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La Cimade a participé du 15 au 20 octobre à une conférence européenne sur l’asile qui a eu lieu en Grèce, sur l’île de Chios puis à Athènes. Trois ans après la mise en place de l’approche hotspots et plus de deux ans après la signature de la déclaration UE-Turquie, quelle est la situation en Grèce et quels sont les constats que font les organisations de la société civile sur place ?
La Cimade a participé du 15 au 20 octobre à une conférence européenne sur l’asile ayant lieu en Grèce, sur l’île de Chios puis à Athènes. Cette rencontre intitulée « La solidarité avant tout » et co-organisée par la commission des Eglises pour les Migrants en Europe (CCME) et la Diakonie allemande, a rassemblé près de 150 membres d’organisations de 16 pays différents. Elle était l’occasion de rencontrer de nombreux acteurs locaux et de voir, sur place, les conséquences désastreuses des politiques migratoires européennes.
Mise en place en 2015 en Grèce et en Italie suite à une décision du Conseil européen, l’approche « hotspots » (centres d’identification et de tri pour les personnes aux frontières extérieures) a largement fait la preuve de son échec. L’exemple des îles grecques sur lesquelles sont parquées des milliers de personnes en quête de protection semble illustrer une Europe à la dérive. A Chios, l’une des cinq îles abritant les hotspots, située à quelques kilomètres de la Turquie, les personnes en demande d’asile vivent dans le camp de Vial. Prévu pour héberger environ un millier de personnes, c’est plus du double qui est bloqué actuellement sur place dans des conditions indignes. A Samos ou Lesbos, la surpopulation est telle que la catastrophe humaine, politique et écologique est déjà largement en marche. Sur l’île de Chios, les besoins les plus basiques des personnes ne sont pas garantis sur place (accès aux soins, à des conditions de sécurité, à l’éducation pour les mineurs etc.) alors que l’éloignement du centre, situé à 7 kilomètres de la ville de Chios, renforce encore le sentiment d’isolement et d’abandon de personnes venues chercher protection en Europe.
A la suite de la déclaration UE-Turquie de mars 2016 et sous la pression de l’Union européenne et de certains de ses États-membres, la Grèce a mis en place un système de restriction géographique dans les hotspots couplé à des procédures dites accélérées à la frontière. En pratique, cela signifie que les personnes arrivant dans les hotspots grecs ne sont pas autorisées à rejoindre le continent avant que ne soit prise la décision finale de leur demande d’asile, lorsqu’elles y accèdent effectivement. Cette assignation à résidence transforme ces petites îles paisibles en immenses prisons à ciel ouvert pour des personnes en demande d’asile. Certaines restent ainsi bloquées de longs mois dans un état de dénuement et de stress psychique total. Le nombre de tentatives de suicide et d’actes de violence, dont de nombreuses agressions sexuelles visant des femmes et des enfants a explosé, conséquence directe d’une politique d’enfermement à grande échelle.
En octobre 2017, plus d’une soixantaine d’organisations internationales, nationales et locales, engagées auprès des personnes exilées en Grèce ont lancé la campagne « Open the Islands » pour demander le transfert de toutes celles et ceux bloqués sur les îles. Si les autorités grecques ont effectivement transféré plusieurs milliers de personnes suite à cette mobilisation, le système de restriction géographique n’ayant pas été remis en cause, la situation est aujourd’hui redevenue tout aussi critique.
Un système complexe, flou et discriminatoire de procédures a été mis en place dans les hotspots. Censé permettre l’application de la déclaration UE-Turquie et l’accélération de procédures d’asile « justes », ce système fait de l’exception la règle, ainsi que le constatent les organisations grecques actives dans le soutien juridique des exilé·e·s. Une procédure d’admissibilité est appliquée systématiquement aux personnes originaires de Syrie – sauf s’ils ou elles sont reconnu·e·s « vulnérables » – visant à décider dans quel mesure la Turquie est un pays tiers sûr pour elles et leur retour est potentiellement possible. Pour les autres, le type de procédures va dépendre de la nationalité, et du taux de protection accordé en moyenne. Ainsi à Moria, les personnes ayant une nationalité dont le taux de protection est faible (par exemple originaires de certains États d’Afrique de l’Ouest) sont détenues dans une partie fermée du camp. Au-delà du fait que l’application du concept de pays tiers sûr pour la Turquie est extrêmement problématique et témoigne de la volonté européenne d’externaliser les procédures d’asile en dehors de son territoire, la discrimination systématique à l’œuvre à l’arrivée dans les hotspots semble faire de ces derniers, une zone de non-droit. Le manque d’information des personnes, la difficulté d’accès à une aide juridique ainsi que l’absence de recours contre certaines décisions vient encore assombrir le tableau.
