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Le Tourniquet : retours d’audience du JLD

3 octobre 2019

La Cimade de Marseille assure une veille citoyenne aux audiences quotidiennes de ce tribunal très spécial, présidé par le JLD : car une présence extérieure est nécessaire pour contenir les atteintes à la dignité et aux droits des personnes. Et le cas échéant pour les porter à la connaissance du plus grand nombre.

Au Canet, le tribunal de grande instance où se passent les audiences du JLD est une petite salle adossée au centre de rétention administrative. Face à la personne retenue, il y a le juge et le greffier, le représentant de la préfecture (qui plaide pour la rétention), l’avocat (souvent commis d’office), et le cas échéant un interprète.

Dans la salle, la police aux frontière, parfois les familles des « retenus ».

Un scénario bien rodé : les professionnels débitent leur rôle, la personne enfermée ne comprend pas ce qui se passe. Dialogues de sourds, violence administrative routinière, dont le Tourniquet livre les « bonnes pages ».

Certains de ces récits sont lus par les comédiens Anne et Philippe Gastine : voir un clip vidéo « Derniers jours en France d’un migrant « .

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Quand porter plainte mène au CRA
15 novembre 2024

Tourniquet #72

Monsieur B. est présenté au tribunal pour une première prolongation de sa rétention. L’avocat indique : « C’est une victime, une victime de vols ».

L’appartement que M.B. occupe comme sous-locataire a été cambriolé, et la porte défoncée. Il a voulu porter plainte. Ne parlant pas très bien le français, il a demandé à sa voisine de téléphoner à la police pour qu’elle vienne constater les dégâts afin qu’il puisse déposer plainte.

La police s’est déplacée, a demandé à M. B. ses papiers, et a constaté qu’il était en situation irrégulière : M. B. est conduit au commissariat, puis au centre de rétention. On ne sait pas si la plainte a été enregistrée.

L’avocat précise : « Le code de procédure pénale stipule que toute personne victime d’une infraction peut porter plainte sans être inquiétée. » Sinon, cela voudrait dire que l’auteur de violence resterait impuni dès lors que la victime est un sans-papiers !

Cependant le juge décide de prolonger la rétention comme le demande la Préfecture. M. B. fait appel de ce jugement, mais la cour d’appel confirme la décision : il restera au CRA pour être expulsé.

Une atteinte grave aux droits des victimes
Selon l’article 15-3 du Code de Procédure Pénale), la police judiciaire est obligée de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions pénales et de les transmettre au Procureur de la République.

Mais que la plainte soit reçue ou non, que devient le plaignant ? le procureur peut-il autoriser son transfert au CRA ?

En 2008, la garde des sceaux s‘est exprimée à ce sujet : « […] L’identification des auteurs d’actes délictueux et l’effectivité du droit reconnu à toute personne de déposer une plainte nécessitent qu’un étranger en situation irrégulière victime d’une infraction pénale puisse porter plainte dans un service ou une unité de police judiciaire sans risquer de se voir inquiéter et de faire l’objet de poursuites pénales en raison de sa situation administrative. »

Florilège sur les conditions de rétention
15 octobre 2024

Hamid, frère de Pierre ? Impossible !
19 septembre 2024

Tourniquet #70

– « Bonjour monsieur, retirez votre casquette », commence la juge.

Monsieur R. a été interpellé sur la voie publique. Il vit en Italie, a un titre de séjour italien et est venu ponctuellement en France avec un passeport en cours de validité. Il est tunisien, il devrait avoir un visa ! Il donne à la police l’adresse de son frère à Marseille. La préfecture lui délivre une OQTF et le fait placer en rétention.

L’avocat demande la main levée de ce placement en rétention : « Ce monsieur a un passeport valide, un certificat d’hébergement, et la volonté de partir. Est-ce nécessaire de rappeler au JLD que la liberté est le principe fondamental ? Vous ne pouvez pas le maintenir en rétention s’il y a une autre solution d’éloignement. »

Cela ne lui donne pas le droit de rester en France. M. R. le sait bien. Il précise qu’il accepte de passer par la Tunisie pour rentrer chez lui en Italie, mais qu’il veut sortir du CRA.

La représentante de la préfecture affirme que le certificat d’hébergement qu’il produit actuellement ne vient pas de son frère : « C’est un M. Pierre Dupont qui l’héberge, aujourd’hui ».

M.R. est indigné : « C’est mon frère ! On n’est pas du même père ». M.R. a pourtant bien le physique d’un tunisien ! la dame qui représente la Préfecture fait une grimace sceptique : « Je me permettrais de donner mon opinion : M. Pierre Dupont, c’est une boîte à lettres, c’est tout. »

Opinion trop… personnelle, car M. R., tunisien, est bien le frère de Pierre Dupont.

La juge déclare la main levée de la rétention. M. R. sortira du CRA – si le procureur ne fait pas appel.

*Les noms ont été changés

 

A Marseille, le JLD libère peu
Alors que selon la loi, l’assignation à résidence en attendant l’expulsion doit être la règle et la rétention l’exception, en 2023, à Marseille le Juge des libertés et de la détention a libéré du CRA 17,5 % des retenus, et la Cour d’appel 15 %.

En moyenne en France, le Juge des libertés et de la détention en libère 38 %, la Cour d’appel 11%. (Rapport 2023 sur les centres et locaux de rétention)

La Préfecture viole le droit d'asile
15 juillet 2024

Tourniquet #69

Monsieur B. est libyen. Il a quitté la Libye, vit actuellement en Suisse et possède une attestation d’un foyer dans ce pays. Il a été contrôlé en France : il dit y être venu pour faire des analyses médicales – trop coûteuses en Suisse. Il est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, de septembre 2023.
La Préfecture demande son maintien en rétention, afin de finaliser les démarches pour l’éloigner. Elle a demandé aux autorités libyennes une reconnaissance et un laisser-passer.
L’avocate commence par remarquer que monsieur B a exécuté l’OQTF, puis soulève plusieurs points de nullité. Le point central est que monsieur B. dit avoir déposé, il y a trois mois, une demande d’asile en Suisse : or l’administration française n’en tient absolument pas compte alors qu’elle devrait en application du règlement Dublin le transférer en Suisse pour la suite de l’examen de sa demande, et non pas l’éloigner vers la Libye. De plus,contrevenant à la confidentialité de la demande d’asile, l’administration, a transmis son dossier aux autorités libyennes et le met en danger s’il retourne maintenant en Libye.Car
une demande d’asile implique qu’il ne soit pas présenté auprès des autorités du pays où il craint des persécutions.
Tatia Touré pour Tourniquet n°69
La Préfecture pourrait vérifier (avec les empreintes) le dépôt de la demande d’asile en Suisse, mais sa représentante affirme qu’elle n’y est pas obligée et qu’elle entend poursuivre les démarches pour l’éloignement vers la Libye.
Le juge accède à sa demande, il prolonge la rétention de M.B.,dans le but d’une expulsion vers la Libye.

 

La France doit appliquer la Convention de Genève

Extrait de la Convention de Genève, article 33

« Défense d’expulsion et de refoulement :
 1. Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. »
L’erreur de l’administration est de vouloir expulser quelqu’un vers un pays alors qu’il demande une protection et qu’on ne peut le faire tant que la demande est en cours. Ainsi, la France doit : soit s’assurer que Monsieur peut être transféré en Suisse au titre du règlement Dublin, soit le laisser déposer une demande d’asile en France.

Publicité des débats ?
15 juin 2024

Tourniquet #68

Nous ne pourrons rien rapporter de la situation de Monsieur X., de l’interrogatoire mené ce jour par le juge, des réponses du retenu, des arguments de la Préfecture, de ceux de la défense, présentés par son avocat. Pour monsieur X., la Police a oublié de signaler au public – sorti au moment du délibéré – qu’il pouvait à nouveau rentrer. Ainsi Monsieur X. a été complètement invisibilisé au cours d’une audience censée être publique.
Nos protestations ont du mal à être entendues par le juge qui fait mine de ne pas comprendre : « Parce que maintenant il faut vous inviter à entrer ? ». Oui le public que l’on invite à sortir doit aussi être invité à rentrer, d’ailleurs un avertissement collé au seuil de la porte intime « Merci de patienter ».
Tatia Touré pour Tourniquet n°68

Cette déconsidération de la publicité de la justice s’accompagne de situations régulièrement observées : grille d’entrée fermée, première audience de la matinée démarrée lorsque le public est admis à entrer, jugement déjà rendu quand un policier trouve la bonne clé pour ouvrir la porte au public, conditions d’écoute difficiles lorsque les portes internes donnant sur la salle d’audience ne sont pas fermées.
Cependant, lors d’une audience récente, au retour du public suite au délibéré, le JLD s’est interrompu : « Je reprends… car le public n’a pas pu entrer ».

