Les politiques migratoires européennes : pour une Europe protectrice et solidaire
5 chiffres clés pour décrypter la politique migratoire de l’Union Européenne
📌 32 ans après la chute du mur de Berlin, 1 800 km de clôtures ont été construites ou sont en cours de construction aux frontières de l’Europe
📌 Au moins 50 000 femmes, hommes et enfants ont perdu la vie sur leur parcours migratoire à destination de l’Europe depuis le début des années 1990
📌 500 000 personnes reçoivent l’ordre de quitter l’UE chaque année, seul un tiers sont effectivement expulsées tandis que les autres tombent dans une « zone grise »
📌 18 accords de réadmission officiels ont été conclus par l’UE pour faciliter l’expulsion de personnes migrantes considéré·e·s indésirables par l’UE et ses Etats membres vers ces pays
📌 Plus de 30 000 personnes anciennement « dublinées » ont finalement pu enregistrer leur demande d’asile en France en 2020, après avoir attendu entre 9 et 24 mois dans les limbes de cette procédure injuste, absurde et inefficace
Pour comprendre toute la réalité qui se cache derrière ces chiffres, consultez notre page de décryptage
10 propositions de La Cimade sur les politiques migratoires européennes
Janvier 2022 – Alors que la France a pris la présidence du Conseil de l’UE pour les six prochains mois, La Cimade s’adresse au président de la République Emmanuel Macron ainsi qu’aux membres du gouvernement, pour porter 10 propositions en faveur d’une Europe solidaire et protectrice des droits humains.
« Il est temps que les institutions européennes et les Etats membres de l’UE élaborent une politique d’asile à la hauteur des enjeux, basée sur les choix des personnes concernées, sur la solidarité entre Etats et le respect inconditionnel des droits fondamentaux, en harmonisant par le haut les procédures et les conditions d’accueil des demandeurs et demandeuses d’asile en Europe. » Fanélie Carrey-Conte, Secrétaire générale de La Cimade
Aux frontières comme sur le territoire européen, les situations de violences ont été aggravées par le contexte de pandémie qui a exacerbé la précarisation des trajectoires des personnes migrantes. Les raisons qui les poussent à fuir la violence sous toutes ses formes pour chercher une protection n’ont pas perdu de leur urgence. Rendez-vous manqué de l’UE, le nouveau « pacte européen sur les migrations et asile », présenté par la Commission européenne s’inscrit dans la continuité des logiques déjà largement éprouvées, fondées sur une approche répressive et sécuritaire au service de l’endiguement et des expulsions. L’expérience des vingt dernières années fait la preuve que la politique visant à dissuader ces personnes et à les rendre invisibles, en les empêchant d’accéder à leurs besoins essentiels et leurs droits fondamentaux, en les enfermant, en les renvoyant de l’autre côté des frontières, en les réprimant et en les criminalisant n’a jamais apporté aucune solution, sinon des souffrances supplémentaires. Il est plus que temps de changer de paradigme et de s’engager dans une approche résolument constructive afin de concevoir au plus tôt une politique d’accueil des personnes migrantes à même de préserver les libertés et les droits fondamentaux de tous.
L’UE et ses Etats membres ont progressivement transformé leurs frontières en murs afin de tenter d’empêcher les personnes de passer, sans toutefois y parvenir. De telles politiques sont basées sur l’idée que seules certaines personnes et nationalités seraient légitimes à se déplacer, en fonction de leur situation socioéconomique et des besoins identifiés par les États. Au-delà du franchissement des frontières, l’installation dans un pays d’accueil est souvent un véritable « parcours du combattant ». Les permanences associatives, dont celles de La Cimade en France, sont fréquentées par des personnes dont la vie est enracinée parfois de longue date dans un pays de l’UE et qui n’y obtiendront peut-être jamais de titre de séjour. À l’heure où les conséquences de la crise sanitaire mettent en lumière les inégalités qui se font jour dans les sociétés européennes, dont celles induites par les effets de la précarité administrative, La Cimade appelle à construire l’égalité des droits pour toutes et tous indépendamment du statut administratif ou de la nationalité. Cela passe notamment par la régularisation large et durable de toutes les personnes sans-papiers en délivrant un titre de séjour unique et stable autorisant à travailler ainsi que par la mise en place de solutions concrètes de lutte contre la précarité et les discriminations.
Les divers cadres de coopération – à travers lesquels l’UE et ses Etats membres organisent l’externalisation des contrôles migratoires pour maintenir à distance les personnes considérées indésirables – se multiplient au détriment du respect des droits des personnes migrantes et loin du regard des citoyen·ne·s européen·ne·s. Cette approche s’étend désormais à l’ensemble des domaines de coopération, y compris l’aide au développement, instrumentalisée pour réduire l’émigration et tenter de « fixer les populations » dans leur pays d’origine. Il est urgent que les pays non européens soient réellement considérés comme des « partenaires » dans la définition des enjeux des politiques migratoires et non comme des exécutants d’une politique de fermeture des frontières européennes qui ne sert ni leurs intérêts ni celles de leurs ressortissant·e·s. La Cimade appelle l’UE et ses États membres à s’engager dans une réelle coopération basée sur des intérêts mutuels plutôt que sur les intérêts exclusifs des pays membres de l’UE, prenant en compte le point de vue des pays dit de départ et de transit, et respectant les droits humains.