Les noms de deux agences européennes – ESAO (bureau européen d’asile) et Frontex (agence des garde-côtes et garde-frontières) reviennent régulièrement dans les échanges sur la situation à Chios, sans que leur rôle ne soit pourtant clair. Présentes sur les îles grecques pour soutenir à la bonne mise en œuvre de l’approche hotspots, l’étendue de leurs pouvoirs opérationnels pose de nombreuses questions quant à leur responsabilité et mandat. Frontex intervient dans les eaux de la mer Egée afin de surveiller les frontières extérieures. L’agence sécuritaire mène également les entretiens d’identification des personnes nouvellement arrivées et organise les expulsions vers la Turquie. Depuis de nombreuses années, des organisations comme celles membres du collectif Frontexit dénoncent fortement les actions de l’agence dans cette région, marquées par un manque de responsabilité totale (voir le rapport Frontex entre Grèce et Turquie : la frontière du déni).
Quant au bureau européen d’asile, s’il a des pouvoirs et moyens opérationnels bien moins étendus que Frontex, il joue un rôle de plus en plus important et problématique dans les hotspots. Il est notamment en charge de mener les entretiens visant à déterminer si la personne est vulnérable ou non. On pourrait partir du principe qu’une personne ayant fui son pays et risqué sa vie pour arriver en Europe – le cas de la plupart des personnes arrivant sur les îles – est forcément vulnérable. Mais ce n’est pas l’approche adoptée. Pourtant l’enjeu est de taille : si elle est reconnue en tant que telle, elle sera transférée sur le continent et rentrera dans la procédure d’asile grecque normale. Les organisations locales ont rapporté à la délégation présente à Chios, que ces entretiens étaient réalisés en quelques minutes seulement, suivant une liste de questions prédéfinies de laquelle les agent·e·s ne s’éloignent pas. Selon cette méthode, comment raisonnablement penser qu’une victime de torture, de traite ou encore une personne ayant subi des violences et traumatismes sera identifiée ? Le mandat de ces deux agences est actuellement en cours de révision et la question de leurs responsabilités respectives et de celle des États dans lesquels elles interviennent semble plus que jamais fondamentale.
De cette mission à Chios et à Athènes, ressort un constat partagé par toutes les organisations de la délégation européenne : le seul moteur des politiques européennes actuelles est de tenter de décourager l’arrivée sur son territoire de personnes en quête de protection. Que ce soit en externalisant à la Turquie la surveillance des frontières et l’accueil ou bien en maintenant des personnes dans des conditions violentes et inhumaines, que ce soit en mettant en place des procédures d’exception réduisant à peau de chagrin l’accès effectif aux droits ou en brouillant la responsabilité des acteurs impliqués, l’Union européenne et ses États-membres vont droit dans le mur. Non seulement ces politiques conduisent à des violations quotidiennes des droits fondamentaux, mais elles ne servent pas non plus l’objectif poursuivi puisque les personnes continuent d’arriver.
Alors que la relocalisation – système qui avait pour but de « redistribuer » les personnes en demande d’asile de certaines nationalités seulement, dans d’autres pays européens – s’est terminée sur des résultats plus que mitigés, les autorités grecques font face à des difficultés grandissantes pour la mise en œuvre de la réunification familiale pourtant prévue par le règlement Dublin. L’Allemagne en particulier, freine des quatre fers en refusant une partie des transferts, laissant des familles entières séparées et sans perspectives futures.
Une orientation vers des centres contrôlés ou des plateformes de débarquement, ainsi que l’ont annoncé le Conseil et la Commission européenne ne fera que reproduire un « monstre froid », existant déjà à nos frontières extérieures.
Pour consulter la déclaration finale de la délégation (en anglais) et les recommandations formulées à l’État grec, à l’UE et ses États-membres, voir ici.
Auteur: Pôle Europe et International
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