Constat : ce tribunal judiciaire qui ne juge que des étrangers a un fonctionnement quotidien bien différent de celui d’un tribunal judiciaire de centre-ville ; ce qui est nécessaire dans l’un semble facultatif dans l’autre.

Enfermer à tout prix
15 mai 2024

Tourniquet #67

La juge des Libertés et de la Détention énonce quelques éléments de la situation de monsieur A. : son âge, son adresse, … l’OQTF qu’il a reçue. Elle ajoute que par ailleurs, il est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire

– « Monsieur, savez-vous en quoi consiste votre obligation ? » Oui, il le sait, il doit pointer régulièrement dans un commissariat, et ne peut quitter la région.

L’avocate conteste le placement en rétention, qui n’est légal qu’en vue d’une expulsion : « Il ne peut être éloigné, il n’a rien à faire ici. » : en effet, le Juge d’instruction demande que M.A. ne quitte pas le territoire. Elle ajoute qu’il est père de deux enfants français (un bébé de trois mois et un enfant inscrit en maternelle).

La représentante de la Préfecture, ignorant la loi, affirme qu’il n’y a pas de « contradiction entre la situation de monsieur et son placement en rétention. » …

Délibération et décision de la JLD : au vu de son contrôle judiciaire, M.A. ne peut pas quitter le territoire français. Elle met donc fin à la rétention de monsieur A., et le place en assignation à résidence.

Deux jours plus tard pour une situation semblable, l’argument est repris et affiné par la représentante de la Préfecture : « Rétention et contrôle judiciaire ne sont pas incompatibles ; le seul point qui peut l’être, c’est l’éloignement.  De son point de vue, on peut placer en rétention une personne en vue de son éloignement, – même si cet éloignement est légalement impossible.

 

Que dit la loi ?

La rétention administrative permet de maintenir dans un lieu fermé (centre de rétention administrative) un étranger qui fait l’objet d’une décision d’éloignement, dans l’attente de son renvoi forcé. (Service public.fr)

« Aux termes de l’article L. 741-3 du CESEDA, un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l’administration étant tenue d’exercer toutes diligences à cet effet, dès le placement en rétention…

Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté. » (Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, nov 2023).

De l'EPAHD au CRA
15 avril 2024

Tourniquet #66

 

Monsieur B. est algérien, né à Marseille  avant l’indépendance de l’Algérie où il n’a jamais vécu. Il a grandi et toujours travaillé à Marseille, dont 20 ans comme docker. Il est retraité et a toujours eu un titre de séjour.

Les membres de sa famille, présents dans la salle, sont tous français. A son entrée dans la salle d’audience, il se déplace avec difficulté, il a l’air hagard. Il a 66 ans.

Depuis 2022, il vivait en EHPAD, après avoir fait un AVC et avoir été hospitalisé en soins psychiatriques. Il est atteint d’une maladie dégénérative. Il est sous tutelle.

Mais M.B. est aussi sous le coup d’un arrêté ministériel d’expulsion pour « apologie du terrorisme ». Il y a deux jours, le juge a autorisé une « visite domiciliaire » afin de l’amener au Centre de Rétention.

L’avocate conteste avec force ce placement au CRA et demande une mainlevée immédiate de la rétention. La « particulière vulnérabilité » de ce monsieur n’a pas été prise en compte, en particulier quand les policiers se sont emparés de lui à la maison de retraite, le menottant pieds et poings… Ils étaient huit !

Elle fournit un certificat de psychiatre qui demande son maintien en milieu médicalisé, puisqu’il cumule les pathologies : diabétique, il a déjà fait un malaise et a dû être conduit aux urgences.

Bien évidemment, ce monsieur ne présente aucune menace à l’ordre public… Et il a une résidence stable, avec un bail à l’EPHAD.

La préfecture réfute toute l’argumentation.

Le JLD rejette la requête de mainlevée de la rétention : Monsieur B. reste au CRA !

« En 2 mois de rétention, M. C. n'a pas fait de tentative de suicide »
15 mars 2024

Tourniquet #65

« Pourquoi Monsieur C. n’est-il pas dans un service de psychiatrie comme l’a demandé le médecin du CRA ? », interroge son avocate.

Monsieur C. a déjà passé deux mois en rétention ; il a refusé d’embarquer pour la Tunisie. C’est que là-bas il n’a personne, sa famille est ici. De plus, il attend les résultats de l’enquête menée à sa demande par la police des polices. M.C. a en effet saisi le Défenseur des droits pour violences multiples lors de son arrestation. Il parle de torture, de viol. Il fait part de la souffrance mentale qui le poursuit et de sa volonté de se suicider en rétention.

L’avocate produit les certificats médicaux du médecin du CRA : le dernier, établi peu de jours avant cette audience, précise que les soins ne peuvent être délivrés ni au centre de rétention ni en ambulatoire, et que la rétention nuit gravement à l’état de santé de M. C.

La représentante de la préfecture balaie les propos du retenu : « En deux mois de rétention, M. C. n’a pas fait de tentative de suicide » constate-elle froidement. Quant aux certificats médicaux, elle soutient que le médecin du centre n’a pas conclu, littéralement, à « l’incompatibilité de la rétention avec l’état de santé du retenu ».

Le juge suit ce raisonnement pour le moins spécieux : contre l’avis médical, la rétention de M.C. est prolongée de 15 jours.

Fidèle à la lettre … contraire à l’esprit de la loi.

La représentante de la Préfecture ainsi que le JLD jouent ici sur les mots. « La rétention nuit gravement à la santé » selon le médecin. Il aurait dû écrire : « est incompatible avec l’état de santé… » ce qui aurait pu aboutir à une hospitalisation.

L’esprit de l’Instruction du gouvernement du 11 février 2022 est pourtant clair :
« Les droits des personnes malades … s’appliquent aux personnes placées en rétention, notamment le droit à la protection de la santé (…)
Le médecin exerçant (au CRA) est considéré comme le médecin traitant des personnes retenues. Il a les mêmes attributions que tout médecin exerçant en milieu libre (…)

A la demande du patient, le médecin est tenu d’établir un certificat médical dans le cadre de la procédure de protection contre l’éloignement ou d’assignation à résidence pour les personnes dont l’état de santé le justifie. Ce certificat doit être adressé au médecin de l’OFII par le médecin du CRA, avec l’accord de la personne retenue à qui il est remis une copie.
… Le recours à un psychiatre en vue d’établir un diagnostic doit être possible en dehors des situations d’urgence. Une hospitalisation en service de psychiatrie est organisée dès qu’elle est indiquée. »

 

«Défavorablement connu... »
15 février 2024

Tourniquet #64

La machine à expulser
Le fait d’être « défavorablement connu des services de police » signifie pour la préfecture qu’on est susceptible de « causer une menace à l’ordre public » – la notion d’ordre public est aussi vague que celle de « défavorable ». 
Ce sont pourtant les bases qui justifient la délivrance d’OQTF, donc d’expulsions.
Le raisonnement est en boucle : vous êtes illégalement en France, donc vous troublez l’ordre public, donc OQTF, donc CRA (et non assignation à résidence), car vous êtes défavorablement connu…
Cette audience a eu lieu quelques jours avant la promulgation de la loi du 26 janvier 2024. Dorénavant, l’enfermement concerne aussi : les parents d’enfants français, les femmes victimes de violences, les demandeurs d’asile, les porteurs de maladies graves, LGBT+… Toutes ces personnes en étaient légalement protégées, sauf en cas de menace particulièrement grave à l’ordre public. A présent, même si ladite menace n’est pas « particulièrement grave », elle mène au CRA.

