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Refus d’instruction de demandes de titre de séjour, perspective impossible de régularisation des travailleurs sans-papiers et des familles dont les enfants sont scolarisés ou nés en France, dématérialisation généralisée : douze organisations dénoncent la manière dont sont traités, par les services de l’État, les ressortissants étrangers qui vivent dans le département de la Seine-Maritime.
Pour rappel : Plus de 150 demandes de titre de séjour, certaines déposées depuis 2 ans, avait fait l’objet d’un refus massif d’enregistrement de la part de la préfecture de Seine-Maritime de février à mai 2020. De façon concomitante, la préfecture avait mis en place puis généralisé la dématérialisation pour l’ensemble des procédures liées au séjour, sans respect de la réglementation applicable. Le 15 mai 2020, La Cimade, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat des avocats de France, soutenus par une dizaine d’organisations rouennaises, ont attaqué le préfet de Seine-Maritime devant le tribunal administratif de Rouen pour contester le dépôt obligatoire de demandes de titre de séjour sous forme dématérialisée.
Bien que le préfet ait lui-même abrogé l’arrêté préfectoral incriminé par les associations, les organisations locales de soutien aux personnes étrangères* ne peuvent que constater les blocages et dysfonctionnements qui empêchent toujours des centaines de personnes de faire valoir leurs droits dans le département. Dans une lettre ouverte sur les pratiques de la préfecture de Seine-Maritime, elles exposent leurs observations :
a) Des refus d’instruction de demandes de titre de séjour jugés illégaux
Depuis le 15 mai 2020, le tribunal administratif de Rouen, saisi de nombreux référés et recours en annulation, n’a cessé de confirmer l’illégalité du refus d’enregistrer des demandes de titre de séjour au motif qu’elles n’étaient pas accompagnées du timbre fiscal de 50€.
Plusieurs dizaines de condamnations ont été prononcées contre le préfet de Seine-Maritime en raison du dysfonctionnement de son service séjour dont les pratiques se sont traduites par des conséquences délétères pour les justiciables concernés et d’inutiles frais de justice remboursés par la Préfecture, à chaque condamnation et à charge du contribuable.
Or, les nombreux étrangers qui, par un recours gracieux, espéraient un réexamen de leurs dossiers, n’ont, pour la plupart, reçu aucune réponse formelle, si ce n’est l’édiction en masse d’obligations de quitter le territoire français, y compris pour des demandeurs qui remplissaient sans discussion les critères d’admission exceptionnelle au séjour prévus par la circulaire, dite « Valls », du 28 novembre 2012 relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière.
Ce sont donc autant de nouveaux recours qui vont encombrer le tribunal administratif de Rouen, alors que la préfecture de Seine-Maritime s’était engagée auprès des organisations de soutien le 29 juin 2020, à en instruire l’ensemble.
b) La régularisation des travailleurs sans-papiers : perspective impossible en Seine-Maritime
Les travailleurs sans-papiers ne voient quasiment jamais leurs demandes de régularisation aboutir dans le département de la Seine-Maritime, même s’ils répondent aux conditions de la circulaire dite « Valls ».
Dans un sommet d’hypocrisie politique et administrative, l’État préconise, d’un côté, d’accélérer et de favoriser l’accès à la nationalité des ressortissants étrangers régularisés ayant exercé une profession exposée ou indispensable pendant la crise sanitaire, et de l’autre, il refuse l’accès au séjour de ceux qui ne sont pas en situation régulière mais, plus vulnérables et privés de protection sociale, ont pourtant travaillé sans relâche à ces mêmes emplois de « premiers de corvée ».
c) A l’égard des familles avec enfants scolarisés et/ou nés en France : une inhumanité assumée ?
La perspective d’une régularisation est tout aussi impossible pour les personnes qui font valoir que l’essentiel de leurs attaches privées et familiales sont en France et qui répondent là aussi aux conditions fixées par la circulaire du 28 novembre 2012 et au rappel, par son auteur, d’une nécessaire « prise en compte de certaines réalités humaines ».
Après cinq années de clandestinité dans des conditions extrêmement difficiles et trois ans de scolarité de leurs enfants, des parents essuient, en Seine-Maritime et au mépris des critères de la circulaire, un refus titre de séjour. On sanctionne ainsi des centaines de familles et d’enfants par méconnaissance de leurs droits fondamentaux pourtant garantis au niveau national et international.
Outre qu’ils conduisent à encombrer les services d’accueil d’urgence et d’hébergement avec des familles qui pourraient assurer leur autonomie matérielle, ces dysfonctionnements interrogent, au regard de la stricte application de la circulaire dans de nombreux départements (y compris frontaliers), sur un traitement aussi inégal des demandes de titre de séjour sur le territoire national et donc sur le non-respect du principe d’égalité des usagers des services publics.
