enfant.

Sur le maintien de l’unité de famille, argument avancé par l’Administration pour justifier leur placement en rétention, il a rappelé que l’Administration avait toujours le choix de décider du placement en rétention : il n’existe pas d’obligation d’y recourir.

Il a également relevé que lorsque l’Administration indique qu’elle donne le choix aux parents d’accepter le placement en rétention de leurs enfants avec eux ou d’une séparation de la famille avec placement des enfants à l’extérieur, il s’agit en réalité d’un faux choix : il est inenvisageable que des parents avec des enfants, qui plus est en bas âge, soient favorables à la séparation. Cette alternative les pousse en réalité à agir contre leur volonté et peut être considérée en elle-même comme un élément créant une souffrance morale caractérisant un traitement inhumain et dégradant au sens de la jurisprudence de la CEDH.

Enfin, l’avocat général a affirmé que si des circonstances de fait exceptionnelles, par exemple la situation de famille en errance ou vivant dans des conditions très précaires, pouvaient justifier leur placement en rétention (et donc celui de jeunes enfants) de façon exceptionnelle et pour une durée très courte, ces circonstances n’étaient pas réunies en l’espèce alors que les deux familles avaient été arrêtées à leur domicile.

Dans ce cas, le placement en rétention a bien été constitutif d’un traitement inhumain et dégradant.

Conscients que la Cour de cassation remettra difficilement en cause le principe même du placement des familles dans les centres de rétention administrative, nous espérons qu’elle suivra l’avocat général qui l’invite à rejeter ces deux pourvois sur le fondement des dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme et de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Cette décision pourrait limiter de façon importante le placement de familles en rétention. Elle pourrait ainsi être un premier pas vers ce que nous souhaitons : l’interdiction du placement des familles en rétention.

Auteur: Service communication

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