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Voici le texte du témoignage prononcé par Mme Issita Arslanov, présidente du Centre Culturel Franco-Tchétchène, à l’occasion de l’inauguration du siège de la Cimade, à Paris, le 13 décembre 2007.
Voici le texte du témoignage prononcé par Mme Issita Arslanov, présidente du Centre Culturel Franco-Tchétchène, à l’occasion de l’inauguration du siège de La Cimade, à Paris, le 13 décembre 2007.
Aujourd’hui, ça fait 5 ans, 7 mois et 3 jours exactement que je suis en France.
Je suis arrivée avec mes trois enfants de Tchétchénie. A l’époque, M., l’aînée, avait 7 ans et demi, mon fils, A., 6 ans et la cadette, A., 4 ans et demi. Nous étions tous traumatisés par la guerre mais mon fils avait cessé de parler depuis l’arrestation de son père en octobre 2001. Ma famille avait été menacée de mort. Sans y être préparée, j’ai quitté mon pays, ma mère, mon frère, ma sœur et leurs familles. Depuis 2001, je suis sans nouvelle de mon mari.
Je me suis retrouvée un beau matin du mois de mai 2002 à Paris, sans argent ni passeport, avec comme seuls « bagages » trois petits enfants. Pour moi, après Grozny où je suis née, Paris est la plus belle ville du monde. Dans cette ville magique à l’architecture harmonieuse, aux couleurs chatoyantes, aux odeurs délicieuses – ma première odeur de la France a été celle des croissants – , je me suis sentie comme un fantôme muet. Je connaissais de la langue de Molière trois mots qui étaient « Bonjour », « Amour », « Toujours », appris au cinéma! C’était tout.
Aujourd’hui, 5 ans, 7 mois et 3 jours après, j’ai obtenu le statut de réfugiée politique, signé un contrat en CDI. Je suis locataire d’un logement social à Paris. Les enfants sont scolarisés et mon fils A. est redevenu un petit garçon comme les autres.
J’aimerais vous parler de ces 5 années, 7 mois et 3 jours au travers d’un rêve que j’ai fait dernièrement, un rêve d’enfance merveilleux, nostalgique et allégorique. C’était en Tchétchénie, j’avais 5 ou 6 ans. C’était à l’aube d’un jour du mois de décembre. L’hiver tchétchène est rude. Mes parents se préparaient à quitter la maison pour se rendre au travail. Dans la cuisine, il y avait une bonne odeur de pain chaud et de thé. dans toute la maison régnait une douce chaleur. À l’extérieur, la neige tombait en flocons épais, le givre avait recouvert les branches des arbres et les vitres des fenêtres. L’école n’était pas obligatoire avant l’âge de 8 ans, je pouvais donc rester dans mon lit. Pourtant, je me suis levée, habillée et sortie dans ce paysage féerique et glacial. Comme un rituel, je me suis lancée à la recherche des moineaux. En Tchétchénie, il y a les oiseaux qui s’envolent vers les pays chauds – sans papiers ni visa – et ceux qui restent comme les moineaux. À l’aube, sur la neige fraîchement tombée, on retrouve ainsi des moineaux gelés par une longue nuit d’hiver.
À la vue d’un petit moineau, j’ai enlevé mes gants de laine. Le geste qui sauve. Je l’ai pris ai creux de mes mains et j’ai soufflé sur cet être gelé et ratatiné. Si l’on est plus rapide que le froid, l’oiseau reprend vie au creux de vos mains nues, gazouille avant de s’envoler.
En arrivant au cours du printemps 2002 en France, je me suis retrouvée comme le petit moineau de mon rêve, « prisonnière » non pas du froid et de la longue nuit mais d’une langue que je ne connaissais pas et d’une terre presque inconnue.
Le souffle de vie est venu de La Cimade. Vous tous et toutes, du service Formation en particulier, et tous les autres, vous avez simplement « enlevé vos gants » pour reprendre l’allégorie de mon rêve. Vous vous êtes penchés sur moi et m’avez accordé votre attention, votre temps et votre écoute.
La Cimade est beaucoup plus qu’un lieu de formation linguistique, de suivi social et juridique. c’est pour moi le symbole de la confiance, du réconfort et des encouragements. En 2003 et 2004, j’ai été étudiante à la Cimade et puis cuisinière pendant un temps. Grâce à la Cimade, j’ai fait la connaissance de mon futur directeur, qui lui aussi a enlevé ses gants.
J’ai retiré de ces 5 ans, 7 mois et 3 jours une leçon capitale: c’est ensemble et en enlevant ses gants que l’on réussit. Aujourd’hui, je suis présidente d’une association qui s’appelle le Centre Culturel Franco-Tchétchène. Pour mes compatriotes venus de l’Est et pour les Français, je souhaite mettre en œuvre cette leçon afin de faire vivre l’espoir.
Issita Arslanov
Auteur: Service communication
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