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Interdit∙e∙s de territoire : la double peine pour les personnes étrangères​

Qu’est-ce que la double peine ? 

​​​La double peine concerne les personnes étrangères qui peuvent être condamnées, en plus de la peine de prison, à une mesure d’expulsion. Celle-ci peut intervenir soit le jour de la condamnation, soit ultérieurement pendant l’exécution de la peine de prison. A l’issue de leur peine de prison, il est donc prévu que les personnes étrangères soient expulsées. Prison + expulsion le jour de la sortie de prison, voire prison + centre de rétention administrative + expulsion : c’est ce qu’on appelle la double peine. 

Références : La Cimade, Le livre noir de la double peine s’écrit toujours : deux minutes pour savoir de quoi et de qui l’on parle, mars 2023. 

 

La double peine est-elle un concept juridique ? 

Ce terme ne renvoie pas à une catégorie juridique précise. Il s’agit plutôt d’un terme imaginé et diffusé par les différentes associations en lutte contre la double peine, en raison des atteintes aux droits fondamentaux que la double peine charrie avec elle. 

Le combat contre la double peine fait partie des combats historiques du monde associatif, comme d’une partie du monde politique, notamment à partir des années 1970 (avec les premières grèves de la faim), jusqu’à la campagne présidentielle de 2007 (dans le cadre de la campagne interassociative Une peine point barre). Pour La Cimade, il s’agit naturellement d’une revendication ancienne : de la grève de la faim entamée le 2 avril 1981 et menée par Hamid Boukhrouma (double peine), Jean Costil (pasteur et responsable de La Cimade de Lyon) et Christian Delorme (prêtre), à l’accueil des grévistes de la faim dans ses locaux de Batignolles à Paris, sans oublier la coordination, par Bernard Bolze, d’une campagne d’interpellation et sensibilisation des candidat∙e∙s en vue des élections présidentielles de 2002, La Cimade a toujours été en lutte contre la double peine.  

Références :  

  • Lilian MATHIEU, « Les grèves de la faim lyonnaises contre la double peine : opportunités militantes et opportunités politiques », Mouvements, 2006/2, n°160-161, pages 177-197. 
  • Lilian MATHIEU, La double peine. Histoire d’une lutte inachevée, La Dispute, coll. « Pratiques politiques », 2006, 305 pages. 
  • Lilian MATHIEU, « Mouvements sociaux et recours au droit : le cas de la double peine », Terra-Ed., Coll. « Esquisses », 2002. 

 

Quelle forme la double peine peut-elle prendre ? 

Il s’agit dans tous les cas d’une mesure d’éloignement, la plupart étant par ailleurs inscrites au casier judiciaire de la personne. 

  • Au sens strict, la double peine désigne l’interdiction du territoire français (ITF) : il s’agit d’une mesure d’éloignement, qui peut être prise en même temps que la condamnation pénale. L’ITF est donc une peine prononcée par la justice pénale, au moment du délibéré. Les magistrat∙e∙s la prononcent à titre principal (en matière délictuelle), mais dans l’immense majorité des cas, elle est prise à titre complémentaire (en matières délictuelle et criminelle). 
  • Au sens plus large et par extension, la double peine désigne l’ensemble des personnes étrangères détenues et l’ensemble des personnes étrangères passées par la case prison qui sont victimes d’une mesure d’éloignement. En effet, l’administration conserve toujours la faculté de prononcer des mesures d’expulsion, pendant que les personnes sont détenues, qu’il s’agisse d’arrêtés d’expulsion ou d’obligations de quitter le territoire français. 

Références : Article 131-30 du code pénal (régime général de l’interdiction du territoire français) ; articles L. 611-1 (régime général) et articles L. 614-14 et L. 614-15 (procédure applicable en prison) du CESEDA ; articles L. 631-1 à L. 631-4 du CESEDA (régime général de l’arrêté d’expulsion). 

 

La double peine ne concerne t’elle que les personnes ayant commis un délit ? 

Non. Elle concerne également les personnes qui sont sorties de prison, qui ont donc purgé leur peine, payé pour leur infraction, et dont l’unique préoccupation des pouvoirs publics devrait logiquement être le retour à la vie libre et la réinsertion. 

 

Combien de personnes sont concernées par la double peine ? 

En 2022, 5 203 mesures d’interdictions du territoire français avaient été prononcées par les juridictions françaises, un nombre en hausse régulière depuis plusieurs années. En parallèle, entre 2019 et 2022, 27 598 OQTF ont été prises en raison de l’ordre public et 7 225 à la suite d’une condamnation pénale, et 344 arrêtés d’expulsion avaient été pris en 2021. Autant de personnes victimes de la double peine. 

