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Méditerranée : MAYDAY ! Personnes en danger, ONG criminalisées

15 juin 2018

Dimanche 10 juin, alors que l’Aquarius, navire de sauvetage de l’ONG SOS Méditerranée, naviguait vers les côtes italiennes afin d’y débarquer 629 personnes, dont 7 femmes enceintes et 123 mineur·e·s, récupérées lors de six opérations de sauvetage, les autorités italiennes déclarent leurs ports fermés et rejettent la responsabilité de l’accueil des naufragé·e·s sur Malte.

Aquarius méditerranée

Durant deux jours de crise politique entre l’Italie et Malte, l’Aquarius est tenu de stationner dans les eaux internationales et d’attendre les instructions des autorités maritimes compétentes sur le port sûr de débarquement comme le prévoit le droit maritime. Il reçoit finalement l’ordre de mettre le cap sur Valence en Espagne désigné comme « port sûr » suite à une proposition du gouvernement espagnol.

Si Valence est certes un « port sûr », il est loin d’être le port sûr le plus proche qui aurait permis, comme le prévoit le droit maritime dans une telle situation, de réduire au maximum le temps passé en mer pour les personnes survivantes. Il se trouve à plus de 1 500 km (760 miles marins) de la position de l’Aquarius, soit 2vingt fois plus loin que les côtes italiennes (64 km, 35 miles) ou maltaises (50 km, 27 miles). Il faudra ainsi environ quatre jours à l’Aquarius pour rejoindre Valence. Les capacités du navire ne permettent pas d’assurer la sécurité des rescapé·e·s, ce sont deux navires des gardes-côtes italiens qui, comble de l’absurde, ont pris à leur bord la majeure partie des passagers et des passagères et accompagnent l’Aquarius jusqu’à Valence. Le 14 juin après-midi, les conditions météorologiques étaient tellement mauvaises, mettant les personnes à bord en danger, que les trois navires ont dû se rapprocher des côtes de la Sardaigne, sans pour autant pouvoir accoster.

Une atteinte grave et dangereuse au droit maritime

Si la proposition espagnole vient dénouer une situation plus que critique, elle ne résout pas la crise qui la sous-tend, reflet de l’attitude des pays européens depuis plusieurs années face aux arrivées de personnes migrantes et les personnes mortes ou disparues en Méditerranée : contrôler plutôt que sauver, éloigner du regard plutôt qu’accueillir.

Si l’attitude de l’Italie choque d’un point de vue éthique, elle va également à l’encontre du droit international de la mer (conventions SAR et SOLAS) qui oblige les navires à débarquer les survivant·e·s dans « un lieu sûr » et prévoit qu’un navire transportant des personnes dont la vie est menacée, jouit d’un droit d’accès au port le plus proche. Les États signataires de ces conventions ont également l’obligation de se coordonner et de coopérer. L’État en charge de la zone de recherche de sauvetage est responsable de cette coordination. Ils doivent aussi respecter les directives de l’Organisation maritime internationale qui prévoit que le Centre de coordination des secours (MRCC) responsable, s’il considère qu’il n’a pas autorité, a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour réduire au maximum le temps passé à bord par les survivant·e·s et accélérer le débarquement.

Par ailleurs, certaines des personnes à bord de l’Aquarius étant des demandeurs et demandeuses d’asile, le refus d’accès à un port sûr du gouvernement italien pourrait constituer une violation du principe de non-refoulement de la Convention de Genève relative au statut de réfugié.

Le mépris de la France et des autres pays européens

Emmanuel Macron s’est indigné du « cynisme » et de « l’irresponsabilité de l’Italie » face à la situation, pourtant cette crise est bien engendrée par un système d’accueil européen défaillant qui fait porter la responsabilité de l’accueil des personnes migrantes aux États européens de première arrivée, tandis que les autres se montrent très peu solidaires. En témoigne, l’échec du mécanisme de « relocalisation » qui devait permettre de transférer 100 000 personnes de Grèce et d’Italie vers d’autres Etats européens et dont seulement 34 000 personnes ont bénéficié.

