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Droit d’asile : le Conseil d’Etat ouvre la voie des interventions des associations à la CNDA

26 juillet 2013

Dans une décision de la section du contentieux du 25 juillet 2013, le Conseil d’Etat revient sur une jurisprudence vieille de 56 ans en considérant que les associations peuvent intervenir volontairement à l’appui d’un demandeur d’asile devant la CNDA, pourtant juge de plein contentieux. En revanche, dans la même décision, il casse une décision reconnaissant la qualité de réfugié à une victime de la traite des êtres humains car la CNDA n’a pas recherché si la société ou les institutions au Nigeria considéraient celles-ci comme ayant une identité propre constitutive d’un groupe social.

Dans une décision de la section du contentieux du 25 juillet 2013, le Conseil d’Etat revient sur une jurisprudence vieille de 56 ans en considérant que les associations peuvent intervenir volontairement à l’appui d’un demandeur d’asile devant la CNDA, pourtant juge de plein contentieux.  En revanche, dans la même décision, il casse une décision reconnaissant la qualité de réfugié à une victime de la traite des êtres humains car la CNDA n’a pas recherché si la société ou les institutions au Nigeria considéraient celles-ci comme ayant une identité propre constitutive d’un groupe social.

Un revirement de jurisprudence?

Le 29 avril 2011, dans une décision inédite, la Cour nationale du droit d’asile avait considéré qu’une Nigériane qui avait fait l’objet de pratiques occultes puis qui avait été envoyée à Paris pour se prostituer devait être reconnue comme réfugiée car elle appartenait à un groupe social des victimes de la traite et qu’elle risquait des persécutions en cas de retour que les autorités ne seraient pas en mesure d’empêcher. Cette décision faisait l’objet d’un pourvoi de l’office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) examiné en sous-sections réunis le 4 mars dernier. La Cimade et les Amis des bus des femmes étaient intervenus volontairement à l’appui de la réfugiée.

Or ces interventions n’allaient pas de soi. En matière de justice administrative, l’intervention est définie par l’article R632-1 du CJA. Elle est volontaire dès qu’une personne s’associe spontanément à un requérant ou à défendeur et fait les mêmes conclusions que lui. En matière de contentieux des réfugiés depuis un arrêt de 1982, la CNDA juge en plein contentieux, c’est-à-dire qu’elle n’annule pas la décision de l’OFPRA au regard de sa régularité ou de sa légalité mais examine tous les éléments du dossier, y compris postérieurs à la décision pour accorder ou non une protection internationale.

La jurisprudence du Conseil d’Etat  depuis 1957 et un arrêt Ville de Royan fixait comme condition pour que l’intervention soit recevable,que la personne justifie  d’un droit que la décision est susceptible de préjudicier. Mais au fur et à mesure, elle avait admis des exceptions à tel point que le rapporteur public la qualifie d’une obscure clarté. En matière de contentieux des réfugiés, la question n’avait pas été tranchée par le Conseil d’Etat. Le rapporteur public, M. Crepey, après avoir brossé un état des lieux de la jurisprudence avait conclu lors de l’audience du 12 juillet au rejet des interventions.

Dans sa décision du 25 juillet 2013, le Conseil d’Etat  ne le suit pas et revient donc sur son ancienne jurisprudence en considérant qu’ « est recevable à former une intervention, devant le juge du fond comme devant le juge de cassation, toute personne qui justifie d’un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l’objet du litige » puis rappelle le les termes de l’article R 631-2 du CJA du caractère accessoire de l’intervention qui ne pemet pas d’être considéré comme partie, ni d’avoir droit d’accès aux dossiers, ni de retarder l’instruction.  Ainsi le Conseil d’Etat unifie les conditions de recevabilité d’une intervention devant le juge administratif qu’il s’agisse d’un contentieux en excès de pouvoir (par exemple, le contentieux de l’OQTF) ou du plein contentieux.  En l’espèce, l’objet statutaire ( les Amis des bus des femmes ont pour but de lutter contre la traite des êtres humains) et l’action des associations intervenantes rendent leurs interventions admissibles devant le juge de l’asile, c’est à dire la CNDA.

Désormais, une association de défense du droit d’asile ou des droits humains pourra donc présenter une intervention volontaire devant la Cour et apporter soit son expertise sur la situation dans un pays dont est originaire le demandeur, soit alimenter le débat juridique devant la Cour -comme l’avaient tenté -sans succès- de le faire la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme et le Comede sur la question des décisions de l’OFPRA rejetant les demandes d’asile de personnes aux empreintes inexploitables.

