Réaffirmons notre rôle de vigie, défendons nos libertés
Il y a 40 ans, le gouvernement demandait à La Cimade d’être présente dans tous les Centres de ...
Le projet Last Rights, en collaboration avec d’autres organisations de la société civile, dont La Cimade, et des défenseurs des droits humains, publie ce jour un mémorial de la douleur et des doléances qui condamnent fermement les lois, les politiques et les pratiques des Etats et de leurs agences, qui conduisent à la mort et à la disparition de tant de personnes sur les routes migratoires.
(A noter: il est possible pour les associations de signer ce mémorial si vous le souhaitez. Veuillez retrouver la page pour signer, par ici.)
1. Notre Mémorial est dédié tout autant à la mémoire de toutes les personnes mortes, et de
celles portées disparues qu’à celles qui éprouvent un chagrin profond et durable lié à la perte
d’un être cher dues à des politiques publiques aux frontières inacceptables, inhumaines et
meurtrières. Ce mémorial vient aussi en soutien et en défense à toutes les personnes qui
embarquent aujourd’hui et à l’avenir dans des voyages périlleux et incertains.
2. Nous, soussignés, condamnons les actions et inaction de tous les États et de leurs agents, y
compris le racisme systémique, la discrimination et les hostilités qui causent et contribuent à
occulter le sort de tant de personnes qui prennent les routes migratoires.
3. Nous exigeons, pour une protection effective de toutes les personnes qui entreprennent des
voyages migratoires périlleux et leurs familles, que tous les États et toutes les institutions
internationales cessent immédiatement l’ensemble des politiques de contrôle de l’immigration
et de sécurisation des frontières qui violent les droits humains, sur leurs propres territoires et
au-delà, y compris la mort et les disparitions, ainsi que les pratiques qui en découlent.
4. Nous exigeons, pour le respect des droits humains fondamentaux, que tous les États
s’acquittent de leurs obligations légales, morales et éthiques en matière de protection de la vie
de tout individus, quelles que soient ses caractéristiques ou son statut, agissant légalement ou
non, pendant ou à la suite du parcours migratoire. Nous exigeons de ces États de faire tout ce
qui relève de leurs responsabilités et de leurs compétences pour prévenir tout préjudices, toute
perte de vies humaines et d’agir de manière à garantir la dignité, la vérité et la justice.
5. Pour une protection des droits humains fondamentaux, nous dénonçons les attaques et
les mises en danger de la vie des personnes le long des routes migratoires et des défenseurs des
droits humains qui leur viennent en aide, par les États, les organismes transnationaux et agences,
les acteurs et réseaux criminels. Nous sommes solidaires de toutes les personnes qui aident et
apportent un soutien humanitaire aux personnes migrantes en détresse ayant besoin de
protection tout au long du parcours migratoires.
6. Plus particulièrement, nous condamnons le recours aux poursuites pénales, à des mesures
d’interdiction et autres moyens visant à saper et à dissuader, à la fois, les actes de solidarité
ainsi que les personnes qui cherchent à sauver une vie ou à obtenir justice pour celles qui
souffrent des conséquences des mesures de contrôle aux frontières.
7. Reconnaissant que la société civile a le droit de s’opposer aux violations des droits humains,
de participer à des activités de soutien pour que ces droits soient respectés et de réaliser des
actions humanitaires. A ce titre, la société civile ne devrait n’y être entravée dans ces actions,
ni poursuivie.
8. En nous appuyant sur le droit inhérent à la vie et à la protection de toutes les personnes contre
la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, nous rappelons aux États leur
devoir de respecter et de s’acquitter effectivement de toutes leurs obligations à l’égard des
personnes en mouvement, y compris les engagements juridiques et politiques internationaux,
qu’il s’agisse de lois nationales, régionales ou des droits humains globaux, et ce dans l’esprit du
droit positif et de la manière prévue par ces instruments.
9. Il est évident, au regard du nombre croissant d’incidents mortels ou quasi mortels documentés
par des organismes internationaux et européens, des organisations de la société civile, des
tribunaux et des enquêteurs indépendants, que le régime frontalier, de plus en plus hostiles et
restrictifs, mis en place par les États et leurs agences régionales, engendre des voyages mortels,
que ce soit directement et indirectement, accidentellement ou même délibérément.
