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Mission exploratoire au Suriname et à la frontière avec la Guyane : une politique française d’expulsion répressive et une absence de cadre garantissant des droits au Suriname

12 novembre 2019

Plongés au cœur de la forêt amazonienne, le Suriname et la Guyane n’en constituent pas moins des zones historiques et intenses de circulation des personnes. Le Suriname est l’un des principaux points d’entrée en Guyane et à l’inverse, il représente l’une des destinations majeures pour les expulsions organisées depuis la […]

Plongés au cœur de la forêt amazonienne, le Suriname et la Guyane n’en constituent pas moins des zones historiques et intenses de circulation des personnes. Le Suriname est l’un des principaux points d’entrée en Guyane et à l’inverse, il représente l’une des destinations majeures pour les expulsions organisées depuis la Guyane.

En dépit de leur proximité géographique, ces deux territoires présentent des enjeux migratoires ainsi qu’un traitement du sujet très contrastés.

La Cimade a souhaité améliorer sa connaissance de ces enjeux sur cette zone géographique aux caractéristiques atypiques et trop méconnues. Plusieurs missions d’observation ont été réalisées en 2017, et dernièrement en juin 2019 dans le cadre d’une mission exploratoire incluant le Suriname.

Une zone frontalière décalée de la réalité des mouvements de population et sous tension en raison de l’enjeu migratoire pour la France

La frontière entre la France et le Suriname mesure 520 km, délimitée par le fleuve Maroni au nord, puis ses affluents. Malgré l’absence totale de pont ou de route le long de la frontière, elle est aisément franchissable car le fleuve est traversable en pirogue, moyen de locomotion traditionnel et ancien.

Il n’existe qu’un seul point d’entrée officiel en France comme au Suriname, situé à l’extrémité nord de la frontière dans la ville principale de Saint-Laurent-du-Maroni (SLM) (France) et Albina (Suriname). Pour les populations établies plus au Sud le long du fleuve, entre Grand Santi et en dessous de Maripasoula, ces villes sont accessibles en plusieurs jours de pirogue alors que traverser jusqu’à l’autre rive demande quelques minutes seulement. Cette configuration rend le passage à ce point de contrôle souvent absurde et décalé de la réalité des mouvements de population.

A SLM, il n’y a pas de réelle volonté de contrôler les abords du fleuve. De nombreuses personnes viennent vendre leurs produits surinamais sur les marchés, ou se faire soigner à l’hôpital en l’absence à ce jour d’une structure médicale adaptée à Albina –un hôpital dédié aux urgences mineures et accouchements sans complication a été inauguré en janvier 2019 à Albina et doit être opérationnel dans le courant de l’année-.

En dépit d’une croissance forte de sa population, SLM souffre d’un manque de moyens caractérisé notamment par la sous-présence institutionnelle et le sous-dimensionnement de ces institutions, accentué par un fort turn-over du personnel qui complique la continuité des actions sur ce territoire. Le manque de logement favorise le développement anarchique de bidonvilles. De nombreux services publics sont saturés ou en surchauffe (nombre d’établissements scolaires insuffisant, carence au sein des professionnels de santé).

L’augmentation rapide de la population, incluant une grande part de personnes en situation irrégulière, peut mener à des tensions importantes à l’avenir. D’autant plus que la ville compte peu d’acteurs associatifs spécialisés.

Le barrage d’Iracoubo : la véritable frontière

Compte tenu de la difficulté à contrôler les traversées du Maroni, la véritable frontière a été déplacée sur le littoral, entre SLM et Cayenne à Iracoubo, à travers la mise en place d’un barrage de gendarmerie permanent. Ce barrage, établi sur la seule route existante entre SLM et Cayenne, permet un contrôle d’identité des passagers des véhicules.

Les personnes qui vivent à l’ouest de ce barrage, sans papiers ou françaises mais dépourvues de preuve de leur nationalité, sont ainsi privées de l’accès à la préfecture, à certains tribunaux, à plusieurs services hospitaliers et consultations spécialisées, à des formations professionnelles ou universitaires.

Des expulsions expéditives et peu cadrées depuis la Guyane, menées en toute opacité

Il semble que de nombreuses expulsions aient lieu vers le Suriname dans la foulée de l’interpellation et donc en toute opacité. En effet, sur 5268 expulsions pour le département de la Guyane en 2017, 1318 seulement ont eu lieu depuis le CRA, le reste ayant donc été exécuté au moyen d’une logistique légère, très probablement par bus puis pirogue vers les pays limitrophes comme le Suriname.

Les expulsions depuis SLM apparaissent expéditives et très peu cadrées : la police aux frontières n’accompagne pas sur la pirogue les personnes expulsées, lesquelles ne sont pas remises aux autorités surinamaises à leur arrivée, mais simplement incitées à se présenter à la police, ce qu’elles ne font généralement pas.

Cette situation d’enjeu migratoire très fort à SLM contraste avec la situation au Suriname.

Au Suriname, la migration ne représente pas un enjeu politique

La situation des étranger·e·s est peu documentée depuis des données de 2015 issues de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Environ 70 000 personnes étrangères résideraient irrégulièrement au Suriname (données OIM de 2013).

Comparé à l’arsenal de moyens de lutte déployé en Guyane contre l’immigration irrégulière, les dispositifs de gestion migratoire en place au Suriname semblent peu investis par l’État.

Les demandes d’asile et de séjour sont peu nombreuses (environ 300 demandes d’asile en attente en 2019 – chiffre en hausse depuis 2017 – et environ 20 000 demandes de titre de séjour majoritairement acceptées). Des projets de régularisation (projectlegalisatie) sont lancés environ chaque année depuis 2010 afin de pallier la faible demande de titre. En cours de procédure d’asile, les personnes sont autorisées à travailler.

Le Suriname dispose d’une législation prévoyant des expulsions qui s’accompagnent d’une interdiction de retour de 6 mois à 2 ans, mais les expulsions sont peu nombreuses (873 en 2014 – données OIM) et ne seraient exécutées que par les propres moyens de la personne concernée.

La dimension peu politique de la migration s’accompagne d’absence de procédure précise et donc de possibilité d’exercer ses droits.

Le Suriname ne dispose pas d’une procédure nationale de détermination du statut de réfugié, aussi elle incombe directement au HCR qui en délègue la mise en œuvre à la Croix-Rouge. L’information sur la procédure et ses modalités semble peu circuler.

La demande de titre de séjour n’est réalisable qu’en ligne ou à Paramaribo la capitale, ce qui limite de fait l’accès. Elle est également soumise à des taxes onéreuses (365 à 1822€). Le réseau d’accompagnement semble peu développé sur le territoire.

Les personnes placées en procédure d’expulsion sont enfermées dans une des prisons de droit commun pendant un mois maximum. Il semblerait qu’aucun recours n’existe contre la décision d’arrestation, d’enfermement, d’expulsion et d’interdiction de retour.

 

***
Les Solidarités internationales et le groupe local de La Cimade en Guyane mènent un projet commun qui vise à mieux documenter la situation des personnes migrantes au Suriname et à soutenir le réseau d’accompagnement et de protection de ces personnes au cours de leur parcours migratoire. Ces missions alimenteront notamment des outils d’appui aux organisations sur place.

Auteur: Région Outre-Mer

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