« J'ai déjà été placé huit fois en rétention ! »
18 janvier 2024

Tourniquet #63

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Apatridie

Un apatride est, selon la convention de New York du 28 septembre 19541, « toute personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ». Plus simplement, un apatride est une personne dépourvue de nationalité, qui ne bénéficie de la protection d’aucun État.

La convention européenne sur la nationalité de 1997 prévoit dans son article 4 que « chaque individu a droit à une nationalité » et que « l’apatridie doit être évitée ».

La France l’a signée mais ne l’a pas ratifiée. Depuis 2015, l’étranger qui souhaite demander le statut d’apatride peut s’adresser à l’Ofpra (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides).

Environ 15% des demandes aboutissent à une protection … mais le dossier de M.G. n’est pas recevable, car il a une ITF…

 

Que fait la police ?
14 décembre 2023

Tourniquet #62

M. C, tongs aux pieds, survêtement trop petit et blessures au visage, s’excuse de sa tenue auprès de la juge : « Un quart d’heure après mon arrivée dans ma chambre au CRA, six à sept personnes m’ont agressé et volé mes affaires. Je me suis plaint, la police ne s’est pas déplacée. Depuis deux jours je réclame auprès de l’administration du CRA, ils ne font rien. J’ai peur ».

Les policiers de la PAF, en charge de la surveillance du CRA, présents dans la salle d’audience, ne corroborent ni n’infirment les propos du retenu.

M. C. est libyen, il est né à Tripoli il y a 27 ans. « Je suis arrivé en France à 14 ans. Je travaille. Je fais les marchés, des emplois dans de petits snacks. Ça m’arrive de ne pas respecter la loi… »

Tatia Touré

L’avocat demande la main levée de la rétention car « M. C. n’est pas en sécurité au CRA, il y a été agressé et n’a pas pu exercer ses droits pour être protégé. Il est en danger. Le retenir 28 jours comme le demande la préfecture n’est pas tenable ».

La préfecture accuse M. C. d’avoir fait l’objet de cinq OQTF non exécutées : il est connu de la police sous plusieurs alias, il est sans adresse ni passeport, il a fait de la prison. Pour la représentante de la Préfecture, il n’y a donc pas lieu de se préoccuper de la sécurité de ce monsieur.

Quant à la juge, elle prolonge la rétention, – et en même temps le danger qui guette monsieur C. Elle promet tout de même d’informer le Procureur de l’agression dont il s’est plaint.

Manifestement, pour la PAF garder ne signifie pas protéger, mais seulement empêcher de s’évader. Qui protégera M.C. ?

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Le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté rappelle, dans un rapport de mai 2023 : « L’intimité des personnes retenues doit être préservée. Les portes des chambres, des sanitaires, et des armoires personnelles doivent être équipées de dispositifs de verrouillage.
(…) L’intégrité physique des personnes retenues doit être garantie. Les autorités doivent garantir aux personnes retenues la protection contre toute forme de violences. Elles doivent prendre toute mesure propre à les prévenir et à y mettre fin, dans le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes enfermées. »
(Journal Officiel du 22 juin 2023)

«Pas de pitié pour quatre enfants, pourquoi ?»
16 novembre 2023

Tourniquet #61
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

Monsieur S. se présente auprès de la Juge des Libertés et de la Détention avec une pochette remplie de documents ; il demande à l’interprète d’expliquer qu’elle contient les papiers concernant sa famille, sa femme et leurs quatre enfants en bas-âge, présents dans la salle.

M.S. est nigérian, il est arrivé en France en passant par la Libye, puis l’Italie. Il a demandé l’asile mais ni l’Italie ni la France n’ont accepté de lui accorder leur protection. Depuis 2019, il survit, avec sa femme et leurs enfants, dans la plus grande précarité, à la rue quand « le 115 » ne peut pas les héberger.

Pour la Préfecture, c’est très simple : M.S. a reçu une OQTF, il doit rester au CRA le temps d’organiser son expulsion vers le Nigeria.

Image Tatia Touré T61L’avocate de Monsieur S. proteste : cette OQTF a été délivrée sans examen approfondi de la situation fragile de la famille. Un recours a été déposé. En attendant, l’intérêt supérieur des enfants exige la libération du père.

Quand la juge lui donne la parole, M. S. évoque avec émotion les soucis que lui donnent la santé de ses enfants. Il peut produire les preuves qu’il les prend bien en charge. Sa femme est en pleurs.

La juge décide de prolonger la détention de Monsieur S. pour 28 jours de plus. Elle explique qu’elle n’est pas compétente pour l’autoriser à rester en France.

M.S. demande à embrasser ses enfants qui jouent à l’extérieur. Les policiers refusent, mais finissent par accepter qu’il donne un peu d’argent liquide à sa femme. Alors M.S. et sa femme tombent à genoux devant la juge, qui demeure inflexible : « C’est la loi… mais les visites sont autorisées ». La juge oublie que Mme S. n’a pas les papiers indispensables pour une visite à un retenu.

M. S. est emmené quasi de force au centre de rétention. Il lance à la salle : « Pas de papiers pour quatre enfants, pourquoi ? pourquoi ? »

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Le juge des libertés et de la détention (dit « JLD » en pratique), en procédure pénale française, est un magistrat du siège « spécialement chargé de statuer sur la mise en détention provisoire d’une personne mise en examen, et sur ses éventuelles demandes de mise en liberté ». Il est chargé de statuer sur la rétention administrative des étrangers et sur les demandes de prolongation d’hospitalisations psychiatriques sous contrainte.

Le JLD est saisi par le service des Étrangers de la préfecture en ce qui concerne le maintien en rétention des étrangers. Le JLD n’a pas compétence de statuer sur les décisions administratives : OQTF, éloignement…

Une place pour Mme K ?
15 octobre 2023

Tourniquet #60
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

Aujourd’hui c’est une femme qui entre au tribunal, accompagnée d’un brigadier de la police aux frontières (PAF).

Elle vient de la « Zone d’Attente » de l’aéroport, où elle est retenue depuis quatre jours. A son arrivée en provenance de Rhodes, l’entrée sur le territoire lui a été refusée : elle détenait un faux passeport. Le juge doit examiner la demande de prolongation de sa rétention pour huit jours supplémentaires.

Madame K. est syrienne, comme ses deux fils. Eux vivent régulièrement en France, avec le statut de réfugiés. Ils sont dans la salle, tétanisés.

Mme K. a dû quitter la Syrie en 2013, elle a vécu ensuite en Turquie pendant dix ans. D’une voix faible elle explique à la juge qu’elle n’avait plus sa place en Turquie, et s’excuse d’avoir utilisé ce faux document pour tenter de trouver un lieu où vivre.

Malgré les nombreuses irrégularités dans la procédure soulevées par son avocate, la juge décide de maintenir Mme K. en Zone d’Attente. Les deux fils courbent les épaules et pleurent.

Depuis son arrivée en zone d’attente, Mme K. a déposé une demande d’asile sur les conseils de la police. C’est en visioconférence avec l’OFPRA, demain, qu’elle devra justifier, que sa demande « n’est pas manifestement infondée ».

A travers les écrans, sans contact humain direct, pourra-t-elle se faire entendre ? Sinon, elle sera renvoyée en Grèce dans la semaine.

Dernière heure : nous apprenons que la demande d’asile de Madame K. a été jugée recevable. Dès lors elle a pu sortir de la zone d’attente et rejoindre sa famille. En attendant que la France décide de lui accorder – ou non – sa protection.

***

OFPRA : Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides

HCR : Haut-Commissariat aux Réfugiés

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Zone d’attente

Où ? dans un aéroport, un port, une gare ouverte au trafic international.

Pour qui ? Y est placée une personne à laquelle l’administration refuse l’entrée en France, pour : défaut de visa, de justificatifs concernant le séjour, menace pour la sécurité, l’ordre public, mesure d’interdiction (judiciaire ou administrative).

Comment ? Décision écrite et motivée, notifiée à la personne, mentionnant ses droits. Possibilité de former un recours, ou de déposer un référé, contre ce refus. Au Tribunal Administratif.

