Pourquoi la jungle de Calais ?
Considéré comme le plus grand bidonville d’Europe, le campement a déjà réuni plus de 10 000 personnes simultanément du fait de la crise migratoire. Avec une population aussi importante que celle d’une ville, comment le campement a-t-il pris forme dans la Lande ?
Un campement historique
Pour beaucoup de personnes migrantes, la ville de Calais est un espace incontournable : c’est la porte d’entrée vers la Grande-Bretagne. Vu comme une terre d’asile, le pays constitue encore aujourd’hui un espoir pour des centaines de personnes sans-papiers bloquées à Calais.
Depuis les années 90, la côte représente un point de contrôle entre la France et l’Angleterre. La ville de Coquelle qui jouxte Calais, puis, ensuite la ville de Sangatte, ont contribué à l’accueil de personnes migrantes cherchant à rejoindre le Royaume-Uni.
La Croix-Rouge ouvre un centre d’accueil des personnes migrantes : le bâtiment de 27 000 m2 s’est vu recevoir 1 800 personnes exilées dans un espace prévu pour 800 personnes. Saturé, il ferme en 2002 et laisse place à une véritable jungle de bidonvilles. Son démantèlement est ordonné la même année, débutant le cercle vicieux : installation, démantèlement, réinstallation, etc.
Des conditions de vie inhumaines
Dans cet espace insalubre, les contraintes se multiplient. Les autorités françaises ne donnent aucun moyen tangible pour pallier la situation. C’est pourquoi les associations comme La Cimade se mobilisent et viennent en aide aux personnes migrantes et réfugiées. Des distributions de planches et de couvertures leur permettent de se protéger sous des abris de fortune.
Malgré notre intervention, les victimes de la précarité sont innombrables. Au sein des campements, les bagarres se succèdent, les violences sexuelles sont présentes et les épidémies comme la gale circulent sans cesse. Le manque de sanitaires et d’eau potable contribue d’autant plus à l’insalubrité de la Lande.
La Jungle de Calais a subi de nombreux démantèlements, favorisant un contexte de “traque” pour les personnes migrantes. Sous la pression, elles subsistent dans un état d’épuisement physique et mental extrême.
L’Angleterre, pour quel futur ?
L’Angleterre est perçue par l’ensemble des personnes migrantes comme une véritable terre d’asile. Les raisons semblent provenir d’un historique commun : dans les années 90, les premières personnes migrantes ont atteint la Grande-Bretagne, puis leurs familles ont cherché à les rejoindre depuis leur pays d’origine. Aujourd’hui, la loi veut que les demandeurs et demandeuses d’asile dont les empreintes digitales ont été prises pour la première fois dans un pays européen y fassent leur demande, d’où la nécessité de ne pas donner ses empreintes en France mais plutôt au Royaume-Uni, pour être sûr·e de pouvoir y vivre.
À l’époque, l’accès au travail était facilité par la situation économique et les personnes issues de l’immigration subissaient moins de contrôle de la part des autorités. La langue est également un facteur déterminant : bon nombre de personnes étrangères ne s’imaginent pas s’intégrer socialement dans un pays dont ils et elles ne comprennent pas la langue.
Insécurité, violences, quelles conditions de vie ?
Dans cet immense bidonville, où la sécurité est inexistante, les femmes et les enfants sont régulièrement contraint·e·s de se prostituer. Selon les associations, toutes les femmes migrantes ont subi au moins une agression à caractère sexuel. Il a par ailleurs été observé deux formes distinctes de prostitution :
La première se déroule au sein du campement de personnes migrantes, dans des lieux à l’abri des regards tels que les bars improvisés de la Jungle. Le proxénétisme concerne également les passeurs, qui s’en servent comme droit de passage. Les enfants racontent que les jeunes migrant·e·s qui se prostituent passent plus rapidement.
La seconde est organisée en véritable réseau de prostitution, par des proxénètes. À Paris, à Lille et à Madrid, les jeunes filles se retrouvent coincées durant leur parcours vers la Grande-Bretagne. Chaque année, plusieurs Mineur·e·s Non Accompagné·e·s (MNA) disparaissent, probablement aux mains de ces réseaux.
Comment la jungle de Calais est-elle devenue le plus grand camp d’Europe ?
