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Les pouvoirs d’un juge neutralisés par la préfète de Seine-et-Marne

23 juillet 2014

Shaka, jeune malien de 20 ans, a été enfermé par la préfète de Seine-et-Marne au centre de rétention administrative (CRA) le 11 juillet 2014 pour être renvoyé en Italie. Le 15 juillet 2014, la préfète saisit le juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la […]

Shaka, jeune malien de 20 ans, a été enfermé par la préfète de Seine-et-Marne au centre de rétention administrative (CRA) le 11 juillet 2014 pour être renvoyé en Italie. Le 15 juillet 2014, la préfète saisit le juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la rétention. L’audience est fixée le lendemain à 10 heures.

Cependant, au matin du 16 juillet 2014, un vol est prévu pour Shaka, qui est donc transféré à l’aéroport de Roissy-CDG. Au moment où le juge évoque l’affaire, la greffière l’informe que le retenu se trouve à l’aéroport et s’apprête à être embarqué dans l’avion.

Stupéfait, le juge des libertés estime le comportement de l’administration inadmissible. Le magistrat prend attache avec l’escorte à Roissy-CDG pour exiger le retour du retenu à l’annexe du tribunal. Toutefois, les services de la préfète de la Seine-et-Marne indiquent à l’escorte de passer outre la demande de l’autorité judiciaire et de poursuivre l’opération d’embarquement. Shaka est donc bien embarqué… Devant le courroux du juge, l’avocat de l’administration envisage même de se désister de la requête préfectorale.

Par une ordonnance du 18 juillet 2014, le juge des libertés et de la détention a enjoint la préfète de la Seine-et-Marne de se présenter personnellement devant le tribunal pour s’expliquer, au motif « qu’en s’arrogeant le droit d’intervenir directement auprès des services d’escorte pour empêcher la comparution du retenu, régulièrement convoqué et donc placé sous main de justice, l’administration avait porté atteinte à l’indépendance et à l’impartialité du juge qu’elle avait elle-même saisi ».

Cet incident vient une nouvelle fois illustrer le fait que depuis l’entrée en vigueur de la loi Besson du 16 juin 2011, qualifiée par La Cimade de « loi de la honte », les personnes étrangères privées de libertés ont vu leurs droits gravement restreints. Ainsi, elles ne sont présentées devant le juge des libertés et de la détention, garant des libertés individuelles, qu’au bout de cinq jours au lieu de 48 heures auparavant.

Cet allongement du délai de saisine du juge judiciaire constitue un véritable déni de justice. Cela signifie que les personnes enfermées en rétention sont expulsées sans voir un juge contrôler le respect de leurs libertés individuelles. Concrètement, à l’instar de Shaka, c’est la situation de plus d’un quart des personnes retenues, soit plus de 9.200 en 2012 en métropole, qui sont expulsées durant les cinq premiers jours sans voir aucun juge.

Par ailleurs, la situation de Shaka met en évidence les risques largement identifiés par La Cimade et ses partenaires, lors de la campagne contre la délocalisation des audiences au sein de l’enceinte du CRA du Mesnil-Amelot via une annexe du TGI de Meaux dédiée exclusivement aux étrangers. Dans cette affaire, il apparaît clairement l’isolement et la neutralisation du juge par l’administration qui semble toute puissante sur son territoire.

Enfin, dans le contexte de l’examen en Conseil des ministres, ce mercredi 23 juillet 2014, des projets de loi sur l’asile et l’immigration, cet incident ne peut que rappeler avec force la nécessité d’un contrôle systématique des juges et à minima d’un retour de l’intervention du juge des libertés et de la détention au bout de 48 heures. C’est l’une des conditions impératives du respect des droits fondamentaux des personnes étrangères privées de liberté et plus généralement d’un État de droit.

Auteur: Service communication

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