La France semble elle-aussi bien cynique en critiquant l’attitude du gouvernement italien alors qu’elle-même refoule chaque jour à ses frontières avec l’Italie, des dizaines de personnes exilées cherchant à rejoindre la France, notamment des demandeurs et demandeuses d’asile et des mineur·e·s isolé·e·s. Au mépris de la législation et des droits fondamentaux, les autorités françaises n’ont cessé de renforcer les dispositifs de contrôle, blocage et refoulement des personnes migrantes vers l’Italie depuis juin 2015, allant même jusqu’à intervenir sur le territoire de son voisin.

 Stigmatiser davantage les ONG de sauvetage

Cette attitude des autorités italiennes ne semble pas uniquement destinée à bousculer les autres États européens, mais s’apparente aussi à une pression supplémentaire sur les ONG de sauvetage en Méditerranée, qui ne cessent d’être harcelées, accusées de collusion avec des trafiquants d’êtres humains et stigmatisées comme responsables des arrivées sur les côtes européennes. Pourtant, il est important de rappeler que des ONG ont commencé à mener des opérations de sauvetage devant l’inaction des Etats en Méditerranée et l’augmentation du nombre de naufrages dès 2014.

Tandis que douze navires affrétés par neuf ONG parcouraient la Méditerranée centrale en 2016 et effectuaient la majorité des sauvetages, ils ne sont plus que six à naviguer alternativement depuis le début de l’année 2018, dans cette zone de la Méditerranée et gérés actuellement par quatre ONG. Tous les autres ont dû arrêter leurs activités face aux menaces, poursuites judiciaires et diverses entraves.

Le SeaWatch 3, autre navire citoyen avec l’Aquarius à poursuivre les sauvetages en Méditerranée centrale, est également mis en difficulté depuis le début de la semaine. Appelé le 11 juin pour venir à l’aide d’un navire militaire américain qui a procédé au sauvetage de 41 personnes et à la récupération des corps de douze victimes du naufrage, le SeaWatch 3 n’a pas obtenu de réponse du centre de coordination des sauvetage italien (MRCC) quant au port sûr où il pourrait débarquer les survivant·e·s et les personnes décédées. Face à ce silence et dans le contexte de crise actuelle, il n’a pu prendre à son bord les personnes présentes sur le bateau américain. Le 14 juin, après deux jours d’attente, le bateau américain, qui n’est pas équipé de chambres frigorifiques, a été contraint pour des raisons sanitaires évidentes, de rejeter à la mer les douze corps qu’il avait récupéré. Douze personnes dont le corps ne pourra jamais être remis à leur famille. Une attitude des autorités italiennes inimaginable si ces personnes décédées avaient été ressortissantes européennes.

MAYDAY … MAYDAY … MAYDAY Position : Mer Méditerranée … Situation : droit international bafoué, personnes en danger, ONG criminalisées … demandons intervention immédiate pour un changement radical des politiques migratoires européennes …. Demandons un accueil digne pour toutes et tous… MAYDAY … MAYDAY… MAYDAY…

 

En savoir plus :
Guide Proasyl, Les réfugiés en situation de détresse en mer : agir et assister. Conseils pour capitaines et équipages
Communiqué SOS Méditerranée, 12 juin 2018, L’Aquarius reçoit l’instruction de se rendre à Valence en Espagne pour le débarquement de 629 hommes, femmes et enfants secourus en Méditerranée.
Communiqué de Sea Watch, 13 juin 2018, Shipwreck survivors and bodies stuck on US warship due to italian port closure – Sea-Watch 3 last rescue vessel left in Mediterranean .
Communiqué ASGI (en anglais), 12 juin 2018, Aquarius : Spanish intervention does not relieve Italy from its responsibilities.

 

Pour rappel, sur le site de La Cimade, une actualité sur la criminalisation des ONG en mer Méditerranée, septembre 2017,  UE Afrique : Sous couvert de sauvetage, marchandage des personnes en migration

 

Photographie : Sauvetage par SOS Méditerranée dans les eaux internationales au large de la Libye, octobre 2017. © Anthony Jean

Auteur: Pôle Europe et International

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