Sud-Est

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Chroniques honteuses – 4 –

14 avril 2018

Récit, tragique, de l’expulsion d’un homme atteint d’autisme, rédigé par Danièle W, accueillante dans le groupe local Aix-en-Provence de la Cimade.

Si vous cherchez la Police Aux Frontières à Marignane, c’est simple ! comme me l’explique la personne à l’information :

          « Après l’espace Évasion  au fond, la première porte à gauche »

 

Le 25 mars nous recevons un appel au sujet de M.O, marocain, en rétention au CRA de Nîmes, devant être expulsé sous 15 jours. Les personnes qui nous contactent, une auxiliaire de vie et l’amie française du jeune homme, s’inquiètent de son état de santé : selon ces personnes, M.O est autiste, mais depuis qu’il est en France il a toujours caché sa maladie. Or depuis qu’il est au CRA, son état s’est beaucoup dégradé, il s’isole, ne s’alimente pas, a perdu 9kg.

Les 2 personnes sont reçues le lundi 26 mars : Mme N, algérienne, se présente comme auxiliaire de vie auprès de  M.O depuis 3ans en raison de son autisme. Mlle A est étudiante, française, et l’amie de M.O depuis trois ans. C’est elle qui a amené M.O à parler de sa maladie pour la première fois, car elle se posait des questions sur certains de ses comportements (rupture de contact, isolement, angoisse aigüe …etc.)

M.O a 28 ans, il  est en France depuis 5 ans, il travaille dans le bâtiment, habite Marseille, il a logé dans des hôtels, et est actuellement en colocation avec des amis. Il est en mauvais termes avec sa famille, qui tolère mal sa maladie.

Le 12 mars il a été contrôlé à Marseille : en situation irrégulière, il a été envoyé au CRA de Nîmes. Des amis à lui se sont chargés de contacter deux avocats pour le défendre. D’après les personnes présentes, les avocats ne se sont pas déplacés, et ont adressé les dossiers par fax. Le jugement a été rendu le 19 mars : expulsion sous 15 jours. Comme documents, elles n’apportent que la copie d’un dossier établi par l’un des avocats ne contenant que des certificats d’hébergement, des ordonnances établies par des généralistes pour des affections courantes, quelques attestations de travail. Mme N, l’auxiliaire de vie, me dit qu’elle a demandé des certificats médicaux au Maroc et en Algérie (où la famille de M.O l’aurait emmené consulter dans son enfance) mais ceux-ci ne sont pas encore arrivés. Nous n’avons pas copie du jugement.

Mlle A le contacte par téléphone pour avoir plus de renseignements et pour avoir des nouvelles de sa santé ; il se montre angoissé et confus. J’essaie à mon tour de savoir où en est sa situation, mais il comprend difficilement et s’exprime aussi difficilement et ce n’est pas qu’une question de langue.

Je contacte le CRA ; j’apprends que M.O doit revoir le juge le 13 avril, si d’ici là le consulat marocain n’a pas adressé le laisser-passer nécessaire. Je fais part de l’inquiétude de son amie sur son état de santé actuel. Je signale qu’il a été diagnostiqué et suivi au Maroc dans son enfance ; à quoi on me répond qu’il peut donc retourner au Maroc, alors que mon inquiétude porte sur l’état actuel de M.O et du risque de dégradation. La personne du CRA (M.B) me dit qu’elle n’a pas d’information mais qu’elle va contacter l’infirmière, et me tiendra au courant. Nous convenons aussi d’une rencontre de Mlle A au CRA pour le lendemain.

Le lendemain, je n’ai pas eu d’appel de M.B. Mlle A reçoit un appel affolé de son ami : la police est là pour l’emmener à Marignane. Il s’agite et refuse. Il refuse aussi qu’elle vienne le voir, car il ne veut pas se montrer dans cet état : en état de crise, comme beaucoup d’autistes, il ne peut s’empêcher de retomber dans les balancements, et tient des propos peu cohérents. Nous ne savons toujours pas s’il a rencontré un médecin.

Je rappelle le CRA : M.X me répond qu’ils n’ont pas de contact avec la police, et ne savaient pas que le consulat avait répondu. Je lui parle de la dégradation de l’état de M.O, lui explique qu’il avait toujours camouflé sa maladie depuis qu’il est en France, y compris à son arrivée au CRA, et que à l’heure actuelle le risque d’aggravation est important. Nous avons parlé de consultation psychiatrique, et même d’une hospitalisation si besoin. M.X doit contacter le médecin, ou l’infirmière.