Cassation de la décision de la CNDA

Si le Conseil d’Etat déclare recevables les interventions, il ne les suit pas dans leurs conclusions de maintenir la décision de la CNDA. Pour casser la décision de la CNDA, la section du contentieux considère que la Cour a commis une erreur de droit en ne recherchant pas, « au-delà des réseaux de proxénétisme les menaçant, la société environnante ou les institutions les percevaient comme ayant une identité propre, constitutive d’un groupe social au sens de la convention ». La décision d’avril 2011 pour se conformer à l’ancienne jurisprudence du Conseil d’Etat sur l’appartenance à un groupe social, s’était concentrée sur l’existence de persécutions et non sur le regard différent de la société et des pouvoirs publics devenu le critère central d’appréciation depuis juillet  2012 et  confirmé par la décision d’assemblée de décembre 2012 . En renvoyant l’affaire à la Cour nationale du droit d’asile, le Conseil d’Etat ne ferme pas la porte à une reconnaissance du statut de réfugié à des victimes de la traite des êtres humains en fonction de l’attitude de la société et des pouvoirs publics vis à vis d’elles. Si elles sont rejetées voire emprisonnées en cas de retour forcé ou si les autorités ne prévoient aucune mesure d’accompagnement prévue par le protocole de Palerme, la décision du Conseil d’État n’exclut donc pas la possibilité de leur reconnaître la qualité de réfugiée. D’autant que la refonte de la directive européenne sur les critères d’octroi de la protection internationale prévoie que la question de genre soit dûment prise en compte dans l’appréciation de l’appartenance à un groupe social et qu’elle doit être transposée avant le 21 décembre 2013.

La Cour nationale du droit d’asile devra donc réexaminer la question -avec des interventions des associations.

Conseil d’Etat, section, 25 juillet 2013, N°350661

1. Considérant qu’est recevable à former une intervention, devant le juge du fond comme devant le juge de cassation, toute personne qui justifie d’un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l’objet du litige ; qu’une telle intervention, qui présente un caractère accessoire, n’a toutefois pas pour effet de donner à son auteur la qualité de partie à l’instance et ne saurait, de ce fait, lui conférer un droit d’accès aux pièces de la procédure ; qu’en outre, en vertu d’une règle générale de procédure dont s’inspire l’article R. 632-1 du code de justice administrative, le jugement de l’affaire principale ne peut être retardé par une intervention ; qu’en l’espèce, la Cimade et l’association  » Les amis du bus des femmes « , justifient, par leur objet statutaire et leur action, d’un intérêt de nature à les rendre recevable à intervenir devant le juge de l’asile ; que leurs interventions doivent, par suite, être admises ;

2. Considérant qu’aux termes du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 doit être regardée comme réfugiée toute personne  » qui, (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…)  » ;

3. Considérant qu’un groupe social, au sens de ces stipulations et des dispositions de la directive du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, est constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquelles il ne peut leur être demandé de renoncer, ou une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions ; que l’appartenance à un tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres, ou, s’ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs proches, de leur appartenance à ce groupe ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A…B…, de nationalité nigériane, déclare être originaire de l’État d’Edo, à partir duquel opèrent des réseaux de proxénétisme vers l’Europe ; qu’elle soutient qu’elle a, dans cet État, été approchée par un membre d’un réseau qui lui a proposé un emploi en France, où elle a été contrainte de se livrer à la prostitution ; qu’elle a pris contact avec une association française de lutte contre la prostitution et dénoncé les proxénètes à la police ; qu’elle redoute d’être exposée, à son retour au Nigéria, de la part de ces réseaux, à des violences, des menaces et des comportements discriminatoires ;

5. Considérant qu’en jugeant que les femmes victimes de réseaux de trafic d’êtres humains et ayant activement cherché à échapper à leur emprise constituaient un groupe social sans rechercher si, au-delà des réseaux de proxénétisme les menaçant, la société environnante ou les institutions les percevaient comme ayant une identité propre, constitutive d’un groupe social au sens de la convention, la Cour nationale du droit d’asile a commis une erreur de droit ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, sa décision du 29 avril 2001 doit être annulée ;

6. Considérant que les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par la SCP Alain Monod – Bertrand Colin, avocat de Mme A…B…tendant à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’OFPRA, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

Auteur: Service communication

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