10. Il est également évident que l’action de l’appareil sécuritaire des États déployé aux
frontières causent de graves préjudices et des morts, d’une part par le biais de mauvais
traitements inhumains et dégradants organisés et systématiques à l’encontre de personnes
rendues structurellement vulnérables par des parcours migratoires forcés, mais également par
le recours à la mise en danger physique, à l’abandon même de ces personnes laissées sans
protection, à la privation de liberté et à la violence, y compris des sanctions administratives et
pénales, et cela en violation consciente et délibérée des normes en matière de droits humains.
11. Il est clair que certains États considèrent le contrôle des frontières comme une matière
d’exception, qui permet de déroger à leurs obligations en termes de droits humains. La
souveraineté de la frontière nationale légitime alors, de facto, la privation systémique des droits
humains fondamentaux des individus arrivant aux frontières de l’Europe et leur soumission à
des pratiques qui seraient manifestement illégales si elles étaient infligées à des ressortissants
nationaux, mais, dans ce cas, sans aucun moyen de recours pour ces personnes, avec des États
qui nient, évitent et se soustraient à leurs responsabilités.
12. L’impunité concernant ces violations doit cesser. Les responsables, non seulement d’actes
et d’omissions spécifiques causant des préjudices et des décès, mais aussi de la conception de
politiques et d’ordres conduisant à de tels comportements. Ils doivent aussi être tenus de rendre
des comptes par le biais d’enquêtes effectives et de procédures judiciaires et de répondre de la
mise en œuvre et l’application des décisions judiciaires. La nature transnationale d’un grand
nombre de ces violations a pour effet de priver de justice effective celles et ceux mort.e.s ou
toujours disparu.e.s pour leurs familles et à leurs communautés.
13. Les preuves relatives du décès ou de la disparition d’une personne doivent être rassemblées
avec diligence et préservées sans délai grâce à une coopération transnationale qui offre un
accompagnement aux familles qui cherchent à établir où se trouve la personne disparue et
permettre, si possible, l’identification et le rapatriement de sa dépouille. La perte ou la
manipulation délibérée ou par négligence d’éléments de preuve doit être considérée comme une
faute grave, assortie de sanctions appropriées.
14. Les décès survenant sur le parcours migratoire doivent être traités en premier lieu comme
suspects, non accidentels et faire l’objet d’une enquête et d’un enregistrement en tant que tels
jusqu’à preuve du contraire. L’absence de procédures médico-légales adéquates conduit à
l’impunité des systèmes d’illégalisation des migrations et des régimes frontaliers violents, ainsi
qu’une injustice perpétuelle pour les victimes, les survivant.e.s et leurs familles. Elle avilit et
dévalorise nos communautés et la société dans son ensemble. Les décès survenant au cours du
parcours migratoire sont invisibilisés par l’État, notamment par la persécution et la diffamation
des enquêteurs indépendants et des défenseurs des droits humains.
15. Pour chaque décès, la coopération internationale, la transparence et la protection des
personnes qui mènent les enquêtes doivent être assurées, y compris par la mise en place de
ressources indépendantes, nationales et internationales de praticiens, d’enquêteurs et de
procureurs. Les sanctions contre l’abus de pouvoir dans l’exercice des contrôles de
l’immigration et l’entrave à la justice doivent être effectives afin d’obtenir une réparation
systémique des politiques qui en sont à l’origine, et cela, à tous les niveaux de responsabilité.
16. Les États se doivent, sans délai, d’enquêter, de rechercher et de retrouver les dépouilles, de
s’impliquer dans une coopération transnationale interétatique avec les pays limitrophes et ceux
d’origine, de mettre en place et de maintenir des structures dans l’intérêt des familles afin de
leur fournir des informations et les aider dans la recherche et l’identification de leurs proches.
Nous exigeons également que les États fournissent les moyens nécessaires pour la recherche de
la vérité et la quête de justice des familles qui ont perdu des proches.
17. Toute personne qui recherche ou fournit des informations doit bénéficier d’une protection
et être assurée du caractère confidentiel de ses démarches. Le partage d’informations relatives
à la recherche et à l’identification d’une personne disparue ou décédée doit se faire sans
préjudice pour la personne qui fournit l’information.
