Pour l’avenir de Mayotte, l’Etat promet toujours plus d’inégalités
Alors que la colère gronde à Mayotte et que les revendications se font plus pressantes que ...
Élections présidentielles et législatives obligent, certains sujets politiques reviennent au-devant de la scène. A Mayotte, l’un des sujets favoris des candidats est le même depuis de nombreuses années : la remise en cause de l’application du droit du sol à Mayotte, pour « lutter contre l’immigration clandestine ».
(photo : © Vali)
Selon de nombreuses personnalités politiques, restreindre l’accès à la nationalité française pour les étrangers par le biais du droit du sol découragerait de nombreux prétendants des autres îles de l’archipel de tenter la traversée entre l’île Anjouan et celle de Mayotte. Dès janvier 2017, l’un des responsables politiques des Républicains affirmait que s’il sortait vainqueur des législatives, il mettrait tout en œuvre pour « réformer le droit du sol ». Quelques semaines avant lui, c’était tour à tour un député et un sénateur de l’île qui exprimaient leur souhait d’aménager le droit du sol lors des sessions parlementaires.
Face à cette énième agitation politique, il nous semblait important de revenir sur le caractère inconstitutionnel d’une telle mesure, pour ne pas que ce sujet prenne trop de place face aux réels débats de fonds nécessaires pour Mayotte.
Mayotte, département français depuis le 31 mars 2011, dispose de nombreux régimes juridiques dérogatoires, qui sont censés se conformer au droit national d’année en année. Ces dérogations ont une base constitutionnelle, celle de l’article 73 de la Constitution française qui dispose que : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. »
C’est sur cette base que deux parlementaires mahorais ont cherché à apporter des dérogations au droit du sol, qui correspond à l’heure actuelle au même droit applicable sur le territoire français et ce depuis 1993. Leur volonté commune était de conditionner l’obtention de la nationalité française à la détention des cartes de séjour de l’un des deux parents au moment de la naissance de l’enfant. Néanmoins, leur amendement respectif n’a pas été retenu. Le premier a fini par retirer sa proposition et le second a essuyé un rejet important lors d’un vote au Sénat, les autres parlementaires estimant cette mesure non constitutionnelle et non conforme aux textes internationaux, comme la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.
Une tentative qui n’a rien de nouveau
Si cette volonté de modifier le droit du sol à Mayotte s’est traduite par une réelle tentative de modification législative, ces actions ont tout l’air d’un coup politique électoral. En effet, une loi avec des termes quasi-identiques avait déjà été envisagée en….2006 ! A l’époque, c’était François Barroin, ministre de l’outre-mer, qui avait souhaité apporter la même modification au droit du sol mais sa loi sur l’immigration s’était heurtée à l’avis du Président de la section du contentieux du Conseil d’Etat. Selon ce dernier, « Les conditions d’accession à la nationalité française, dans notre tradition juridique, valent pour l’ensemble du territoire de la République ». L’article 73 de la Constitution exclu certains domaines dont celui de la nationalité. Au regard de l’histoire du droit de la nationalité française, il semble d’autant plus compliqué de changer ce droit que la loi en instaurant les bases juridiques a été voté en… 1889.
Ainsi, l’unique possibilité de modifier le droit du sol à Mayotte serait de modifier la Constitution Française en ce sens, ce qui ne semble pas prêt d’être le cas pour les années à venir.
© Vali
Un faux-débat qui obstrue l’espace public
Au-delà de l’opportunisme politique d’un tel « débat », ce qui est inquiétant est la place régulière qu’il prend dans les médias locaux, limitant une véritable réflexion sur la question migratoire dans l’archipel des Comores. Les personnes qui portent cette question sur la scène médiatique, si elles ont au moins le mérite de reconnaître que les bateaux d’interception des forces de l’ordre n’empêcheront jamais totalement l’arrivée des kwassas, entretiennent des fantasmes qui bloquent la réflexion.
Dans cette dynamique, certaines personnes sont encore à penser qu’il s’agit d’arriver à Mayotte et d’accoucher sur le territoire national pour que son enfant soit français. Avant toute chose, il faut savoir que la Préfecture a chiffré pour 2016 à 2% le nombre de passagers des kwassas qui sont des femmes enceintes. Les femmes comoriennes qui se rendent dans les centres hospitaliers sont donc pour l’immense majorité déjà présente sur le territoire. Ensuite, et surtout, la naissance en France d’un enfant né de parents étrangers n’est que la première condition de l’application du droit du sol. La seconde est celle de la résidence continue sur le territoire français. Ainsi l’enfant ne pourra prétendre à la nationalité française qu’à partir de l’âge de 13 ans, s’il apporte la preuve d’une résidence continue de 5 années précédant sa demande.
Il ne suffit donc pas d’être né à Mayotte pour être français ! Et parmi ces jeunes, des centaines (milliers ?) auront des difficultés à prouver leur résidence sur le territoire du fait d’une absence de scolarisation/déscolarisation, les empêchant de fournir au tribunal des certificats de scolarité, pièce centrale dans la demande à Mayotte.
Pour aller plus loin au sujet de l’accès à la nationalité française par le droit du sol :
– « La suspension du droit du sol à Mayotte : un projet inconstitutionnel, discriminatoire et démagogique » Gisti : http://www.gisti.org/spip.php?article1094
– « Les jeunes et la nationalité française », Les notes pratiques, Gisti (téléchargeable) : http://www.gisti.org/spip.php?article4993
Auteur: Région Outre-Mer