Combien de temps ? placement en Zone d’attente pour 4 jours ; puis (après passage devant le JLD), 8 jours renouvelables une fois.

Florilège - 1 -
15 septembre 2023

Tourniquet #59
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

  • Un retenu : « Je suis sorti de prison pour venir dans une autre prison. Je veux juste partir. »
  • Un juge : « Je fais ce que je peux avec les moyens que la loi me donne. »
  • Une représentante de Préfecture au juge : « Il dit qu’il ne parle pas français et qu’il n’a pas compris ce qu’il a signé. Mais c’est comme la majorité des français ! pour les gens, le français juridique, c’est de l’arabe ! Excusez la plaisanterie. »
  • Un juge au retenu : « Pourquoi vendiez-vous des cigarettes ? » – « Pour manger, madame ! »
  • Un représentant de Préfecture : « Ce monsieur est arrivé en France à l’âge de 2 ans. Pendant 42 ans il n’a fait aucune démarche pour régulariser sa situation. Il doit rester au CRA avant son expulsion. »
  • Une juge à un retenu portugais, ayant un CDI depuis quatorze ans : « Retournez au Portugal ! C’est pourtant joli, Porto ! »
  • Un retenu : « Je vais me tuer si je reste au CRA. ».

Ici, que pèsent les faits ?
10 juillet 2023

Tourniquet #58
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

« – Monsieur a reçu une OQTF en juillet 2022, or il n’a pas quitté le territoire.

Monsieur a refusé d’embarquer lorsqu’un vol a été programmé vers l’Algérie.

Et pour faire obstruction à son expulsion, il a déposé une demande d’asile. »

 

C’est le représentant de la Préfecture des Bouches-du-Rhône qui parle, déversant reproches et accusations.

 

Illustration T 31 et 58« – La Préfecture demande une dernière prolongation de rétention de 15 jours pour Monsieur qui a déjà passé 75 jours en rétention.

On nous dit qu’il a refusé d’embarquer, mais c’est faux : la Préfecture avait annulé le vol la veille du départ. Monsieur n’ayant alors pas reçu de réponse à sa demande d’asile – un droit qu’il a exercé – il ne pouvait être éloigné.

Par ailleurs, Monsieur ne peut se tenir debout devant le juge, il souffre de coliques néphrétiques, il aurait été incapable de se déplacer ; on peut même se demander comment il peut être maintenu en rétention.

Enfin, ce monsieur a une compagne française qui a accouché il y a quinze jours, il n’a pu voir son enfant. »

 

Ce sont les faits énoncés par l’avocat.

Il s’agit de la même personne. D’un côté des accusations, de l’autre des faits.

Pourtant, le juge décide d’une dernière prolongation puisque, depuis le vol annulé, Monsieur a reçu un refus de sa demande d’asile.

Libéré par le silence du consulat
19 juin 2023

Tourniquet #57
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

Monsieur L., marocain, est arrivé très jeune en France. Il a 18 ans depuis quelques mois.

La JLD rappelle qu’il a d’abord été retenu au Centre de Rétention (CRA) de Nice : il y a passé un mois, il y a subi des violences et a été transféré au CRA à Marseille. Là, il y a quatre semaines il est déjà passé devant le juge, qui a autorisé une nouvelle prolongation de sa rétention.

Aujourd’hui – cela fait deux mois que M.L est enfermé – la préfecture demande une nouvelle prolongation de 15 jours. La juge rappelle qu’une demande de reconnaissance a été adressée au consulat du Maroc il y a plus de trois semaines, qu’il n’y a pas eu de réponse.

Elle interroge alors le jeune homme qui dit au bord des larmes que ça se passe très mal, qu’il se fait agresser. Il avait eu les mêmes paroles à la précédente audience – nous y étions.

L’avocate demande alors de refuser le maintien en rétention : en effet, l’absence de réponse du consulat, sans relance de la Préfecture pendant les trente jours passés indiquent que l’éloignement ne sera pas possible dans les délais. « Et pendant ce temps, le jeune homme très fragile, vulnérable, est maltraité. »

Cette demande est suivie par la juge : dans sa décision, elle indique qu’il n’y a pas de perspective d’éloignement pour ce monsieur, et qu’elle ne veut pas lui faire payer l’absence de réponse du consulat. Elle le libère donc.

Nous apprenons que le procureur n’a pas fait appel de cette décision : la justice, ce jour-là a fait son travail, respecté l’esprit de la loi. Et empêché que la punition injuste de ce jeune homme se poursuive.

 

Laisser-passer consulaires
Sans laisser-passer du consulat du pays d’origine, la France ne peut pas expulser les étrangers dépourvus de passeport valide qu’elle juge indésirables. Le consulat du Maroc a souvent rechigné à délivrer des laissez-passer à ses ressortissants, particulièrement en 2021 du fait du Covid. Le ministère de l’Intérieur a alors annoncé qu’il restreignait la délivrance de visas pour les marocains… 
Il semble qu’ici, la juge refuse de faire porter à ce jeune homme les conséquences de la tension entre les deux pays.

«Ils ne veulent pas de moi !»
28 avril 2023

Tourniquet #56
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

M. D. est enfermé au centre de rétention depuis déjà deux mois suite à son interpellation.
La juge rappelle les faits et ajoute: “Le Mali ne vous a pas reconnu comme l’un de ses ressortissants, la préfecture a interrogé le consulat du Sénégal qui a été relancé plusieurs fois et auquel vous devrez être présenté demain.

M. D. s’explique: “Je ne suis pas Sénégalais, je suis Malien, même si je suis marié à une Sénégalaise.” Le juge lui répète que le consulat du Mali ne l’a pas reconnu comme citoyen malien.
M. D. précise: “Bien sûr, il y a un conflit entre le Mali et le Sénégal, mes deux frères y sont morts. Ils ne veulent pas de moi !
L’avocate est combattive: “La prolongation n’a pas de sens. M. D. ne sera pas reconnu par le Sénégal qui tarde à le rencontrer, et lui-même affirme qu’il n’est pas Sénégalais. Il doit être libéré !

Après avoir délibéré, la juge considère qu’il n’y a pas de “perspective raisonnable d’éloignement” dans les quinze jours de la prolongation de la rétention demandée par la préfecture. Elle décide donc la libération et l’assignation à résidence de M. D.: “Vous pointerez au commissariat tous les jours, matin et soir, jusqu’à votre départ”.

 

L’insoluble question du pays d’origine

Quand l’étranger enfermé au centre de rétention ne dispose pas de passeport valide, son expulsion ne peut intervenir qu’après la délivrance, à la demande de la préfecture, d’un laisser-passer délivré par le consulat de son pays d’origine.

Une procédure semée d’embuches pour les préfectures:
– Ignorance ou confusion, feinte ou réelle, de l’étranger sur sa propre nationalité,
– Carence d’état civil ou de moyens de recherche dans le pays supposé d’origine,
– Inaction du pays d’origine en rétorsion “diplomatique” envers l’État français, etc.

Résultat: des semaines d’attente en rétention pour l’étranger, avec parfois au bout de six semaines, une libération sous contrôle judiciaire pour “absence de perspective d’éloignement”.

La solution existe: cesser les expulsions, reconnaitre « qu’il n’y a pas d’étrangers sur cette terre !”

Qui est violent ?
8 mars 2023

Tourniquet #55
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

M. T. a saisi lui-même le juge pour une demande de remise en liberté: c’est une procédure où le retenu, suite à un fait nouveau, peut demander à être présenté au JLD.
La juge explique qu’il a effectué trois mois de prison, qu’à sa sortie il a été placé en rétention à Nice. Il a été transféré au CRA de Marseille, suite à une tentative d’évasion et à “un mauvais comportement”.

 

Qu’y a-t-il de nouveau dans votre situation ?” demande la juge. M. T. se lance dans une longue explication que l’interprète en arabe ne peut rendre que par bribes. “Je suis enfermé depuis le mois d’août… je n’ai pas d’habits de rechange… on me traite comme un chien…”. Devant l’attitude dubitative du juge, le ton de M. T. s’accélère, ses gestes se font plus saccadés… A la fin, il se détourne et fait quelques pas vers la sortie.