Le campement a pris une ampleur considérable au cours de l’année 2016. Pour comprendre le phénomène, en juin 2016, on estimait le nombre de personnes étrangères à 4 500. En l’espace de deux mois, ce nombre a doublé pour atteindre 9 000 personnes. Jamais autant de tentes ni de repas n’ont été distribués par les associations. Ces chiffres lui ont valu la réputation de plus grand campement d’Europe. Fin août environ 10 000 personnes survivaient dans des abris de fortune.
La quantité de personnes correspond à la taille de la population de bon nombre de villes de France. Plus il y a de personnes, plus le besoin d’infrastructure se fait ressentir. Des magasins et bar ont pris place au sein de la Jungle pour répondre aux nécessités et humaniser tant que faire se peut la zone.
Fermeture de la jungle de Calais : et après ?
Face à une telle situation, le gouvernement a pris la décision de répartir la plupart des occupant·e·s dans toute la France, afin d’éviter l’engorgement de la zone de Calais. L’espoir d’obtenir un titre de séjour en Angleterre s’est éloigné encore un peu plus pour toutes ces personnes.
Dès le mois de septembre 2016, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve proclame le démantèlement de la Jungle. La zone Nord est évacuée et le campement est fermé. 7 000 personnes migrantes ont été concernées par le démantèlement du camp.
Si certaines personnes réfugiées ont bénéficié de mises à l’abri au sein des nouveaux Centres d’Accueil pour Demandeur·se·s d’Asile (CADA) et de Centre d’Accueil et d’Orientation (CAO), une trop grande partie des occupants et occupantes en situation irrégulière se sont retrouvé·e·s sans lieu où dormir. Errant dans le centre-ville de Calais et dans les forêts alentour, il·elles n’ont pas le droit de s’installer.
Si, auparavant, les équipiers et équipières de La Cimade savaient où rencontrer les personnes vulnérables, aujourd’hui le contact avec les ancien·ne·s occupant·e·s du campement est rendu difficile. Le retour à la rue s’aggrave du fait d’évacuations régulières par les forces de l’ordre. Depuis le démantèlement, les autorités se livrent à une véritable “chasse au migrant” : toutes les nuits, ces personnes vulnérables sont réveillées et délogées de leurs abris de fortune.
À la suite de la fermeture de la Jungle de Calais, on a pu observer une augmentation de nouveaux camps, notamment au nord de la capitale, où le centre humanitaire La Chapelle s’est engorgé.
Quels traitements et conditions pour les personnes migrantes de Calais aujourd’hui ?
Le démantèlement a précédé d’importantes prises de décisions. Dès 2017, Emmanuel Macron a lancé une politique restrictive vis-à-vis des droits des personnes étrangères. La loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie » a été adoptée définitivement par l’Assemblée nationale. Ce texte de loi restreint considérablement les possibilités d’insertion des personnes migrantes. Cette politique a eu un impact direct sur leur vie, notamment pour celles situées à Calais.
Les procédures mises en place portent atteinte aux droits fondamentaux : constamment délogées, les personnes étrangères font face à des démantèlements systématiques pour éviter qu’une nouvelle jungle ne se forme.
Les orientations du gouvernement ne concernent pas seulement le projet de loi sur l’asile et l’immigration. La Cimade constate au quotidien un acharnement à l’égard des personnes étrangères et de leurs droits humains.
Pour mettre définitivement fin aux installations de bidonvilles dans la Lande, la zone a été entièrement transformée en réserve naturelle. Un budget de 2,2 millions d’euros a été débloqué pour finir le chantier en l’espace de 11 mois.
Lorsque la Jungle de Calais était encore largement occupée, les personnes migrantes tentaient régulièrement de monter dans les camions en partance pour l’Angleterre. Afin d’y remédier, un immense mur “anti-migrant·e·s” a été construit le long de la rocade portuaire de Calais. En dépit de l’appel lancé par la maire de Calais après l’évacuation du camp, le mur a été conservé.
La loi adoptée ne répond pas aux enjeux migratoires de notre temps, et les restrictions sont toujours plus importantes, allant jusqu’à interdire aux associations non mandatées de distribuer des repas aux migrants. Pour lutter contre ces mesures arbitraires oppressives, La Cimade défend l’égalité des droits entre toutes et tous. Pour que nous puissions continuer d’agir auprès des personnes exclues et opprimées, soutenez nos actions simplement : faites un don.