Les réponses sécuritaires, qu’elles soient européennes ou nationales, exacerbent les violences et les violations des droits aux frontières. Sur leurs routes d’exil, les personnes sont susceptibles d’être interceptées et refoulées par les agents de contrôle de l’UE et de ses Etats membres. C’est par exemple le cas en mer Egée ou le long du fleuve Evros à la frontière gréco-turque, à la frontière hispano-marocaine près des enclaves de Ceuta et Melilla ou encore tout le long de la route des Balkans jusqu’à nos frontières françaises avec l’Espagne et l’Italie. A l’instar des « hotspots » déployés sur les îles grecques et en Italie, l’UE multiplie les dispositifs de tri, d’enfermement et d’expulsion à ses frontières. La France soutient cette logique et promeut la mise en place d’une nouvelle procédure de « filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures » proposée par la Commission européenne. Cette approche accroît les risques sur les routes sans pour autant empêcher les mobilités, ni protéger réellement les droits des personnes. Elle contraint les personnes à prendre des voies de passage plus longues, plus coûteuses et plus risquées. Des personnes meurent et disparaissent aux portes de l’Europe, sur la route, en mer, sur terre et dans le désert. Ces drames ne peuvent perdurer sans que soient remises en question des décisions et des pratiques de verrouillage des frontières toujours plus sophistiquées, et qui ont pour conséquence d’accroître les risques. La Cimade appelle l’UE et ses Etats membres à accueillir toute personne se considérant en danger afin d’examiner, dans le cadre du droit international existant, avec attention et impartialité chaque situation personnelle et d’assurer le respect de leurs droits.
Aux frontières maritimes de l’UE, nous constatons que la volonté des Etats de « protéger » les frontières passe avant la protection des vies humaines. Rien qu’en Méditerranée, plus de 25 000 personnes sont décédées ou disparues depuis 2010. L’agence européenne de garde-côtes et de gardes-frontières Frontex a pour mandat principal la lutte contre les passeurs et l’immigration irrégulière. Le sauvetage n’intervient qu’en second lieu. Les appels de détresse des personnes embarquées en mer se heurtent de plus en plus au silence des garde-côtes européens et au refus de certains Etats de porter secours et d’autoriser le débarquement sur leur territoire. Parallèlement, les ONG de secours et de sauvetage sont poursuivies en justice par certains Etats pour aide à l’immigration irrégulière, font l’objet d’entraves administratives et sont régulièrement empêchées de débarquer les rescapé·e·s sur le continent européen. La Cimade demande à l’UE et ses Etats membres de respecter le droit international de la mer, en particulier l’obligation de porter secours aux passagers d’un bateau en difficulté, le débarquement des personnes dans un lieu sûr dans les meilleurs délais ainsi que le principe de non-refoulement vers des pays où les personnes encourent un risque d’être soumises à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Il apparaît également essentiel d’assurer l’identification de chaque personne naufragée ainsi que l’information des familles des victimes.
Depuis six ans, la France, de même plusieurs autres Etats membres de l’espace Schengen, justifie le rétablissement des contrôles à ses frontières internes, par la lutte anti-terroriste. Or, notre travail d’observation mené aux frontières démontre que le contrôle migratoire prime. Sur le terrain, nous constatons que les motifs de sécurité servent de prétexte pour renforcer des logiques de refoulement aux frontières. Les dispositifs de contrôles déployés ont pour effet d’accroître les discriminations, le fichage et les pratiques de refoulements et fragilisent encore plus des personnes déjà vulnérables. De nombreuses personnes en quête de protection ont perdu la vie à des frontières intérieures européennes, notamment aux frontières françaises avec l’Italie et l’Espagne, en prenant des risques mortels pour éviter d’être contrôlées, enfermées et refoulées immédiatement sans prise en compte de leur minorité ou de leur demande d’asile. Respecter les valeurs fondatrices de l’Europe implique de défendre le principe de la libre circulation dans l’Espace Schengen, l’un des socles de la construction européenne. Nous dénonçons la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures et refusons l’instrumentalisation de la lutte contre le terrorisme, les passeurs et la traite des êtres humains, pour légitimer des opérations de contrôle et de répression qui violent les droits.
