Que révèle le faible taux d’exécution des mesures d’expulsion ?
Que révèle le faible taux d’exécution des mesures d’expulsion ?
La directive européenne adoptée le 18 juin 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive « Retour », énonce que conformément aux principes généraux du droit de l’Union européenne, les mesures d’éloignement doivent être prises au cas par cas et tenir compte de critères objectifs, ce qui implique que la France prenne en compte d’autres facteurs que le simple séjour irrégulier. En d’autres mots, le constat d’un séjour irrégulier ne doit pas mener à la notification automatique d’une OQTF. La loi impose en effet que l’administration procède à un examen personnalisé de la situation de la personne en amont de la notification d’une mesure d’éloignement afin de garantir que la mesure ne viole pas des dispositions législatives qui protègent certaines catégories de personnes contre l’éloignement.
Or, La Cimade constate que l’administration procède de moins en moins à des examens personnalisés des situations. En conséquence, nos équipes rencontrent de manière croissante des personnes sous OQTF qui devraient faire partie des catégories protégées contre l’éloignement. C’est le cas par exemple des mineur∙e∙s, des personnes encourant des risques de traitements inhumains et dégradants en cas d’expulsion, ou des parent∙e∙s d’enfant français∙e∙s mineur∙e∙s.
A titre de comparaison avec l’Allemagne, il existe un système de résidence tolérée (Duldung) lorsqu’il existe des obstacles à l’expulsion. Ces freins à l’expulsion peuvent non seulement découler d’une absence de documents de voyage, mais aussi de motifs personnels pouvant justifier une présence prolongée en Allemagne, telle qu’une maladie grave, l’occupation d’un emploi, ou l’impossibilité de retourner dans le pays d’origine pour motifs humanitaires par exemple. Ces personnes, qui sont « tolérées » de manière provisoire sur le territoire allemand, disposent en conséquence de droits. En 2021, plus de 240 000 personnes disposaient d’un droit à une résidence tolérée, contre un peu plus de 50 000 faisant l’objet d’une OQT exécutoire. A l’inverse, avec le prononcé de 125 450 OQTF en 2021, la France s’illustre par sa politique d’expulsion à tout prix, sans pouvoir atteindre l’objectif fixé, ce qui a pour effet de plonger des dizaines de milliers de personnes dans des situations de non droit.
Dans son interview au Monde le 2 novembre dernier, le ministre de l’intérieur reconnaît l’absurdité du système : « il y a des gens à qui on refuse l’asile et à qui on délivre des OQTF mais qu’on ne peut pas expulser car ils sont Syriens ou Afghans et nous n’avons pas de relation diplomatique avec Bachar Al Assad ou les talibans ». Il a annoncé dans ce cadre l’ouverture d’une discussion à ce sujet lors du prochain débat sur l’immigration au Parlement, en prenant pour exemple la résidence tolérée en Allemagne. Il ne reste plus qu’à voir quel traitement sera donné à la question. La France préfèrera-t-elle poursuivre une politique d’expulsion vaine et absurde ou rompre avec ces mesures dépourvues de sens en accordant des droits aux personnes qui pourraient prétendre à un maintien sur le territoire français ?