« Toutes les actus
S'informer

» retour

Les chiffres égarés des Dubliné e. s

5 septembre 2024

Les Dublinés sont devenus un part importante des demandeurs et demandeuses d’asile mais les données fournies par le ministre de l’intérieur les concernant sont rares; Analyse de celles-ci en cartes

Des données difficiles à obtenir

Alors que le règlement Dublin de 2013 s’apprête à être remplacé en 2026 par un autre, encore plus dur, il est difficile à en évaluer l’impact en France. Depuis 2015, le nombre et la part des  Dubliné·e·s ont fortement augmenté, bouleversant le système d’asile et le dispositif d’accueil. Pourtant, à part des données globales ou celles plus détaillées par Etat-membre publiées sur Eurostat, il est  difficile d’obtenir des statistiques  du ministère de l’intérieur les concernant.

Dès 2006,  la Cimade a sollicité auprès du ministère de l’intérieur des statistiques des données qui lui étaient alors communiquées sans difficulté. A partir de 2018, ses demandes ont fait l’objet de refus implicites de communication, réitérés après avis de la CADA. Il a fallu saisir le tribunal administratif de Paris de requêtes contentieuses pour tenter de les obtenir . Un premier jugement du 14 octobre 2021 a annulé le refus pour des statistiques de 2017 et de 2018 car le tribunal a considéré que ces statistiques étaient communicables à toute personne et ne représentaient pas une charge déraisonnable pour l’administration. Le ministère n’a pas entièrement communiqué les données, et enexécution, la communication de données par nationalités, des constats de fuite et des requalifications après la procédure Dublin a été jugée par le même tribunal comme en constituant une (un pourvoi est en cours;

Les mêmes demandes ont été formulées pour les années 2019 à 2021  et une même réponse insatisfaisante a été fournie en octobre 2022. Dans un troisième jugement du 24 juin 2024,  le tribunal administratif a de nouveau annulé le refus du ministre de communiquer le nombre de décisions de transferts et des constats de fuite pour les années 2019 à 2021 dans un délai de trois mois.

Malgré cela, des données relatives aux enregistrements, aux étapes de la procédure et aux transferts ont été communiquées au fur et à mesure de ces litiges  , de 2016 à 2023, qui permettent de cartographier l’application du règlement par les préfectures.

L’application du règlement Dublin vers d’autres Etats  membres n’est pas traité dans cette page. Voir les données pour 2017, 2018, 2019, 2020,  2021 ,  2022 et 2023

Combien y a  il  de demandeurs d’asile Dublinés?

Selon le ministère de l’intérieur, depuis 2016 , à peu près  290 000 demandes ont été enregistrées comme Dublinées, soit environ 32% du total. 2019 marque un premier pic avec 46397 demandes avant une décrue en 2020 liée à la fermeture des frontières. Depuis le nombre d’enregistrements augmente régulièrement pour atteindre 47  483 en 2023.

Les Dubliné e s, une affaire  francilienne? 

L’Ile de France est depuis 2016 la première région où les Dubliné·e·s sont enregistrée·s. Elle représente en moyenne 50% du total des enregistrements de ce type; D’un point de vue chronologique, la part des Dublinés dans le total des demandes n’a cessé de croitre en Ile de France entre 2017 et 2021 jusqu’à représenter 56%. Depuis 2022, elle diminue pour atteindre 43% des demandes. 

Il y a donc une relative dispersion des demandeurs dublinés, en partie par les évacuations des campements franciliens puis par les orientations directives du schéma national d’accueil.  Si en 2016, les Hauts de France et en particulier le Pas de Calais étaient en pointe, des régions comme les Pays de la Loire ont connu une nette augmentation.

Les pôles régionaux Dublin ont- ils fonctionné? 

Depuis octobre 2018, le ministère de l’intérieur a mis en place par une circulaire un pôle régional Dublin (PRD) par région à l’exception de l’Ile de France et de la Corse. Cependant dans la région francilienne, le préfet délégué à l’immigration auprès du préfet de police qui est compétent pour l’exécution des décisions de transfert prises par les autres préfets de la région a mis en place à la demande du ministre de l’intérieur et  à titre expérimental,  un pôle interdépartemental qui a les mêmes missions pour quatre départements  : après l’enregistrement, saisir l’Etat-membre responsable, renouveler les attestations des demandeurs d’asile, édicter les décisions de transferts, les défendre au contentieux et exécuter la mesure, en assignant à résidence ou en plaçant en rétention les demandeurs.  Ces pôles spécialisés sont donc censés améliorer l’efficacité des procédures et le taux de transfert qui est devenu un indicateur de performance de la loi de finances. 