Là, un policier le ceinture violemment, et lui enserre la gorge: “Calme-toi, du calme”. Un autre policier lui attrape les jambes et ils le traînent ainsi dans le couloir.

La juge décide de poursuivre l’audience sans M. T. L’avocat n’a rien à dire. La préfecture, elle, trouve qu’on voit bien que ce monsieur est violent. Après la délibération, rien n’est dit à M. T., puisqu’il n’est pas là. Au public non plus on n’annonce rien.

 

 

Des violences policières courantes

La violence, physique ou morale, dans les lieux d’enfermement – prison, centre de rétention administratif, geôles des tribunaux… – est  courante: violence entre détenus ou retenus enfermés dans une promiscuité contre leurs grés, suicides, mais aussi violence des gardiens/policiers sur les étrangers. Au CRA de Marseille, 4 étrangers et 2 policiers ont été blessés lors d’une rixe le 17 décembre 2022. Dans l’enceinte du tribunal du JLD, l’agressivité des juges à l’égard des retenus n’est pas rare: “Vous êtes une menace pour l’ordre public !”, “Vous êtes venus en France pour commettre des infractions et toucher les allocations ?”…
 
La Cimade a pris le 2 février 2023 la décision de se retirer de sa mission d’assistance juridique au sein du CRA de Mesnil-Amelot du fait des violences en son sein (Lire l’article
Ces violences sont très partiellement documentées sur les sites d’associations telles que la Ligue des droits de l’homme, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers, la Cimade qui participent à une “Journée internationale contre les violences policières”, habituellement tenue les 15 mars. 

Déni de vulnérabilité
4 février 2023

Tourniquet #54
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Monsieur Z. est jeune, apparemment tout juste majeur. Tunisien, il est en France depuis peu.

La juge annonce qu’il a été placé en rétention directement à sa levée d’écrou: elle lui demande pourquoi il a été condamné. Comme M. Z. ne répond pas, la juge insiste. Elle veut le lui faire dire par lui-même. M. Z. finit par faire comprendre qu’il ne le sait pas.

L’avocate intervient: ce jeune a été condamné pour tentative d’agression mais après un séjour en hôpital psychiatrique, il a été jugé “inapte” et suit maintenant un traitement médicamenteux lourd: “Il n’est pas très loquace car totalement shooté aux médicaments. Il m’a dit qu’il entendait des voix…

 

M.Z. ne semble pas comprendre quand on lui dit qu’il peut s’asseoir. Quand il donne des réponses, elles sont hors contexte, mais en bon français. Ce n’est donc pas un problème de langue. C’est une manifestation du traitement de ses troubles psychiatriques.

Nous comprenons au fil de l’audience qu’il a quitté la Tunisie pour faire soigner sa maladie mentale. Sa famille ne l’aide pas, et il évoque un père violent.

Comment a-t-on pu condamner une personne sans qu’elle soit responsable de ses actes ? Comment peut-on garder enfermée (en détention comme en rétention) une personne si vulnérable ?

 

 

Un traitement inhumain et dégradant

La Cour Européenne des droits de l’Homme a déjà sanctionné la France en 2006 et 2012 pour l’emprisonnement de personnes souffrant de troubles mentaux sévères, considérant que la détention d’une personne atteinte de graves troubles psychiatriques constitue “un traitement inhumain et dégradant.”

Quand la justice couvre les négligences de la préfecture
6 janvier 2023

Tourniquet #53
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Quand la justice couvre les négligences de la préfecture.

M. M. a reçu il y a quatre mois une obligation de quitter le territoire, assortie d’une interdiction de retour pendant trois ans.
Il est algérien, nationalité confirmée à la Préfecture par les autorités algériennes il y a vingt jours. Il n’y a aucun obstacle à son éloignement. M. M. répète: “Je suis à disposition, je ne m’oppose pas”.

Pourtant cette même Préfecture demande que M. M. reste en rétention un deuxième mois, afin d’exécuter l’OQTF. “Cela n’est pas justifié”, explique son avocat qui rappelle la loi : “Le placement en rétention ne se justifie que le temps nécessaire à l’éloignement”. Il souligne qu’entre la délivrance d’un laisser-passer (pour l’Algérie) et cette audience, il s’est écoulé 20 jours; sans que soient accomplies les démarches (”diligences”), pour obtenir un billet. Il met en avant des arrêts de la Cour de cassation disant qu’en l’absence de diligences, la personne retenue doit être libérée.

Quand il a la parole, M. M. dit encore qu’il est fragile, a été opéré du cœur, et ne supporte plus ce centre.

Le représentant de la Préfecture, quant à lui, dit avec assurance que les diligences ont été faites, celles pour obtenir le laisser-passer. Ensuite, rien : pas de réservation d’avion, ce qui confirme le point plaidé par l’avocat et permet à celui-ci de conclure en s’adressant au juge : “Vous êtes la garante de la liberté.”

Le JLD choisit le rôle de gardien de la détention : “Il n’est pas démontré, dit-il, qu’il y ait eu absence de diligences.”
M. M. reste donc en rétention.

 

D’un jugement à l’autre
Dans un cas plus récent, le JLD a sanctionné l’absence de diligence de la préfecture en libérant l’étranger retenu. Une petite victoire qui démontre l’existence de marge de manœuvre pour les juges.

«Il faut m'aider»
12 décembre 2022

Tourniquet #52
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

“Il faut m’aider”

M. A. est pakistanais, il a quarante ans. La Cour d’appel et le public savent qu’il a été secouru en haute mer alors que son embarcation allait couler, qu’avec ses compagnons il est ensuite resté trois semaines en mer sur l’Ocean Viking. Dans le petit bureau du palais de Justice qui sert de salle d’audience, il est le seul à porter un masque.

La juge expose à M. A. sa situation : placement en “zone d’attente” il y a six jours, délais autorisés dépassés, libération par le juge des libertés et de la détention de Toulon, appel du procureur de la République, caractère suspensif…

La traduction en urdu se fait au téléphone : mais M. A. n’est pas juriste ! Peut-il comprendre le sens de sa présence dans cette salle ?
La suite de l’audience doit lui sembler encore plus sibylline : l’avocat plaide la non-recevabilité de l’appel du procureur. L’avocat général demande le rejet de la nullité, arguant que l’article 342-5 du CESEDA peut être interprété comme autorisant le dépassement des délais. Le représentant de la Préfecture invoque des problèmes d’organisation (“on n’a personne le week-end”) !

Les traductions au téléphone sont de plus en plus courtes.
Visiblement M. A. n’écoute plus.
Lorsqu’on lui donne la parole, il dit ces mots simples : “C’est difficile d’arriver en France. Il faut m’aider !” Mais pour la justice, là n’est pas la question.

Les policiers raccompagnent M. A. vers la sortie. Dans la salle des pas perdus, il croise ses compagnons de naufrage, qui, eux aussi escortés, vont être présentés à la justice.

Tous vont être, le même soir, libérés de la zone d’attente. Ils ont huit jours pour aller à une préfecture demander l’asile. Mais ils sont promis à bien d’autres difficultés… Car, selon le ministre de l’Intérieur, il importe de “leur rendre la vie impossible”.

 

 

Une toute petite marge de manœuvre
21 novembre 2022

Tourniquet #51
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille:

“Une toute petite marge de manœuvre”

M. A. est marocain, placé en rétention quelques jours plus tôt à la suite d’un contrôle routier: il était sous le coup d’une interdiction de présence sur le territoire français.

Il explique: “En 2015, après 9 mois de prison j’ai été expulsé de France vers le Maroc. Depuis 2016 je ne suis pas retourné en France, j’habite en Belgique ou je gère deux commerces – une poissonnerie et un garage auto – et je dispose d’un titre régulier de séjour belge. Je ne désire que retourner en Belgique.
Son avocat fait valoir qu’il dispose d’un passeport valide et, depuis son placement au CRA, d’une attestation fiable d’hébergement à Strasbourg. Il peut donc y être assigné à résidence afin qu’il quitte la France par ses propres moyens.

