X
Pétition femmes migrantes
Ile-de-France

» retour

«Nous demandons juste le droit de vivre.»

6 novembre 2019

Témoignage de Farshad et Atefeh, qui ont été enfermé·e·s pendant 46 jours au CRA du Mesnil-Amelot. Le couple afghan a été expulsé le 20 mai vers la Suède, où l’attendait un renvoi vers son pays d’origine ; nous sommes sans nouvelles d’eux depuis.

#MaParoleEstLibre

[Ndlr : les propos de Farshad sont retranscrits en italique, ceux d’Atefeh en police classique.]

« Farshad avait un magasin de tissus en Afghanistan. A chaque cérémonie, j’allais dans son magasin avec ma famille pour acheter du tissu. C’est comme ça que nous nous sommes rencontré·e·s. Après plusieurs entrevues, j’ai pris son numéro. »

« La famille d’Atefeh était une famille importante dans la ville. Ils étaient clients de ma boutique depuis plus de 12 ans. A chaque fois qu’ils avaient une cérémonie, ils venaient acheter du tissu dans ma boutique. »

« J’avais une grande maison et un grand jardin où il y avait beaucoup d’arbres. Quand je me retrouvais seule, je l’appelais. Je lui racontais mon histoire, mes problèmes, ce qui se passait dans ma vie. Nous avions une relation téléphonique. Je lui ai raconté qu’à l’âge de 15 ans, j’ai été fiancée à mon cousin paternel. Il avait 18 ans de plus que moi. Je ne voulais pas me marier avec lui : il se droguait, ce n’était pas quelqu’un de bien. Peu de temps après, ma mère a compris que je parlais au téléphone avec Farshad. Elle m’a frappée car elle n’acceptait pas notre relation et elle m’a dit que mes frères allaient me brûler vive si je continuais. »

« Ce qu’Atefeh a du mal à exprimer, c’est que même avant les fiançailles, elle a été violée plusieurs fois par son cousin. Son oncle est quelqu’un de reconnu, il a beaucoup de pouvoir. De plus, si d’une manière générale les droits des femmes en Afghanistan sont bafoués, dans sa famille à elle, qui est très puissante, les femmes n’ont vraiment aucun droit. Elle a eu beaucoup de difficultés avec sa famille, elle était traitée comme une esclave, elle souffrait beaucoup. »

« Ma mère m’a menacée en disant que je devais abandonner cette histoire, sinon mes frères allaient intervenir. »

« Un soir, alors que je rentrais chez moi après le travail, une voiture s’est arrêtée devant moi. Cinq hommes sont descendus, dont deux frères de ma femme et ils m’ont attaqué avec des bâtons et des couteaux. Ils ont cassé les vitres de ma voiture et m’ont roué de coups de bâtons et de couteaux. Des habitants de mon village m’ont ensuite emmené à l’hôpital. J’y suis resté pendant une semaine. Une fois rentré chez moi, j’ai reçu des menaces par téléphone : « Si tu prononces le nom de ma sœur c’est la mort pour toi ! ». »

« Avant que mes frères n’attaquent mon mari, ils m’ont d’abord frappée moi. Ils sont venus dans ma chambre pour me battre, ils m’ont cogné la tête contre une vitre et je me suis ouverte le crâne avec un bris de verre. Ils m’ont arraché les cheveux. C’est le lendemain qu’ils ont attaqué mon mari. »

« En Afghanistan, il n’y a pas de loi. Quand une personne a du pouvoir comme le cousin de ma femme, on ne peut rien faire. Le cousin pouvait faire tout ce qu’il voulait. Nous avons tou·te·s les deux étés puni·e·s, frappé·e·s ; ma femme n’avait plus de téléphone, nous ne pouvions plus avoir aucun contact. Puis, elle a réussi à me recontacter par WhatsApp et c’est seulement à ce moment-là que nous avons pu nous raconter ce que nous avions subi, ce que ses frères nous avaient fait à tou·te·s les deux. »

« La préparation pour le mariage avec mon cousin commençait. J’ai décidé de m’enfuir. »

« Nous n’avions au départ pas l’intention d’aller en Europe, nous voulions simplement vivre ensemble, en paix, en sécurité. Quitter la barbarie, quitter cet endroit cruel. Nous nous sommes enfui·e·s à Kaboul chez l’un de mes anciens camarades de classe qui nous hébergeait. Mon ami nous a aidé·e·s à contacter un Imam et nous nous sommes marié·e·s chez lui. J’ai appelé ma mère. Elle m’a appris que suite à notre départ, les frères de ma femme avaient kidnappé mon père. Ce sont les « barbes blanches » du village, les sages, qui l’ont libéré après que mon père leur ait déclaré : « Mon fils a 18 ans, il fait ce qu’il veut, je ne suis pas responsable de ses actes. Si vous le retrouvez, faites-en ce que vous voulez. Vous pouvez le tuer si cela vous chante ». Ma mère me dit également que j’avais déshonoré la famille, que tous étaient humiliés. Après 25 jours chez mon ami, il a commencé à recevoir des coups de fil menaçants. Il a eu trop peur pour sa propre famille et il nous a demandé de partir. Nous sommes partis dans une autre ville. Nous avons été contrôlé·e·s, on nous demandait notre « taskera » [ndlr : document d’identité afghan]. J’étais recherché, ma photo était dans tous les commissariats. Nous n’avions pas de refuge en Afghanistan. Nous nous sommes même adressé·e·s à un bureau des droits de l’Homme, mais ils nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas nous aider. Nous avons alors quitté l’Afghanistan. Nous sommes passé·e·s par l’Iran puis nous sommes arrivés en Turquie. Nous y sommes resté·e·s un mois. C’est là que des personnes nous ont conseillé d’aller jusqu’en Suède pour demander l’asile. »