Or, avec le but explicite « de définir des critères objectifs et transparents pour permettre l’admission au séjour des étrangers en situation irrégulière [et] de guider les préfets dans leur pouvoir d’appréciation et ainsi limiter les disparités, souvent perçues comme des injustices », la circulaire du 28 novembre 2012 définissait bien un socle minimal pour offrir un traitement égal des demandes de titres de séjour des ressortissants étrangers sur l’ensemble du territoire national, « impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable » comme l’exige par ailleurs l’article 41 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne, et sans être contraint d’aller devant les tribunaux ou de déménager dans un autre département.
d) La dématérialisation généralisée : moins d’accès au droit et moins de droits
Si le préfet a finalement abrogé son arrêté du 6 mars 2020, cause du renvoi de centaines de dossiers, et, par arrêté du 20 mai 2020, accepté que certains types de demande de titre de séjour soient adressés par voie postale, dans les faits, des dossiers sont encore renvoyés avec pour consigne le dépôt par voie dématérialisée. Or celle-ci nécessite de numériser une masse importante de documents, de maîtriser les outils numériques et d’accéder de façon continue à sa messagerie. Elle est tout bonnement impossible pour nombre de personnes étrangères, notamment les plus précaires, empêchées d’être entendues.
Par ailleurs, peu après l’abrogation de l’arrêté préfectoral, la dématérialisation a été étendue à l’ensemble des démarches, notamment pour les premières demandes ou les renouvellements de titre de séjour, mais aussi pour la délivrance de DCEM, ou le renouvellement d’un simple récépissé. « Aucune information ne sera donnée au guichet » et « Pour plus d’informations, se référer au site internet de la préfecture », tels sont les nouveaux mots d’ordre, affichés dès les grilles de la préfecture. Il est désormais impossible d’accéder aux services préfectoraux sans solliciter préalablement par internet, avec des formulaires en ligne et une validation par mail, un rendez-vous dont le délai oscille entre deux et quatre mois.
Ainsi, pour renouveler son récépissé, alors qu’il suffisait jusqu’à présent de se présenter au guichet de la préfecture quelques jours avant son expiration, il faut maintenant remplir un formulaire en ligne, attendre un mail de validation (réponse dans un délai de deux à trois mois) et prendre rendez-vous avec un autre formulaire, qui donne accès aux plages disponibles à l’horizon (observé) de trois ou quatre mois.
Sans accompagnement ni information préalable des administrés et des bénévoles ou professionnels qui les accompagnent, la modification radicale des procédures préfectorales ne permet plus aux étrangers de bénéficier sans discontinuité de document de séjour et, même en situation régulière, les contraint à faire appel à des tiers, parfois à des avocats, pour simplement faire valoir leurs droits.
Devenues indispensables en raison des conséquences sociales et des répercussions psychologiques de ces obstacles, tout au long de l’année 2020, les tentatives de dialogue avec l’autorité préfectorale des professionnels et bénévoles qui œuvrent quotidiennement sur le terrain auprès de publics vulnérables, n’ont abouti qu’à une notification massive de refus de titre de séjour et d’obligations à quitter le territoire français, voire à l’application rigide, parfois rétroactive ou totalement absurde, d’un nouveau dispositif totalement inadapté aux besoins de ses usagers, et finalement à un traitement inhumain des situations.
« Nullement exhaustif, cet exposé des blocages et des dysfonctionnements relevés par les signataires de la présente lettre ouverte reflète notre grande inquiétude sur la manière dont sont traités par les services de l’État les ressortissants étrangers qui vivent dans le département de la Seine-Maritime, et sur le refus quasi systématique du service étranger de la préfecture de dialoguer tant avec les usagers eux-mêmes qu’avec les représentants ou accompagnants associatifs et professionnels.
Il est de notre devoir de citoyens de dénoncer sans cesse et par tous les moyens qui nous sont offerts, juridiques et politiques, le non-respect des droits de personnes qui ne peuvent être indûment privées de leurs droits fondamentaux en raison de leur extranéité. »
*Ligue des Droits de l’Homme de Rouen, Collectif antiraciste de la région d’Elbeuf – ASTI d’Elbeuf, Pastorale des Migrants- diocèse de Rouen, Union Départementale CGT Seine-Maritime, section locale du Syndicat des Avocats de France, Welcome Rouen Métropole, États Généraux des Migrations de Rouen, Association de Solidarité avec Tou.te.s les Immigré.e.s (ASTI) de Petit-Quevilly, Réseau Éducation sans Frontières de Rouen, groupe local Cimade de Rouen, Réseau rouennais de Solidarité avec les Migrants, réfugiés, exilés, étrangers
Les échos dans la presse :
Lettre ouverte sur les pratiques de la préfecture de Seine-Maritime_21012021
» Télécharger le documentAuteur: Région Normandie
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