Le juge: “Je dispose d’une toute petite marge de manœuvre; bien que vous ayez un passeport, que vous exprimiez votre volonté de rentrer en Belgique, vous n’avez pas d’adresse stable en France pour que je vous y assigne à résidence. Rassurez-vous, l’administration va vous éloigner rapidement pour la Belgique”.

Qu’a donc fait le juge de sa marge de manœuvre ? Il a interprété le droit contre M. A., qui avait pourtant expliqué que cette adresse d’amis était bien sûr provisoire puisqu’il devait retourner très vite en Belgique. Il se range à la demande de la préfecture et maintient M. A. en rétention pour 28 jours.

 

 

 

Quel usage de ses marges de manœuvre par le Juge des libertés et de la détention ?

Le JLD le rappelle souvent: sa compétence est limitée. Il ne peut pas annuler ou aménager une obligation de quitter le territoire ou une interdiction de territoire. Il ne peut examiner que la régularité d’une procédure, de l’interpellation au placement en rétention, et apprécier la nécessité de prolonger cette rétention au-delà des premières 48 heures ou de prononcer une assignation à résidence, moins pénalisante pour l’étranger. 
Mais le JLD doit se prononcer “en droit et en faits”. Examine-t-il tous les faits et notamment les conditions d’interpellations ? En droit, tire-t-il parti de la latitude permise par les textes ? Ose-t-il rompre avec la jurisprudence restrictive de son tribunal ?
Au final, le juge a-t-il été le rouage d’une machine à légaliser l’enfermement ou un gardien des libertés ? A-t-il bien exploré toutes les possibilités de rendre sa liberté à la personne étrangère dont personne n’envie les pérégrinations ? 

Si ce n'est toi, c'est donc ton frère !
10 octobre 2022

Tourniquet #50

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

M.B. entre dans la salle. Il est très jeune, frêle, à peine 20 ans. Il est algérien. Il y a 2 jours il a été arrêté à Nice, où il réside, et transféré au Centre de Rétention de Marseille.

Visiblement très ému, M.B., appuyé par son avocat, conteste la légalité de son placement en rétention. Ils affirment qu’il y a erreur sur la personne.
Car M.B. n’a ni le prénom, ni l’âge, ni le lieu de naissance portés sur le dossier qui l’a amené au centre de rétention.

Cela signifie qu’au commissariat où il a été retenu pour vérifier son droit au séjour, on l’a confondu avec un autre M.B. qui lui, faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français.
Cela signifie que ses dénégations n’ont pas été entendues, qu’en l’absence de documents d’identité qu’il n’avait pas sur lui, l’officier de police judiciaire n’a pas fait les recherches suffisantes.
Cela signifie surtout qu’il est possible en France d’être arrêté, retenu au commissariat, emmené menotté à 250km de chez soi et enfermé 48h… parce que l’autorité vous a confondu avec un homonyme, et que vous avez l’apparence physique d’une personne “indésirable”.

 

La juge reconnaît très rapidement qu’il y a eu un défaut légal de placement en rétention. Elle décide que ce jeune homme sera libéré.
Mais qui réparera le préjudice qu’il a subi ? Les fonctionnaires de police de Nice seront-ils rappelés à l’ordre, seront-ils même seulement informés de ce manquement grave?

«Bon courage pour l'avenir...»
8 août 2022

Tourniquet #49
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

M. L., au CRA depuis deux mois et demi, a déjà refusé trois fois le test PCR.
S’il veut à tout prix rester en France, c’est pour s’occuper de son père. Le jeune homme, originaire des Philippines, ne se projette plus dans son pays de naissance. Plus rien ne l’y retient, ni famille, ni proches.

La juge lui expose fermement: “En refusant ces tests vous allez prendre trois mois de prison. A l’expiration de ces trois mois, vous serez ramené au CRA pour qu’on vous renvoie aux Philippines. Et on va recommencer comme ça ad vitam æternam. Votre obstination se retourne contre vous. Il n’y a aucune solution”.

Pour l’avocate, “Il est difficile de décortiquer… M. L. a cherché à régulariser sa situation il y a deux ans…”.
M. L. confie alors le long récit de son histoire personnelle et familiale.

La juge est compatissante: “Je vois que vous avez eu une vie très difficile, mais moi je ne peux rien. Essayez avec votre avocat de voir les conditions de régularisation.
L’avocate, elle, conseille à M. L. d’accepter le prochain test PCR.
Mais je ne veux pas partir” exprime-t-il une dernière fois.

La juge conclut, maternelle: “Bon courage pour l’avenir…”.

Plutôt mourir
13 juillet 2022

Tourniquet #48
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Il a 32 ans, il est Algérien, et vit depuis 2 ans à Marseille chez sa tante, avec son frère. La police a contrôlé son identité sur le Vieux-Port il y trois jours. Au commissariat, où il a été conduit pour vérification de son identité, on a interrogé la Préfecture: une obligation de quitter le territoire lui a été envoyée il y a 3 mois…

 

 

 

Dès lors, le juge des libertés et de la détention suit la Préfecture, qui demande le maintien de sa rétention pendant 28 jours, pour pouvoir organiser “son éloignement”, autrement dit son expulsion, en Algérie.

Lorsqu’il entend la décision, M. V. répète, par l’intermédiaire de son avocate, qu’il promet de “prendre le prochain avion demain, ou même aujourd’hui”, mais qu’il ne veut absolument pas rester au CRA.

– “Ce n’est pas à vous de dire ce que vous voulez” lui répond la juge.

Les policiers s’approchent pour l’emmener.

“Je vais faire la grève de la faim, vous aurez ma mort sur la conscience, laissez-moi partir par mes propres moyens” crie M. V. Pendant qu’on le fait sortir de la salle, il continue à protester, l’interprète continuant à traduire ce qu’elle entend dans le couloir: ”Relâchez-moi, je veux sortir, j’ai mal…

Menottes, dit un policier.

On entend ensuite des bruits de chocs, des cris de douleur. Un policier revient dire au juge: “Il s’est cogné la tête contre les murs”.

La juge fait évacuer la salle.
Quelque temps plus tard, on voit arriver les pompiers.

«Je ne suis pas la Fée Clochette !»
24 juin 2022

Tourniquet #47
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

La Présidente du tribunal lance cette étrange mise au point à M. B., marocain d’une quarantaine d’années. Il a été arrêté avant-hier, lors d’un contrôle “aléatoire” d’identité. C’est un travailleur sans papiers.

La juge lui avait demandé pourquoi il voulait rester en France.
Il avait répondu:
– “J’ai travaillé, je n’ai pas encore été payé. Je veux obtenir mon salaire avant de partir. Je ne suis pas un voyou, je n’ai rien fait de mal.
– “Je ne suis pas la fée Clochette !” réplique la juge.

L’interprète en arabe semble hésiter sur la traduction.

 

 

 

La juge poursuit: “Vous êtes en séjour irrégulier. Vous n’avez pas le droit d’être en France. Votre façon de penser ressemble à tous ceux qui sont présentés ici. C’est tellement banalisé de travailler sans papiers que vous avez du mal à comprendre ce qu’on vous reproche. Mais le centre de rétention n’est pas une prison ! Vous avez le droit de recevoir des visites, de voir un médecin.

Ces mises au point de la juge sont-elles utiles à M.B. ?
Faut-il lui rappeler qu’il ne vit pas un conte de fées ? En tous cas pour lui, prison ou rétention, c’est la même chose: une privation de liberté, un enfermement, injuste.

Et l’accueil des Afghans ?
8 juin 2022

Tourniquet #46
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

M. Y. a quitté son pays en août dernier, à l’approche des Talibans. Il est arrivé en Europe par l’Italie.

Vous dites que vous êtes en danger” lui dit la juge. “Mais vous devez déposer votre demande d’asile en Italie, c’est le règlement européen.