18. Les États doivent enquêter, collecter et publier des données précises et détaillées sur toutes
les personnes disparues et décédées sur leur territoire, dans leurs eaux territoriales et dans le
cadre d’opérations de sauvetage et des activités opérationnelles de leur police aux frontières ou
de toutes activités connexes menées. Les États devraient être tenus de fournir ces informations
ainsi qu’un rapport annuel sur les mesures internes et transnationales prises afin de répondre à
ces cas dans le cadre de leurs obligations internationales afin de rendre compte aux organes de
contrôle, y compris le Comité des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires et
le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires.
19. Les États doivent veiller à ce que des organes de contrôle indépendants soient mis en place.
L’accès sans entrave à toute information ou lieu qu’ils considèrent nécessaire à la collecte
effective d’information, à l’enquête et au contrôle doit être facilité conformément à leurs
mandats respectifs.
20. Tous les États doivent démontrer activement qu’ils changent radicalement de paradigme
dans la conception de leurs lois, de leurs politiques et de leurs pratiques. Ils doivent également
démontrer comment ils prennent des mesures immédiates pour mettre fin aux préjudices
systémiques, y compris les décès et les disparitions, causés par leur propre système de contrôle
des frontières et de l’immigration, et mettre en œuvre les changements nécessaires sans délai.
21. Les décès survenant pendant le parcours migratoire sont dus au fait même que les politiques
de contrôle des frontières des États, leur discrimination, leur hostilité, leur indifférence et leurs
manquements contraignant les personnes à s’embarquer dans des itinéraires périlleux qui
mettent leur vie en danger. Ces itinéraires sont rendus plus dangereux du fait du déni et de la
dissimulation des mesures que les États prennent à l’égard des personnes qui les empruntent,
que ce soit à leurs frontières ou au-delà.
22. La déclaration de Mytilène pour le traitement digne de toutes les personnes disparues et
décédées et de leurs familles sur le parcours migratoire rédigée, signée et publiée à Thermi,
sur l’île de Lesbos, en Grèce, en mai 2018, énonce les obligations existantes et largement
reconnues pour tous les États à l’égard des personnes disparues, décédées et endeuillées, afin
de prévenir les décès, de sauver des vies et, en cas de décès, d’assurer que la vérité soit faite sur
leur devenir et de rendre justice en leur nom. Nous appelons tous les États et les organismes
internationaux à affirmer ou à adopter le texte de ce document et à mettre en place des
mécanismes effectifs afin de garantir la mise en œuvre de toutes ses dispositions.
23. Ceci est notre Mémorial de la douleur et des doléances, pour défendre les intérêts et les
droits moraux et matériels de toutes les personnes en mouvement et de leurs familles. Il est fait
en reconnaissance de la profonde inégalité et injustice des politiques migratoires dans le monde,
qui permettent à certaines personnes de jouir de la liberté de circulation, de franchir les
frontières facilement, légalement et en toute sécurité, tout en refusant ces mêmes libertés à des
millions d’autres, les contraignant à des déplacements qui sont criminalisés, irréguliers,
dangereux et souvent mortels. Nous appelons tous les États à mettre fin à ces inégalités.
Texte également disponible en anglais, en espagnol et en grec, par ici.
LE MÉMORIAL DE LA DOULEUR ET DES DOLEANCES
Fait le 24 mars 2023 à Rivesaltes, France
Signé par:
Catriona Jarvis The Last Rights Project
Syd Bolton The Last Rights Project
Fanélie Carrey-Conte, La Cimade
Catherine Benoit, GISTI
Nuala Mole, AIRE Centre
Filippo Furri, Boats4People
Marta Gorczynska, Helsinki Foundation for Human Rights
Hope Barker, Border Violence Monitoring Network
Ciaran King, Methoria
Myrto Stavridi
Kouceila Zerguine
Phevos Simeonidis
Pat Monro
Adrian Berry
Auteur: Pôle Europe et International
Il y a 40 ans, le gouvernement demandait à La Cimade d’être présente dans tous les Centres de ...
LES PRAHDA (programmes régionaux d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile) font partie ...
Depuis le début de l’année 2024, les tentatives d’expulsion de personnes originaires de pays ...
Communiqué du réseau euro-africain Migreurop dont La Cimade est membre, à l'occasion du 20ème ...