Pourtant, le nombre de personnes (sur)vivant en France avec une mesure de double peine est probablement bien plus élevé. Il est en effet bien plus aisé de prononcer une mesure de double peine que de « l’enlever » (et d’autant plus pour les interdictions du territoire français dont les conditions préalables à remplir pour pouvoir introduire une demande de relèvement sont drastiques), mais il n’existe pas de chiffres officiels. Le nombre exact de personnes victimes de la double peine qui vivent en France n’est donc pas connu, mais il se chiffre probablement en dizaines de milliers. 

Références : 

 

Pourquoi dit-on de l’interdiction du territoire français qu’elle est une peine discriminatoire ? 

L’interdiction du territoire est discriminatoire car, par définition, elle ne touche que les personnes étrangères : pour pouvoir être prononcée, elle se fonde sur l’unique critère de la nationalité, sans considération d’aucun autre élément, comme la personnalité de l’auteur∙e des faits. Une personne française ne peut plus être condamnée à être éloignée de son pays à sa sortie de prison, en tout cas plus depuis la suppression de la peine de bannissement. L’interdiction du territoire français rompt donc avec le principe d’égalité devant la loi pénale. 

Mais l’interdiction du territoire français est également désocialisante, factrice de récidive et criminogène. Il est en effet impossible, en droit ou en pratique, de concilier tout principe d’aménagement de peine avec le principe même de l’expulsion du territoire. Par ailleurs, une fois la sortie de prison intervenue, si la personne concernée n’est pas expulsée, l’interdiction du territoire français empêche la réinsertion, le fait d’avoir une vie professionnelle, familiale et sociale. Et ce, le plus souvent pour des années, des décennies, voire à vie. 

Références : 

 

Pourquoi entend-on que la double peine a été abolie ? 

Certains médias et certain∙e∙s responsables politiques affirment régulièrement que la double peine a été abolie, et qu’il faudrait donc la rétablir. 

Cette affirmation est totalement fausse. En réalité, il y eut une réforme en 2003, du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque Nicolas Sarkozy. Cette réforme est venue rétablir des catégories de personnes partiellement protégées contre le prononcé de mesures de double peine (parce qu’elles sont conjointes de ressortissant∙e∙s français∙e∙s, parce qu’elles sont malades, etc.), catégories qui avaient été supprimées à l’initiative d’un autre ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua. Dans tous les cas, elles n’étaient que partiellement protégées, car divers mécanismes permettaient toujours à la justice ou à l’administration de ne pas en tenir compte, du fait du comportement de l’intéressé∙e. Depuis, ces protections ont été vidées de leur substance par la loi « immigration » du 26 janvier 2024 portée par un autre ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à tel point que l’on ne peut plus sérieusement affirmer que des protections contre les mesures de double peine existent. 

Références :  

 

Comment lever une interdiction de territoire français ? 

Il existe plusieurs manières de lever uneinterdiction du territoire français. Dans les dix jours qui suivent celui où elle est prononcée, il est possible de faire appel de la décision, mais du fait de ces courts délais, la plupart des personnes ne sont pas concernées par cette voie de recours. 

Pour ces dernières, une autre voie de recours est possible : la requête en relèvement. Cette requête consiste à demander à la juridiction qui a prononcé l’interdiction du territoire français de revenir sur sa décision, notamment parce que la situation de la personne concernée a évolué depuis qu’elle a été prononcée, ou que les garanties de réinsertion sont réunies. Toutefois, le législateur n’a cessé, au fil des réformes, de durcir les conditions à toutes réunir pour pouvoir introduire une requête en relèvement : 

  • Seule la peine d’interdiction du territoire français prise à titre complémentaire (en plus de la peine de prison) peut faire l’objet d’un relèvement ; 
  • Seule la juridiction qui a prononcé l’interdiction du territoire français peut la relever (en l’espèce le ou la procureure de la République, en cas de pluralité d’ITF, la dernière juridiction a avoir prononcé une ITF devient compétente) ; 
  • Seule la requête introduite à un certain moment peut être recevable : une requête en relèvement ne sera recevable que si elle est introduite six mois après la décision de condamnation (sauf durée de condamnation inférieure à six mois). En cas de rejet de la requête, une nouvelle requête ne sera recevable que six mois après la décision de rejet. 
  • Et, pour finir, seule la requête introduite par une personne empêchée sera recev able : pour que sa demande soit recevable, la personne doit être assignée à résidence, incarcérée ou à l’étranger.  

Ces différentes conditions sont cumulatives.  

Si vous êtes confronté∙e à ce type de mesure, vous pouvez prendre attache avec les différentes permanences de La Cimade 

Références :  

  • Articles 702-1 et 703 du code de procédure pénale. 

 

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