M. Y. raconte sa situation, via son interprète en pachtou :

 

On m’a forcé à donner mes empreintes. Nous étions 160 personnes confinées dans le même lieu en Italie. Les autorités nous ont demandé où nous voulions aller. Ils ont dit qu’ils prenaient nos empreintes pour vérifier que nous n’étions pas des criminels. Les personnes qui voulaient rester ont été conduites ailleurs, et nous, ceux qui voulions partir, on nous a amenés à une station de métro. Là, j’ai été arrêté par deux Pakistanais qui voulaient que je les paie. Mais moi j’avais déjà payé pour le passage. Ils m’ont enfermé. J’ai pu m’enfuir en France où j’ai de la famille.”

Pour la Préfecture tout est clair: M. Y. doit rester au CRA, puisqu’il a déclaré qu’il ne voulait pas retourner en Italie et que, de plus, il a refusé le test pour l’avion de demain.

La juge autorise le maintien en rétention, sans même demander à M. Y. où réside sa famille, ni si elle pourrait l’héberger.

M. Y. sera renvoyé en Italie pour y déposer sa demande d’asile, loin de sa famille. Peut-être que les autorités italiennes accueilleront ces Afghans fuyant les Talibans aussi bien que s’ils étaient Ukrainiens ?

Après 60 ans en France, rentrez «chez vous»!
12 mai 2022

Tourniquet #45
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

M. X. a 67 ans. Il est arrivé d’Algérie en France à 8 ans, en 1962, tout juste au moment de l’Indépendance. Plusieurs de ses frères et sœurs sont français, mais lui n’a pas de titre de séjour.

C’est donc simple, pour la Préfecture: il est en séjour irrégulier, il faut le renvoyer en Algérie.

Bien évidemment, le consulat d’Algérie tarde à délivrer un laissez-passer: est-il vraiment reconnu comme algérien, après plus d’un demi-siècle en France? Lui-même n’a plus d’attaches là-bas.

M. X. prend la parole: “J’ai besoin de me soigner”. Son dossier médical fait état de graves problèmes de santé: une tuberculose et des problèmes cardiaques. Il a vu le médecin du CRA, mais les médicaments qu’il doit normalement prendre n’y sont pas acceptés!

La vulnérabilité de M. X. est évidente. Le Juge aurait la latitude de l’assigner à résidence chez sa sœur, où il pourrait vivre dans des conditions plus compatibles avec son état.

Mais M. X. a déclaré qu’il ne voulait pas retourner en Algérie. C’est humain: comment un vieux monsieur, malade, pourrait-il consentir à quitter le pays où il vit depuis son enfance? La logique du tribunal est tout autre: puisque ce monsieur est en situation irrégulière, il doit être expulsé. Et puisqu’il veut rester en France, il doit rester en rétention… Encore trente jours.

Au pas de charge
13 avril 2022

Tourniquet #44
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

09h40 à 09h50: M. A., népalais
10h16 à 10h22: M. S., népalais
10h30 à 10h40: M. M., algérien
10h52 à 10h58: M. D., guinéen
11h10 à 11h16: M. O., nigérian
11h33 à 11h42: M. M., algérien
12h05 à 12h16: M. K., albanais
12h31 à 12h37: M. H., turc

En moins de dix minutes de comparution pour chacun, suivies d’un temps de délibéré pour le juge, les deux Népalais sont libérés et les six autres étrangers se voient infliger 28 jours d’enfermement afin d’être hors d’état de fuir les expulsions organisées par l’État français.

L’interprète en langue anglaise n’est pas compris par les deux Népalais, et celui en langue albanaise officie par téléphone.
L’Algérien de 24 ans, interné en psychiatrie en 2018, souffre encore de “symptômes post-traumatiques”.
Le Guinéen de 22 ans, hospitalisé pour une rechute de dépression, est jugé sans comparaître.

Une audience habituelle.
Au pas de charge.
Avec des étrangers traités comme des pions, sûrement pas comme des humains.

Juge de la liberté... Enfin !
25 mars 2022

Tourniquet #43
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

On me demande de priver de liberté pendant 28 jours une personne qui n’a pas commis d’infraction et sans procès-verbal d’audition de cette personne !
Ainsi s’exprime le juge à l’ouverture de l’audience de ce jour. Le ton est donné ! Un vent de liberté souffle sur cette audience.

Depuis le temps que des avocats martèlent le principe posé par la loi de 2016 selon lequel l’enfermement dans le CRA doit être l’exception, et que les juges de la liberté et de la détention de Marseille se distinguent par l’un des plus faibles pourcentages de décisions de libération des retenus prononcés dans le pays…(*) !

A l’issue de son délibéré, et se prévalant “d’un contrôle strict et renforcé de la légalité de la détention…”,  le juge libère Messieurs M. et A. car leur refus de se soumettre à un test PCR mis en avant par la préfecture pour prolonger la rétention n’est pas documenté par un procès verbal d’audition.
Libération aussi de M. B. qui ne bénéficiait pas d’un interprète lors de son refus de passer le test PCR et d’en mesurer ainsi les conséquences.
Libération encore de M. S. qui n’a pas à subir les conséquences du défaut de diligence de la préfecture dans la mise en œuvre de la mesure d’éloignement.
La préfecture mettait en avant, pour prolonger la rétention, l’attente de délivrance d’un laisser passer par le pays d’accueil avant de demander une réservation à la compagnie aérienne: “La demande de ‘routing’ est tardive, dit le juge, la gestion des réservations de vol, et en cas de besoin de leur annulation, est de la responsabilité de l’Etat demandeur de l’expulsion”.

La joie est de courte durée: le procureur fait appel contre toutes les libérations…

(*) En 2019: Les JLD de Marseille libèrent 8,9% des retenus contre 22,7% en France métropolitaine; en 2020 ils en libèrent 28,9% et sont en queue du peloton, 15e sur 19, pour les décisions de libération. Source: Rapports 2019 et 2020 sur les centres et locaux de rétention administrative, sur le site de la Cimade.

Défaut de diligence
Selon l’article L.741-3 du Ceseda: “Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration doit exercer toute diligence à cet effet”. 
La diligence est couramment définie comme la rapidité et l’efficacité avec lesquelles sont accomplies les tâches. Or surchargées de travail, ou indifférentes à la précarité des étrangers sans papiers ou dans une stratégie punitive à leur égard, les préfectures tardent souvent à accomplir les tâches qui leur incombent. Ce peut être un motif de libération du CRA. 

Une erreur de jeunesse
6 mars 2022

Tourniquet #42
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Sa famille parisienne est dans la salle. Il est Comorien, il a 21 ans.
Appréhendé à la sortie de l’avion alors qu’il entrait en France avec de faux papiers, il est interrogé par la police.

Il déclare vouloir vivre en France avec son père français, sa mère comorienne et sa tante. Cette déclaration lui est fatale. Elle est interprétée comme une volonté de se soustraire à l’ordre de quitter le territoire qui lui sera notifié lors de son placement en Centre de Rétention Administrative. Erreur amplifiée par son refus ultérieur de se soumettre à un test de dépistage du covid préalable à son expulsion aux Comores.

Afin qu’il soit libéré du CRA où il est enfermé depuis un mois et qu’il soit assigné à résidence chez son père, l’avocat plaide la solitude du jeune aux Comores, l’erreur de jeunesse des faux papiers et l’acceptation exprimée à l’audience par le jeune d’un retour aux Comores d’où il tentera le regroupement familial.

“Faites-lui confiance, comme moi j’ai envie de lui faire confiance !”, conclu l’avocate.

Las ! La juge prolonge d’un mois la rétention du jeune homme.

Risque de fuite, vraiment ?

C’est un constat récurrent: les préfectures et les juges des libertés et de la détention privilégient l’enfermement des étrangers en centre de rétention administratif aux assignations à résidence.
Le motif le plus souvent invoqué est “La volonté de l’étranger de se soustraire à l’obligation de quitter le territoire français”(l’OQTF) qui lui a été notifiée. Pour le représentant de la Préfecture et les juges, le risque de fuite est établi par les déclarations de l’étranger sur le fait qu’il a l’intention de rester en France. Les procès-verbaux d’audition, et l’interrogatoire du juge à l’audience rendent compte de ces déclarations spontanées ou semi-extorquées à l’étranger: “Alors, monsieur, vous n’avez pas l’intention de quitter la France et de retourner dans votre pays ?” Ce à quoi l’étranger le mieux conseillé doit répondre: “Je me plais en France et souhaiterais y rester mais si je dois la quitter bien sûr j’obéirai”.
A défaut l’étranger tombe sous le coup de l’article L.511-1,II-3°-h, introduit en 2018 dans le Code d’entrée et de séjour des étrangers (CESEDA), qui stipule: “(…)l’autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l’étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français (…) si l’étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à l’OQTF”.
Tout en étant opposée aux expulsions et aux “obligations de quitter le territoire français”, la Cimade défend l’alternative à l’enfermement au CRA que constitue l’assignation à résidence et rappelle que la présomption de bonne foi / d’innocence, quand ce n’est pas la loi elle-même qui le prévoit (*), doit privilégier l’assignation à l’enfermement: l’exception de la privation de liberté ne doit pas devenir la règle !