« Nous cherchions un endroit où habiter et être ensemble. Au début, on ne savait tout simplement pas où aller. Ce sont d’autres personnes qui nous ont conseillé de nous réfugier en Europe. Malheureusement, nous sommes arrivé·e·s le 20 novembre 2015 en Suède et la loi sur l’immigration a changé le 25 novembre. Nous avons donné nos empreintes le 26 novembre mais la loi ayant changé, les droits des demandeurs d’asile n’étaient plus les mêmes. Nous avons beaucoup souffert, nous n’avions pas d’hébergement fixe, nous étions déplacé·e·s d’un camp à l’autre, nous vivions dans la forêt. Nous n’avions pas accès à des soins médicaux. C’était vraiment de la torture. Nous avons été dans un camp pendant cinq à six mois et ils nous promettaient qu’ils allaient s’occuper de nous. Quand nous réclamions nos droits nous étions changés de camp, et ainsi de suite. C’étaient des souffrances incroyables. Tout le monde disait qu’il n’y avait pas de droits de l’Homme. Nous étions parqué·e·s dans des camps qui se trouvaient dans la forêt, éloignés des villes, éloignés des habitants, nous étions complètement à l’écart comme si nous n’étions pas humains. Après 6 mois d’errance nous avons enfin eu un petit hébergement où nous pouvions faire à manger et nous avons pu rencontrer un avocat. Par contre, nous n’avons jamais vu de médecin. Or, j’étais très angoissée. J’ai dû commencer à prendre des médicaments pour dormir. A notre arrivée en France, j’ai arrêté de les prendre et les angoisses reviennent, ça me prend à la gorge. Le passé revient dans ma mémoire, ça me fait mal au cœur et au corps. Quand nous sommes arrivé·e·s en France, nous avons pu faire une demande de CMU et nous avons enfin eu le droit d’aller à l’hôpital. »

« En France, côté social c’est beaucoup mieux. Nous allons à l’école pour apprendre le français, nous sentons que nous avons des droits, nous avons l’espoir d’être aidés. »

« En Suède, lorsque nous avons vu l’avocat il nous a dit que nous n’avions que 5% de chance de voir notre demande d’asile acceptée car nous étions arrivés après le changement de la loi. Il nous a dit qu’il n’y avait pas d’espoir et que nous devions partir ailleurs. Trois ans après, notre demande d’asile a été rejetée. Nous n’oublierons jamais cette souffrance. »

« Après le rejet de notre demande d’asile, nous avons été convoqué·e·s au bureau de l’immigration et ils nous ont proposé de retourner en Afghanistan avec 3000 dollars chacun. Mais nous ne sommes pas venus pour l’argent, c’est notre vie qui est en danger. Personne ne voulait nous écouter, nous comprendre. »

« On ne sait pas ce qui s’est passé en Suède, ça reste un mystère pour nous : est-ce que c’est lié au changement de loi ? Est-ce que c’est nous qui n’avons pas de chance ? Nous sommes finalement venu·e·s en France avec l’espoir d’être bien traité·e·s, d’avoir des droits, d’être considéré·e·s comme des humains. Nous demandons simplement le droit de vivre dans un endroit en paix. Nous souhaitons pouvoir rendre service à la France, travailler ici, faire quelque chose de beau. Je viens d’avoir 26 ans, mais j’ai l’impression d’en avoir 50 après toutes les souffrances que nous avons dû traverser. Malheureusement, ici les gens ne comprennent pas. Nous avons dû dormir dehors pendant 36 jours. Nous ne sommes pas venu·e·s par loisir ou par plaisir, nous avons des réels problèmes, notre vie est en danger. Aidez-nous, écoutez-nous, ayez pitié de nous en tant qu’humains. Si nous retournons en Suède nous serons renvoyé·e·s en Afghanistan. Je préfère mourir d’une balle dans la tête ici, d’une seule, plutôt que de retourner là-bas. Nous demandons juste le droit de vivre. »

#MaParoleEstLibre
La Cimade publie les témoignages des personnes qu’elle accompagne, en particulier dans les centres de rétention. Une parole libre d’une personne enfermée. Une parole qui permet de saisir les conséquences des politiques à l’égard des personnes en migration. Des textes, des extraits sonores ou des vidéos recueillis par les intervenant·e·s de La Cimade.

> Retrouver tous les témoignages #MaParoleEstLibre

Auteur: Admin_Ile_de_France

Partager sur Facebook Partager sur Twitter
À partager
Petit guide – La fabrique des sans-papiers
Septième titre de la collection Petit guide, Refuser la fabrique des sans-papiers éclaire les pratiques de l’administration française quant à la délivrance de titres de séjour ainsi que leurs impacts sur le quotidien des personnes étrangères.
Acheter militant
Faites passer le message avec ce t-shirt « Il n’y a pas d’étrangers sur cette terre » !
Retrouvez tous nos produits militants, faites plaisir à vos proches tout en contribuant au financement de nos actions sur le terrain.