Les personnes étrangères sont-elles réellement plus délinquantes ?
Les personnes étrangères sont-elles réellement plus délinquantes ?
Depuis cet été, le refrain selon lequel il y aurait un lien entre immigration et délinquance revient dans la bouche des responsables politiques. Le ministre de l’Intérieur a ainsi pu déclarer qu’« il y a 7 % d’étrangers dans la population et ils représentent 19 % des actes de délinquance ». Pour sa part, le président de la République estime que « quand on regarde les faits de délinquance à Paris, on ne peut pas ne pas voir que la moitié au moins des faits de délinquance viennent de personnes soit en situation irrégulière, soit en attente de titre ».
L’essentiel des discours liant immigration et délinquance sont fondés sur des arguments quantitatifs : hausse des crimes et délits commis par les personnes étrangères, surreprésentation de ces dernières parmi les personnes détenues, etc. Or, en 2018, 549 966 condamnations ont été prononcées par les juridictions pénales, et seules 82 157 d’entre elles concernaient des personnes étrangères, soit 14,9%. Si l’on compare à la part des personnes étrangères parmi la population résidant sur le territoire national (7,5%) en 2018, c’est le double.
Il en est de même pour les statistiques concernant l’incarcération. Au 30 septembre 2022, les prisons enfermaient 71 167 personnes : 18 224 d’entre elles étaient étrangères, soit 25,6% de la population détenue. Les personnes étrangères représentent plus d’un quart de la population détenue, sans pour autant représenter un quart de la population présente en France. Tout cela n’est toutefois pas le signe d’une délinquance accrue de leur part. La surreprésentation des personnes étrangères condamnées et des personnes étrangères incarcérées au regard de leur nombre au sein de la population française, s’explique (ou est biaisée) par trois facteurs au moins :
- Les personnes immigrées (étrangères ou non) sont victimes de traitements discriminatoires : contrôles au faciès qui conduisent à des sur-interpellations, traitements plus sévères par le système judiciaire, ce qui aboutit à une sur-incarcération de cette population ;
- Il existe des infractions qui ne peuvent être commises que par des personnes étrangères, et pour lesquelles on constate des condamnations et des incarcérations quasi systématiques : refus de test PCR, refus de rendez-vous au consulat, refus monter dans l’avion etc.
- La délinquance des personnes immigrées est une délinquance s’expliquant par les inégalités socio-économiques et territoriales : or, parmi ces personnes, beaucoup font partie des catégories socio-économiques les moins favorisées, et c’est par ailleurs la délinquance qui est la plus fortement « recherchée » et réprimée. C’est donc l’arbre qui cache la forêt : s’attaquer à l’immigration pour réduire la délinquance semble donc infondé, et c’est davantage une lutte contre les inégalités sociales et territoriales qui permettrait de diminuer les actes de délinquance. A défaut, l’on ne fait que créer une prophétie autoréalisatrice, sans même parler de la polarisation des tensions que de tels discours entraînent.
Sources : Ministère de la Justice/SG/SDSE, exploitation statistique du Casier judiciaire national des personnes physiques ● Laurent MUCCHIELLI, « Que sait-on réellement du lien entre immigration et délinquance », Institut convergences Migrations, article du 28 septembre 2020 ● Ministère de la Justice, statistiques trimestrielles des personnes écrouées en France, Mouvements au cours diu 3e trimestre 2020, situation au 1er octobre 2020 ● Thomas LEONARD, « Ces papiers qui font le jugement. Inégalités entre Français et étrangers en comparution immédiate », Champ Pénal, Vol. VII, 2010.