Les conditions d’accueil et les procédures d’asile sont toujours très différentes d’un pays européen à l’autre, malgré un cadre législatif européen commun. L’UE doit œuvrer pour qu’un accès à une procédure juste et équitable et un accueil véritablement digne soit garanti partout en Europe. Les notions de « pays d’origine sûrs » et de « pays tiers sûrs » doivent être abandonnées, afin que chaque demande d’asile soit étudiée avec attention et impartialité. L’échec du règlement Dublin mine le principe de solidarité entre Etats-membres, viole les droits des personnes demanderesses d’asile et s’avère injuste et inefficace. Le Pacte européen sur la migration et l’asile, en cours de négociation à Bruxelles, est loin d’être une abrogation de ce système et ne modifie pas fondamentalement les critères pour décider quel Etat est responsable de l’examen d’une demande d’asile. Depuis vingt-cinq ans, ce système provoque une « migrerrance » des personnes en quête de protection. Il est temps que les institutions européennes et les Etats membres de l’UE élaborent un système basé sur les choix des personnes concernées (selon leurs attaches familiales, leurs compétences linguistiques ou leurs projets personnels), sur la solidarité entre Etats et le respect inconditionnel des droits fondamentaux.
La dématérialisation des frontières européennes s’est accompagnée du développement d’outils technologiques afin de collecter, stocker et échanger les données personnelles des personnes migrantes à des fins de gestion et de contrôle. Du premier fichier « Système d’informations Schengen » dans les années 1980 au « Système d’Entrée et Sortie » qui ambitionne d’enregistrer l’ensemble des voyageurs vers l’Europe à partir de 2022, ces bases de données dessinent un contrôle à distance, qui jalonnent les parcours dès le pays de départ jusque sur le territoire européen. La plupart des autorités de protection des données nationales et européennes ainsi que la communauté scientifique ont dénoncé les risques et les problèmes engendrés par l’extension de ces technologies de contrôle et de fichage qui sont faillibles et susceptibles de renforcer ou de produire des discriminations : risque de hackage ou de fuite des données, risques d’atteinte aux droits fondamentaux et à la vie privée, stigmatisation de certaines catégories d’individus, etc. Il est de la responsabilité de l’UE et de ses Etats membres de remettre en question la place grandissante de la biométrie et du fichage au service du contrôle des mobilités, d’évaluer les risques et les effets de l’utilisation de ces nouvelles technologies afin d’assurer la protection des personnes et de leur vie privée.
Les politiques d’endiguement, d’enfermement et d’expulsion se développent en France, en Europe et au-delà : « Retours », « expulsions », « réintégration », « réadmission », « transferts », « retours volontaires », la nomenclature des euphémismes des expulsions du territoire européen s’est étoffée mais aboutit au même résultat. Lorsqu’elles parviennent à atteindre le territoire européen, c’est souvent une détention généralisée et multiforme qui attend les personnes. Les vols d’expulsion européens font également partie de l’arsenal développé avec le concours de l’agence européenne de garde-côtes et de gardes-frontières Frontex. Dernière innovation proposée dans le nouveau pacte sur les migrations et l’asile : le « parrainage des expulsions » qui permettrait aux États qui ne souhaitent pas accueillir de personnes migrantes d’être « solidaire autrement », en s’engageant activement dans la mise en œuvre des expulsions de celles et ceux que l’UE et ses Etats membres souhaitent éloigner. La situation actuelle démontre pourtant que ces politiques sont absurdes en plus d’être inefficaces. La France – au 1er rang des Etats membres de l’UE – prononce entre 80 000 et 120 000 mesures d’expulsion du territoire chaque année, mais « seules » 10 000 à 16 000 d’entre elles sont effectivement mises en œuvre (reconduites hors de l’espace Schengen). Les personnes qui restent se retrouvent dans une « zone grise », ni ici, ni là-bas, et perdent leurs droits fondamentaux. Mettre fin à ces politiques d’expulsion et de bannissement et promouvoir l’accueil et l’inclusion relève à court terme d’un enjeu de justice sociale et à long terme, dans son principe, d’une logique d’égalité des droits.
Depuis plusieurs années, les poursuites se multiplient contre des citoyen·ne·s mais aussi contre des organisations qui viennent en soutien aux personnes exilées et qui font l’objet d’intimidation, de harcèlement voire de poursuites judiciaires. Procès, intimidations ou blâmes politiques s’inscrivent dans un climat général de criminalisation des actes de solidarité, principalement justifiée par l’amalgame entre réseaux de trafiquants et acteurs de la solidarité. Cette tendance est à replacer dans une dynamique plus ancienne de criminalisation des personnes en migration, considérées comme indésirables et suspectes. L’efficacité du « délit de solidarité » ne se mesure pas tant en nombre de condamnations, mais plutôt dans l’installation au sein de nos sociétés d’une peur diffuse de manifester de la solidarité envers les personnes étrangères. L’UE et ses Etats membres doivent mettre un terme à la criminalisation de la solidarité sous toutes ces formes et promouvoir la solidarité comme une valeur fondamentale. Il s’agit d’une question d’humanité face à des personnes qui se trouvent dans des conditions de vie indignes, d’insécurité et de violence.
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Ressources utiles
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