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La politique migratoire de l’Union Européenne en 6 chiffres clés

32 ans après la chute du mur de Berlin, 1 800 km de clôtures ont été construites ou sont en cours de construction aux frontières de l’Europe[1]

Ces murs, clôtures, barbelés et miradors érigés aux frontières de l’espace Schengen s’accompagnent généralement d’une mobilisation policière accrue et sont les lieux de nombreuses violations des droits ainsi que d’actes de violence et d’humiliation à l’endroit des personnes exilées. En octobre 2021, 12 Etats membres de l’UE ont demandé à la Commission européenne de financer la construction de murs à leurs frontières en vue d’un Conseil des 27 où la situation à la frontière avec le Belarus était discutée. La Commission a rejeté cette demande tout en reconnaissant la possibilité pour les Etats européens de construire des clôtures. Ces 15 dernières années, les ressources engagées par les institutions et les Etats européens au service de la fermeture et de la militarisation de leurs frontières ont explosé. Le budget de Frontex, l’agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières européens, est passé de 6 à 543 millions d’euros entre 2005 et 2021 tandis que ses effectifs seront portés à 10 000 agent∙e∙s d’ici 2027. Or, selon la Commission européenne, les franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Europe sont estimés à environ 150 000 personnes par an, ce qui correspond 0,03 % de la population de l’UE. Sur leurs routes, ces personnes sont susceptibles d’être interceptées et refoulées, parfois avec violence, par les agent.e.s de contrôle de l’UE et de ses Etats membres :  en mer Egée ou le long du fleuve Evros à la frontière gréco-turque, en Méditerranée, à la frontière hispano-marocaine près des enclaves de Ceuta et Melilla, tout au long de la route des Balkans où elles sont la cible d’expulsions en cascade. Ces pratiques de refoulement se poursuivent jusque sur le territoire de l’UE. Rien qu’à la frontière franco-italienne, plus de 24 000 personnes ont été renvoyées en Italie par les autorités françaises depuis Menton et Montgenèvre en 2020, soit environ 65 personnes par jour[2]. Parmi elles, des familles, des femmes enceintes et des enfants en bas âge.

 

Au moins 50 000 femmes, hommes et enfants ont perdu la vie sur leur parcours migratoire à destination de l’Europe depuis le début des années 1990[3]

En Méditerranée, les naufrages et les noyades des personnes en exil sont régulièrement médiatisés. Ces drames surviennent également dans d’autres régions, notamment dans le désert du Sahara, à la frontière orientale de l’UE ou encore aux frontières ou sur le territoire français. Plus de 336 personnes auraient perdu la vie à la frontière franco-britannique depuis 1999. A la frontière franco-italienne, près de 30 cas de personnes décédées ont été recensés depuis la décision du gouvernement français de rétablir les contrôles à ses frontières en 2015. A la frontière franco-espagnole basque, au moins 7 personnes ont perdu la vie en 2021. A la frontière ultramarine de Mayotte, d’après un rapport du Sénat, 7 à 10 000 personnes seraient décédées ou disparues entre 1995 et 2012, et plus de 70 personnes en 2020. Ces chiffres ne concernent que les cas connus auxquels s’ajoutent les personnes disparues dont on n’a plus de nouvelles ou dont on n’a pas retrouvé le corps. Derrière chaque personne décédée ou disparue, il y a une mère, un père, un·e conjoint·e, des enfants, des cousin∙e∙s, des ami∙e∙s, qui trop souvent restent dans l’incertitude, l’impossibilité de faire leur deuil ou encore de connaitre les circonstances du décès.

 

500 000 personnes reçoivent l’ordre de quitter l’UE chaque année, seul un tiers sont effectivement expulsées tandis que les autres tombent dans une « zone grise »

Chaque année depuis 2008, 500 000 personnes reçoivent l’ordre de quitter l’UE. Sur ce demi-million de personnes, seulement 29 % sont effectivement expulsées[4]. La France – au 1er rang des Etats membres de l’UE – prononce entre 80 000 et 120 000 mesures d’expulsion du territoire chaque année, mais « seules » 10 000 à 16 000 d’entre elles sont mises en œuvre (reconduites hors de l’espace Schengen). Les personnes qui restent se retrouvent dans une « zone grise », ni ici, ni là-bas, et perdent leurs droits fondamentaux. Avec le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile, la Commission européenne confirme le rôle de premier plan donnée à l’agence Frontex dans la mise en œuvre de la politique d’expulsion européenne. D’une opération pour expulser 8 personnes en 2008, à 345 opérations pour expulser plus de 12 000 personnes en 2018, Frontex a assisté les États pour l’expulsion du territoire européen de plus de 8 300 personnes entre janvier et juin 2021, soit le nombre le plus élevé jamais atteint pour une période de six mois[5].

 

18 accords de réadmission officiels ont été conclus par l’UE pour faciliter l’expulsion de personnes migrantes considérées indésirables par l’UE et ses Etats membres vers ces pays

L’UE a conclu 18 accords de réadmission[6] et le Conseil a mandaté la Commission pour ouvrir des négociations avec 6 autres pays[7]. Au-delà des accords formels, l’UE et certains États membres ont multiplié le nombre d’arrangements informels à travers lesquels ils sous-traitent le contrôle et la « gestion » des personnes migrantes aux Etats non européens. Depuis 2016, l’UE a conclu au moins 11 accords informels avec des pays non européens[8]. Ces derniers échappent à tout contrôle parlementaire, démocratique et judiciaire. L’accès restreint à l’information et l’absence de contrôle démocratique qui les caractérisent soulèvent la question des responsabilités relatives aux violations des droits perpétrées hors des frontières de l’UE. Les divers types de « partenariats », que l’UE noue pour tenter d’externaliser ses politiques de gestion des frontières et de retour, sont soutenus par des instruments de financement européens. Le Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique (FFU), qui s’élève à 5 milliards d’euros, en est un exemple. Il a notamment permis le financement de près de 81 000 retours dits « volontaires » depuis le Sahel, depuis 2016.