Le mercredi 28 mars, M.O appelle son amie : il a été reçu par le médecin, il lui a dit qu’il était autiste, et le médecin a demandé qu’on lui adresse des certificats médicaux portant diagnostic.

Mme N, prévenue, contacte le médecin algérien et nous informe que le certificat médical demandé arrivera le lendemain (jeudi) par fax ; nous décidons de l’apporter ensuite au CRA, de manière à rencontrer le médecin, si possible, et de prendre toute disposition pour la suite. Le CRA est informé de notre démarche, et je prends le numéro de fax du CRA pour leur transmettre le certificat dès son arrivée.

Le Jeudi 29 mars nous sommes à Aix-en-Provence, Mlle A et moi pour réceptionner le fax auprès de Mme N dans la matinée, le transmettre à Nîmes et partir ensuite au CRA. L’arrivée du fax est retardée à plusieurs reprises et reportée à 14h ; le CRA tenu au courant.

La situation devient brusquement dramatique en début d’après-midi : la personne chargée de transmettre le certificat demande des garanties, l’envoi est encore retardé. En même temps nous apprenons que la police est là pour emmener M.O à l’aéroport de Marignane. M.O s’angoisse et s’agite ; M.O contacte son amie, et la police s’adresse à elle pour qu’elle lui dise de se calmer. Il tient des propos de plus en plus incohérents. J’appelle le CRA, M.X n’est d’abord pas au courant, puis m’informe que c’est une erreur, qu’il ne s’agit pas de la bonne personne !!

J’en informe Mlle A, mais de son côté elle me confirme que la police est toujours là et que M.O va partir. M.X, rappelé, m’explique « qu’il y a eu contrordre du contrordre » …!!

Nous lui expliquons qu’un fax va arriver incessamment, mais cela n’a pas d’effet sur le départ (d’autant plus que M.O est peut-être déjà en route pour l’aéroport).

Nous décidons de nous rendre à l’aéroport, pour essayer de rencontrer M.O : Mlle A voulait avoir des nouvelles de son état de santé ; elle avait aussi des affaires à lui apporter. Quand nous l’avons contacté au téléphone, il ne savait pas où il était…

Arrivés à Marignane, nous allons à la Police Aux Frontières. M.O se trouve bien là, mais Mlle A ne peut pas le rencontrer. Nous expliquons aux policiers que M.O est autiste, que son état est en train de s’aggraver. Les policiers disent à Mlle A d’essayer de le raisonner, qu’il comprend très bien la situation, quoi qu’on dise. Il a déjà refusé une première fois le mardi de partir, et a une interdiction de retour de deux ans; s’il persiste dans son refus il risque la prison, ou ils emploient la force. A propos du refus du mardi, les policiers ont dit : « il a fait un malaise » …. Je n’ai pas demandé de précisions.

Il persistait dans son refus, disant préférer la prison, mais tenait aussi des propos incohérents.

Son amie lui a fait dire qu’elle tenait à lui, qu’elle ne voulait pas qu’il aille en prison, qu’elle préférait qu’il accepte de retourner au Maroc, qu’elle pourrait aller le voir, et qu’il pourrait revenir en France plus tard.

Nous avons dû quitter la police aux frontières, l’embarquement était proche.

Le lendemain j’ai appris qu’il avait accepté de partir; le policier lui a parlé de la gentillesse de son amie,  qu’il devait accepter, et que son interdiction de retour en France pendant 2 ans serait levée.

En fait je n’ai que des informations orales, pour tout. Je ne sais pas si M.O a vu un médecin ou si c’était une infirmière. Les personnes du CRA, M.O et M.X m’ont toujours dit : « Il a dû rencontrer un médecin.» Apparemment il n’y a pas de liaison entre eux et les médecins, ni avec la police.

LE 2 AVRIL C’ÉTAIT LA JOURNÉE MONDIALE DE L’AUTISME, le 6 Avril la présentation du Plan Autisme… Mais c’était juste après, juste après ! Nous étions le 29 mars.

 

Auteur: Région Sud-Est

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