Cinq années après leur complet déploiement dans les régions concernées, le bilan est mitigé.

Les PRD fonctionnent dans la phase dite de détermination, à savoir saisir l’Etat-membre jugé responsable et édicter des décisions de transfert.

En ce qui concerne l’hébergement, la circulaire de juillet 2018 préconisait d’héberger les Dublinés à proximité des pôles. le croisement des données du ministère de l’intérieur et  de celles de l’Ofii pour l’année 2022 montrent d’une part qu’une proportion  faible de Dublinés est hébergée et d’autre part, que ces hébergements ne sont toujours à proximité des PRD

 

La réforme des PRD a significativement augmenté le taux de transfert mais de façon inégale. Les très bons élèves sont le Bas Rhin  (38,6% sur la période 2019-2023) le Doubs,(37%) et le Nord ou le Loiret (27,%).  En revanche, le taux de transfert est très faible pour les Bouches-du-Rhône (12,2%) , le Maine-et-Loire (13,7%)  ou le Rhône (16,4%).

Requalifications et « égaré e s « 

Que deviennent les 85 000  personnes qui n’ont pas été transférées? Le règlement Dublin est enserré dans des délais précis : si la personne n’a pas été transférée dans le délai de six mois après la réponse de l’Etat-membre (ou de la notification du jugement en cas de recours),  la France devient  responsable de l’examen de sa demande. Ce délai est allongé d’un an,  en cas de fuite.  En comptant la procédure de détermination, une procédure  Dublin ne peut donc pas durer plus de deux années (sauf de très rares exceptions).La procédure de transition entre Dublin et OFPRA s’appelle requalification.  Pour ce faire, la personne doit se présenter de nouveau dans une préfecture pour se voir délivrer une attestation de demande d’asile « procédure normale » ou « procédure accélérée »et le formulaire de l’OFPRA. Dans la pratique, il est exigé de retourner dans la préfecture qui a mis en oeuvre la procédure Dublin (alors qu’en droit toute préfecture est compétente);

Le ministère de l’intérieur en donne un ordre de grandeur chaque année en distinguant les « requalifications dans l »année de l’enregistrement et les ‘requalifications des années précédentes qui sont mélangées avec les réinstallations, les demandes en rétention, ce qui rend imprécis le calcul.

Selon ces données, sur plus de 290 000 demandes enregistrées de 2016 à 2023, 184 000 ont été requalifiées et 25 000 transférées. Sachant qu’il y avait environ 10 000 Dublinés à la fin de l’année 2015, le nombre théorique de Dublinés en cours d’instance  serait de 91 000 à la fin de l’année 2023!

Ce chiffre n’est pas cohérent avec la durée maximale d’une procédure Dublin. En postulant que seules les demandes en cours à la fin des années n et n-1 font l’objet d’une « requalification », on arrive à un révision radicale du nombre  puisque le nombre de Dublinés à la fin de l’année 2023 n’est plus que de 50 000.

Qu’est il advenu aux  41 000 autres personnes?  Une partie est allée dans d’autres Etats-membres pour solliciter l’asile et le cas échéant, est revenue par des transferts vers la France quand sa responsabilité est établie. Une autre n’a pas reformulé  de demande d’asile après l’expiration du délai de transfert  sans doute en raison d’un constat de fuite qui l’ a déconnectée de la procédure  et vit en France ou dans un autre pays. Ce sont  les « égarés » de la procédure qui théoriquement pourrait solliciter l’asile en France.

Pour la première fois depuis 2020, le nombre de demandes enregistrées en 2024 est inférieur à celles des demandes introduites à l’OFPRA, signe d’un plus grand nombre de requalifications, notamment de personnes arrivées par l’Italie qui n’y sont plus transférées depuis décembre 2022, par décision unilatérale du gouvernement Meloni.

Avoir des données plus précises sur les Dublinés est donc un enjeu important pour l’ensemble du système d’asile. Le ministère de l’intérieur est en mesure de les produire et de les publier.

 

 

 

 

 

 

 

Auteur: Responsable national Asile

Partager sur Facebook Partager sur Twitter
À partager
Petit guide – La fabrique des sans-papiers
Septième titre de la collection Petit guide, Refuser la fabrique des sans-papiers éclaire les pratiques de l’administration française quant à la délivrance de titres de séjour ainsi que leurs impacts sur le quotidien des personnes étrangères.
Acheter militant
Faites passer le message avec ce t-shirt « Il n’y a pas d’étrangers sur cette terre » !
Retrouvez tous nos produits militants, faites plaisir à vos proches tout en contribuant au financement de nos actions sur le terrain.