Est-il vraiment impossible d’expulser certaines personnes ?
Est-il vraiment impossible d’expulser certaines personnes ?
C’est l’autre arlésienne de ces dernières semaines. Sur l’antenne de France Inter le 27 octobre dernier, le ministre de l’intérieur a déclaré que « Nous protégeons encore des étrangers qui ont commis des crimes et délits en France et qui ne peuvent pas être expulsés », avant d’enfoncer le clou quelques jours plus tard : Ce qui freine le ministre de l’intérieur aujourd’hui, ce sont des réserves d’ordre public qui empêchent, par exemple, d’éloigner des personnes arrivées avant 13 ans sur le territoire national. Dans le texte de loi, nous mettrons fin à ces réserves et laisserons au juge le soin de trancher s’ils doivent ou non rester en France au nom de la vie familiale ».
Ces déclarations font écho à celles de l’été dernier où dans une interview au Monde le 9 juillet, le ministre de l’Intérieur a manifesté sa volonté de supprimer les protections contre l’expulsion pour des personnes ayant commis un « acte grave » : « Aujourd’hui, un étranger qui a commis des actes graves n’est pas expulsable dès lors qu’il remplit certaines conditions, comme une arrivée sur le territoire national avant l’âge de 13 ans. Je vais être explicite : nous voulons permettre l’expulsion de tout étranger reconnu coupable d’un acte grave par la justice, quelle que soit sa condition de présence sur le territoire national ».
Ces déclarations sont fausses, en plus d’être vagues. Il existe principalement deux mesures d’expulsion mobilisées contre les personnes étrangères ayant un parcours pénal. Il s’agit :
- De l’arrêté d’expulsion : mesure administrative prise par la préfecture ou le ministère de l’Intérieur, elle permet « d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public » (article L. 631-1 du CESEDA).
- De l’interdiction du territoire français, définie aux articles 131-30 et suivants du code pénal. Mesure judiciaire, elle est décidée par la juridiction pénale au moment du prononcé du jugement, soit en tant que peine principale, soit, et c’est la majorité des cas, en mesure complémentaire d’une peine de prison. Il s’agit d’une peine discriminatoire fondée sur la seule nationalité, qui a pour conséquence qu’à l’issue de leur peine de prison, les personnes étrangères seront expulsées, car le jugement, parfois rendu des années avant, aura prévu cette faculté. Prison + expulsion le jour de la levée d’écrou, parfois précédée d’un enfermement en rétention : c’est ce qu’on appelle la double peine.
A ces deux mesures s’ajoute l’OQTF, mesure d’expulsion de droit commun, qui peut être également prise à l’encontre des personnes détenues au travers d’un régime juridique qui leur est réservé, et qui se caractérise, du fait des réformes successives, par des garanties désormais quasiment nulles (art. L. 614-14 et L. 614-15 du CESEDA). Quand la personne est détenue, elle dispose ainsi de 48h pour contester, depuis la prison, la mesure qui lui a été notifiée ; ce qui, en raison des conditions de détention et du contexte carcéral plus généralement, est quasiment impossible, comme ont pu le constater l’OIP, La Cimade et le Gisti via une enquête de terrain réalisée postérieurement à la dernière loi immigration.
Il est vrai qu’un certain nombre de catégories de personnes sont « protégées » contre le prononcé de ces différentes mesures. Même si les conditions exactes pour être « protégé·e » diffèrent suivant la mesure qui est visée, trois grandes catégories fondent une “protection” : l’ancienneté du séjour en France, l’état de santé, et la vie privée et familiale. Ces catégories sont respectivement définies aux articles L. 631-2 et L. 631-3 du CESEDA pour l’arrêté d’expulsion, aux articles 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal pour l’interdiction du territoire français et à l’article L. 611-3 du CESEDA pour les OQTF.
Néanmoins, l’autorité judiciaire (pour les interdictions du territoire) et l’autorité administrative (pour l’arrêté d’expulsion) conservent toujours la faculté de contourner les mesures de protections. Dans les faits, seule une infime partie des personnes étrangères est donc effectivement et réellement protégée. Et cela, les différentes autorités politiques le savent pertinemment. Remettre en cause les catégories de personnes dites protégées toucherait au final très peu de personnes, sans même parler du fait que de telles mesures risqueraient d’être déclarées contraires à la Constitution comme aux engagements internationaux de la France. En résumé, il est donc toujours possible de contourner les protections, et il est donc faux d’affirmer qu’elles empêchent l’expulsion.
En outre, les personnes rentrant dans les catégories dites protégées font néanmoins fréquemment l’objet de telles mesures voire d’expulsion, au mépris de la loi.