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« Dubliner » en Suède, une antichambre des expulsions vers l’Afghanistan

24 mai 2018

Retour sur l’histoire – très éclairante des pratiques en cours – de Jahangir, jeune exilé afghan renvoyé la semaine dernière depuis le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot vers la Suède, où l’attend désormais une expulsion vers l’Afghanistan.

Originaire de la province de Samangân (centre-nord du pays), Jahangir appartient à la plus importante minorité chiite du pays, les Hazaras. En 2015, il est contraint d’abandonner sa région et son pays à la suite de l’assassinat de plusieurs membres de sa famille et des menaces dont il fait lui-même l’objet.

 

Les Hazaras constituent en effet un groupe ethnique particulièrement persécuté tout le long de l’histoire afghane : les assassinats et les kidnappings perpétrés par les talibans persistent aujourd’hui encore, perpétuant l’exclusion et la précarisation de ce groupe social ; des persécutions qui s’insèrent dans un contexte de violence généralisée dans l’ensemble du pays. Les autorités officielles afghanes ne contrôlent qu’une faible portion du territoire et les victimes civiles des conflits armés augmentent année après année : selon les rapports de la Mission d’Assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), la barre des 10 000 victimes civiles (3438 morts et 7015 blessés) a été dépassée en 2017.

 

C’est pour fuir ces menaces et ce contexte que Jahangir a dû emprunter la route de l’exil. Une route longue et périlleuse qui le mènera jusqu’en Suède, après être passé par le Pakistan, l’Iran, la Turquie, la Grèce et les Balkans, traversant ainsi de nombreux pays où se mêlent risques de violences, de détention arbitraire et de renvoi vers l’Afghanistan. A titre d’exemples, le Pakistan et l’Iran ont considérablement durci leurs conditions d’accueil afin d’expulser davantage vers Kaboul, tandis que la Turquie a renvoyé durant le seul mois d’avril 2018 plus de 7000 ressortissants afghans.

 

L’Union européenne n’est toutefois pas en reste. Selon un rapport publié par Amnesty International  (à consulter ici), les États-membres ont expulsé environ 10 000 personnes à Kaboul en 2016 ; un chiffre auquel a fortement contribué la Suède (1025 renvois), qui mène une politique de l’asile particulièrement sévère vis à vis des ressortissants afghans (seulement 38% des demandeurs d’asile afghans se sont vu octroyer une protection en 2017, contre 88% en France[1]).

 

Jahangir n’y a pas échappé : sa demande d’asile a été rejetée et les autorités suédoises lui ont notifié une décision d’expulsion vers l’Afghanistan. Effrayé par la perspective d’être déporté vers son pays d’origine, Jahangir a quitté la Suède en septembre 2017 afin de solliciter la protection des autorités françaises ; il vient ainsi déposer une demande d’asile en préfecture des Yvelines. Cependant, s’appuyant sur le règlement Dublin, le préfet des Yvelines a refusé d’examiner cette demande et a notifié à Jahangir une décision de transfert vers la Suède ; une décision qui expose Jahangir à un renvoi « par ricochet » vers l’Afghanistan. En effet, lorsqu’elles réadmettent une personne afghane déjà déboutée de sa demande d’asile, les autorités suédoises ont pour pratique de l’enfermer en centre de rétention en vue de programmer son expulsion vers Kaboul.

 

A ce titre, les juridictions administratives ont condamné à plusieurs reprises les préfectures tentant de renvoyer des exilés afghans vers un État-membre dans lequel leur demande d’asile avait été rejetée et où le risque de renvoi « secondaire » vers Kaboul est caractérisé. La cour administrative d’appel de Lyon a notamment rendu récemment une décision dans laquelle elle estimait que « la situation sécuritaire et humanitaire de l’ensemble du pays [l’Afghanistan] n’a cessé de se dégrader au cours des dernières années et les groupes insurgés et les forces gouvernementales afghanes se sont rendues directement responsables d’un nombre significatif d’attaques délibérées à l’encontre des populations civiles, nombre en constante augmentation par rapport aux années précédentes ». Au vu de ces constats, selon la cour, le préfet aurait dû activer la clause de souveraineté qui permet à tout État-membre d’examiner une demande de protection internationale déposée sur son territoire, quand bien même l’intéressé·e aurait déjà formé une demande dans un autre État.

 

Dans le cas de Jahangir – comme dans celui de bien d’autres ressortissants afghans –, et malgré les risques encourus en cas de renvoi en Suède, le préfet des Yvelines n’a pas daigné faire usage de ce pouvoir et a préféré mettre en œuvre un transfert vers Göteborg. Ainsi, après plus de trois semaines d’enfermement au centre de rétention du Mesnil-Amelot, Jahangir a été expulsé en Suède le 17 mai. A son arrivée sur le sol suédois, il a immédiatement été interpellé et enfermé dans un centre – sans accès ni à une association ni à un avocat – en vue d’une prochaine expulsion à Kaboul.

 

Nous dénonçons les décisions mettant en péril la vie de ce jeune homme et l’acharnement de l’administration française à expulser coûte que coûte, fût-ce au prix d’une vie humaine. Les expulsions vers l’Afghanistan, qu’elles soient directes ou indirectes, doivent immédiatement cesser.

Signez la pétition : http://agir.lacimade.org/afghanistan

 

[1] Sources : Sweedish Migration Agency et OFPRA.

Crédit illustration : Jahangir.

Auteur: Admin_Ile_de_France

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