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Rencontre avec Paloma Maquet, doctorante en géographie et spécialiste de l’immigration à bord des navires de la marine marchande à destination de l’Europe.
Rencontre avec Paloma Maquet, doctorante en géographie et spécialiste de l’immigration à bord des navires de la marine marchande à destination de l’UE.
Ceux qu’on appelle « passagers clandestins », « stowaways » en anglais ou « polizones » en espagnol sont les migrants qui se cachent dans les cargos de marchandises pour quitter un pays. Souvent, ces migrants se fient au nom du bateau ou au type de marchandises mais en fait, il arrive qu’ils ne sachent pas où ils vont véritablement débarquer. En Allemagne, on les appelle d’ailleurs des « passagers aveugles ». Ils s’embarquent sans savoir pour quelle destination, l’important est de partir. Et certains vont se retrouver à Buenos Aires alors qu’ils souhaitaient rejoindre l’Europe… Ce sont des aventuriers.
Ce qui retient mon attention, c’est le décalage entre ces destins individuels d’hommes et de femmes prêts à s’embarquer sur n’importe quel bateau pour partir, et les flux incessants et démesurés de marchandises qui passent d’un port à un autre. Aujourd’hui plus de 80% du commerce international se fait par voie maritime. Il s’agit d’une migration très peu médiatisée mais potentiellement importante.
On a beaucoup de mal à estimer le nombre de personnes qui traversent ainsi. L’Organisation Maritime Internationale parle de 314 cas en 2009 par exemple. Mais c’est nettement sous estimé. Il ne s’agit que des cas qui ont été communiqués par les Etats à cette organisation. Or, pour la même année, les seuls ports de Barcelone ou de Gênes ont enregistré une centaine d’arrivées de « passagers clandestins » chacun. Il ne s’agit là que de ceux qui ont été interceptés, et puis on ne parle que de l’Union européenne.
En fait, à la suite des attentats du 11 septembre, a été mis en place le code ISPS (International Ship and Port Security). Il s’agit d’un ensemble de normes visant à garantir la sûreté maritime au nom de la lutte anti-terroriste. Et aujourd’hui, pour être compétitifs, les ports doivent répondre à ces conditions, démontrer aux armateurs que leurs dispositifs sont ultra-sécurisés, et être internationalement reconnus en tant que « ports sûrs ». Dans le monde entier, on assiste à une fortification des ports. Clôtures de plusieurs mètres de haut électrifiées, scanners, détecteurs de battements de cœur, caméras mobiles et waterproof sondant les différents bassins, etc. Les ports de commerces, lieux de passages et d’échanges, sont devenus des enceintes « high tech » visant à empêcher notamment les migrants d’y entrer ou d’en sortir. A Tanger par exemple, sur certains endroits clés de l’enceinte, il y a des dispositifs de reconnaissance digitale pour ficher les gens. Et tout ça, bien sûr, est conçu, construit et géré par des entreprises privées.
Donc, pour embarquer, les migrants doivent compter la plupart du temps sur des complicités. Sinon, certains contournent le port par la mer, à l’aide de grosses bouées, et ils s’accrochent ensuite sur les chaînes des ancres pour grimper dans le bateau, au risque de leur vie. A Abidjan par exemple, certains corps ont été retrouvés broyés dans les engrenages de remontée de chaîne automatique. En fait, plus il y a de dispositifs de sécurité, plus ceux qui souhaitent partir élaborent des stratagèmes dangereux…
Non seulement à l’intérieur des ports mais même sur les cargos. Quand le « passager clandestin » est découvert à bord, il est enfermé dans une cellule sécurisée et interrogé par le commandant de bord sur son identité, son lieu de départ, etc. Le commandant de bord devient en fait presque un garde-frontière.
Ce qu’il faut comprendre c’est que dans la loi internationale, un « passager clandestin » trouvé à bord d’un navire se retrouve sous la responsabilité du capitaine. Celui-ci doit donc lui assurer des conditions de vie décentes pendant la navigation, mais il est toujours responsable lors du débarquement. Par exemple, si le migrant souhaite déposer une demande d’asile, le cargo doit rester à quai le temps de la procédure. Or, dans le temps effréné du commerce maritime c’est impossible. Les armateurs prennent des assurances, proposées par certains P&I clubs (Protection and Indemnity insurance), dont une clause couvre les risques liés à la présence de « passager clandestin ». Quand l’un d’entre eux est découvert à bord, l’assureur est contacté et va « gérer le problème ». À partir des informations recueillies ou soutirées par le commandant de bord, il va négocier avec les autorités consulaires du prochain port le rapatriement du migrant par avion si le navire navigue à l’opportunité commerciale, c’est à dire qu’il ne revient pas à son port de départ.
Parfois, si le cargo fait un aller-retour, le « passager clandestin » reste enfermé à bord et il est débarqué lors de son retour au port de départ. Enfin, il arrive aussi que l’équipage jette par-dessus bord le migrant découvert…
Oui, c’est arrivé. Le monde de la marine marchande est un monde très fermé, lors de mes enquêtes, personne n’a jamais témoigné directement là-dessus. Mais les P&I clubs, qui sont un peu des « traders décomplexés », qui gèrent des intérêts financiers énormes, eux, avouent clairement que cela a lieu… Ce ne sont donc pas des légendes portuaires… Il faut dire que les équipages et les commandants de bord ont des pressions trop importantes sur leurs épaules. Il faut tenir les délais qui sont très serrés. Un « passager clandestin » peut tout enrayer et engendrer des pertes financières conséquentes.
Oui. Un migrant peut être arrêté, enfermé, refoulé sans jamais passer devant un avocat, ni un interprète, sans même jamais avoir affaire à un représentant de l’État. Ce sont les entreprises de sécurité, les commandants de bords, les armateurs et les P&I, ces fameux assureurs, qui sont les acteurs de cette gestion. Ils tentent de trouver la solution la moins chère et la plus rapide pour se débarrasser du « passager clandestin » qui freine leur activité. Tous ces acteurs maritimes sont dans des logiques purement économiques et financières.
Propos recueillis par Agathe Marin
Photo : le port de Tanger. Crédits : Paloma Maquet
À noter que pour son édition 2012, le festival Migrant’scène prend la mer. Du 15 novembre au 2 décembre, retrouvez des débats, des projections et des rencontres autour des enjeux politiques et éthiques qui surgissent quand la politique d’immigration sécuritaire de l’Union européenne entre en contradiction avec le droit maritime international.
Auteur: Service communication
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