 

Plus de 30 000 personnes anciennement « dublinées » ont finalement pu enregistrer leur demande d’asile en France en 2020, après avoir attendu entre 9 et 24 mois dans les limbes de cette procédure injuste, absurde et inefficace 

En France, près de 25 000 personnes, soit un tiers des demandes d’asile enregistrées en 2020, sont concernées. Malgré tous ces dispositifs pour tracer, traquer, contrôler les personnes dublinées en vue de leur expulsion, le constat reste le même : les taux de transferts restent autour de 10 %. La France saisit les autres États européens pour des dizaines de milliers de cas chaque année et vice versa. Mais elle ne « renvoie » et ne « reçoit » en pratique que très peu de personnes. 3 189 personnes sous procédure Dublin ont été expulsées par la France en 2020[9] tandis que 1 626 personnes ont été expulsées vers la France[10]. Parmi les personnes transférées dans un autre Etat européen, certaines reviennent rapidement. En effet, les raisons qui les ont poussées à quitter le pays européen dans lequel le règlement européen les assignent sont toujours là et certaines personnes y ont parfois vécu pendant des mois voire des années avant de le quitter.

 

845 000 000 d’euros pour Frontex, bras armé de la politique migratoire aux frontières européennes

Créée en 2004 et opérationnelle depuis 2005, Frontex est l’Agence de garde-côtes et de garde-frontières de l’Union européenne (UE). Depuis sa création et au grés des refontes de son mandat (2011, 2016 et 2019), les pouvoirs de Frontex ont été élargis et renforcés. Cette montée en puissance vise non seulement à étendre le contrôle et la surveillance des routes migratoires vers l’UE, en vue de stopper les migrations vers l’Europe et à accélérer les expulsions des personnes migrantes qui sont parvenues à atteindre le territoire européen. Dans ce cadre, Frontex déploie un large éventail d’activités : opérations conjointes de contrôle aux frontières européennes ; opérations d’expulsions ; formation des garde-côtes et garde-frontières nationaux ; analyse de « risques migratoires » ; partage d’information et gestion des système d’informations sur la situation aux frontières et les migrations en Europe ; coopération avec les Etats tiers pour prévenir les migrations en Europe et augmenter les expulsions du territoire européen.

L’extension des prérogatives de l’Agence s’est accompagnée d’une augmentation considérable de ses moyens financiers et humains. Le budget de Frontex a explosé depuis sa création, passant de 6 à 845 millions d’euros en 2005 et 2023 (multiplié par 140 en 14 ans) !

De plus, la dernière refonde de son règlement en 2019 a doté Frontex d’un contingent permanent de garde-frontières, vêtu d’un uniforme aux couleurs européennes et bénéficiant du port d’armes, qui devrait être porté à 10 000 d’ici 2027.

Pourtant, l’incompatibilité de ses activités avec le respect des droits fondamentaux n’est plus à démontrer. Depuis plus de dix ans déjà, l’agence Frontex fait l’objet de très nombreuses accusations : complaisance ou complicité dans des opérations de refoulements en mer Egée et en Europe de l’Est ; graves dysfonctionnements internes ; mauvaise gouvernance. Au point que de nombreuses enquêtes ont été menées par les institutions européennes (Parlement européen, médiatrice européenne, Cour des comptes de l’UE, Office européen anti-fraude OLAF), et que la décharge budgétaire de Frontex pour l’année 2020 a été bloquée par le Parlement européen, signe évident de défiance[11].

Face à ces accusations, Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l’agence depuis 2015, a démissionné en avril 2022. Mais de fait, ni l’incompatibilité effective du mandat et des activités de Frontex avec le respect des droits fondamentaux, ni l’impunité structurelle dont elle jouit n’a été remise en cause. Car il ne s’agit pas de la responsabilité d’un (seul) homme, mais bien de celle d’un système à l’échelle européenne qui a permis depuis des décennies la multiplication en toute impunité des violations des droits des personnes en migration vers l’Europe.

Pour en savoir plus, voire la Foire aux questions (FAQ) : Frontex, bras armé de la politique migratoire européenne

 

[1]Telegraph, Enquête « Fortress Europe », 21 décembre 2021

[2] Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur français

[3] L’Humanité, Comment la Méditerranée est devenue la frontière migratoire la plus meurtrière au monde. Carte interactive, 6 août 2021

[4] Cour des comptes de l’UE, Coopération de l’UE avec les pays tiers en matière de réadmission, septembre 2021

[5] Statewatch, EU: Deportations at record levels as Frontex foresees an “unprecedented number » of post-pandemic removals, November 2021, p 18

[6] Hong-Kong, Macao, Sri Lanka, Albanie, Russie, Bosnie Herzégovine, Moldavie, Monténégro, Macédoine du Nord, Serbie, Ukraine, Pakistan, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Cap Vert, Turquie et Biélorussie.

[7] Maroc, Algérie, Tunisie, Jordanie, Nigéria et Chine

[8] Parmi lesquels la Gambie, le Bangladesh, la Turquie, l’Éthiopie, l’Afghanistan, la Guinée et la Côte d’Ivoire.

[9] Principalement vers l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie

[10] Principalement depuis d’Allemagne, du Benelux, de Suisse, de Grèce, Autriche et de Suède

[11] Communiqué du Parlement européen, Frontex : les députés refusent la décharge du budget 2020, 18 octobre 2022

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