(*) la loi du 7 mars 1976 relative aux droits des étrangers en France prévoit ainsi que, “l’assignation (devient) la mesure de droit commun en matière de privation de liberté des étrangers” (Communiqué de presse du Conseil des ministres du 23 juillet 1974)

Un summum de déloyauté
9 février 2022

Tourniquet #41
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

M.A. quitte l’Afghanistan après l’assassinat de cinq membres de sa famille en décembre 2020. Lorsqu’il arrive en Roumanie, on relève son identité, on le bat en centre de rétention et on lui dit “Partez !”.

M.A. demande asile à Marseille mais la préfecture obtient de la Roumanie qu’elle accepte qu’il y soit transféré pour traiter sa demande, et si l’asile est refusé l’expulser en Afghanistan.
En attendant son transfert il est assigné à résidence dans un foyer et pointe tous les mois à la préfecture.

Presque 6 mois plus tard, l’avant-dernier jour du délai légal pour son transfert en Roumanie, il est convoqué à la préfecture. Il s’y rend confiant, y est interpellé et mis en rétention… ouvrant ainsi un nouveau délai pour l’expulser en Roumanie.
“Déloyauté, déloyauté, summum de la déloyauté” dénonce l’avocate.

– Des convocations à la préfecture, mentionnant qu’il peut y être interpellé, mais non traduites en afghan.
– Une audition par la police dans laquelle on le pousse à dire qu’il ne veut pas rentrer en Afghanistan afin d’établir un “risque de soustraction à l’éloignement” qui permettra sa mise en rétention.
– Une passivité de la préfecture durant six mois qui aboutit à prolonger le délai durant lequel le transfert est possible et le placer en rétention…

La juge blâmera-t-elle cette déloyauté tant de fois dénoncée dans ce tribunal ? Non, mais elle retiendra une irrégularité de procédure pointée par l’avocate: le courriel d’information du procureur lors de la mise en rétention ne figure pas dans le dossier…

Elle libère M.A., comme abasourdi.

Présemption de culpabilité
19 janvier 2022

Tourniquet #40

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

M.B. est marocain. Il réside en Espagne depuis plus de 20 ans et possède un titre de séjour régulier.
M.B a été arrêté à Nice dans sa voiture, soupçonné d’être un passeur et de se rendre en Italie pour y chercher des migrants.

Faute de preuves, il a été relaxé, mais pas libéré: un arrêté de remise aux autorités espagnoles est signifié. M.B. a donc été conduit au CRA.


L’avocat conteste le placement. M.B., régulier en Espagne, doit pouvoir circuler librement dans l’espace Schengen.

Le représentant de la préfecture justifie la demande de placement.
M.B. ne justifierait ni des ressources ni de la couverture de sécurité sociale indispensables pour régulariser sa présence en France. De plus, l’arrêté de remise aux autorités espagnoles n’a pas été contesté dans les 48 heures.

Malgré la présentation du passeport en cours de validité et de l’attestation d’hébergement nécessaires à toute assignation à résidence, une première prolongation est prononcée.

“Sa place est à l’hôpital !”
29 décembre 2021

Tourniquet #39
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

M. E. est algérien; il a 64 ans. Il a été placé l’avant veille en rétention. La juge: “On s’est déjà vu il y a cinq mois. Vous connaissez donc… Avez-vous quelque chose à dire sur votre rétention ?”

Le retenu, prostré, ne prononce pas un mot.

La préfecture présente à l’audience expose: “Une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) et une IRTF (Interdiction de Retour sur le Territoire Français) ont été notifiées il y a cinq mois que Monsieur n’a pas respectées. Il n’a pas de garantie de représentation: ni passeport, ni adresse.”
Et elle s’emballe: “Ce monsieur est une menace pour l’ordre public, il est très défavorablement connu de la préfecture car il sort de prison où il a été condamné pour non respect de son assignation à résidence, refus d’éloignement et refus de se soumettre à une identification ADN.”

L’avocat: “Regardez ce monsieur, il est en France depuis 32 ans ! Il ne comprend pas ce qui lui arrive ici et, après avoir tenté de m’entretenir avec lui avant l’audience, je vous le dis: sa place est à l’hôpital. C’est une personne manifestement vulnérable.

La préfecture: “La requête en contestation du placement pour vulnérabilité aurait du être formulée dans les 24h suivant son placement… Elle ne l’a pas été.”

La juge, après un temps pour le délibéré, prolonge la rétention de M. E. de vingt-huit jours.

 

Happy end au tribunal
10 décembre 2021

Tourniquet #38
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille:

Ce matin comparait une famille syrienne.
M. A. vit en Allemagne. Ne parvenant pas à faire venir sa famille alors réfugiée en Turquie, il l’a rejointe, et a obtenu d’un ami skipper de les embarquer tous vers la France, d’où ils pourraient gagner l’Allemagne. Tous: sa femme, ses enfants et ses petits-enfants, soit onze personnes.

Mais alors qu’ils arrivaient au large de la Corse, une avarie est survenue et les garde-côtes ont fait aborder le voilier à Porto-Vecchio. Leur entrée en France a été refusée par la police aux frontières, ils ont donc été placés en zone d’attente (ZA): un enfermement administratif, d’abord à Porto-Vecchio, puis dans les locaux du centre de rétention administrative du Canet, à Marseille.

A l’audience du JLD, l’avocate relève plusieurs points de procédure: d’abord, la famille a été retenue pendant trois heures avant qu’il ne soit notifié à chaque membre son placement en ZA, car la police n’avait mobilisé qu’un seul interprète. Ensuite, la demande du préfet de prolonger ce placement de huit jours ne comporte pas de motif. Enfin, il s’agit de personnes vulnérables, puisque trois sont mineurs et qu’une des jeunes femmes est enceinte.

Après délibération, la juge ordonne la libération de M.A.: “La requête du Préfet n’est pas motivée. De plus, j’ai considéré l’intérêt supérieur des enfants.
Le même jugement sera prononcé pour chacun des membres majeurs de la famille. Le procureur n’a pas fait appel. Dix heures après l’audience, tous seront libérés avec un visa de régularisation de huit jours.

Gâchis
17 novembre 2021

Tourniquet #37
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Il a vingt ans; il est arrivé de Tunisie en France à 17 ans. Il paraît faible, et affirme d’ailleurs que sa santé se dégrade.

Lorsqu’on lui donne la parole il explique que s’il avait été libre et chez son patron, ce jour aurait été son dernier jour de stage, stage qui lui permettait de valider sa formation de maçon.

Mais il est en rétention. Lorsqu’il a été interpellé, il n’avait pas de titre de séjour. Ce n’est pas faute d’avoir fait une demande; il a eu successivement trois récépissés, et puis au dernier renouvellement: plus rien. On ne saura pas s’il s’agit d’un refus de la préfecture d’accéder à sa demande, ou si, comme c’est de plus en plus courant, il s’agit d’un retard dans l’envoi d’un nouveau récépissé.

Ce qui est clair, c’est qu’il a ses sœurs et une tante en France, qu’il y a fait sa scolarité, son apprentissage, qu’il un contrat de travail, des fiches de paie… et qu’il va être renvoyé en Tunisie.

Victime de la double peine

Tourniquet #36  26 octobre 2021
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

M. X. a reçu une Obligation de Quitter le Territoire Français, juste à sa sortie de prison, un vendredi soir. Il a été directement conduit au CRA. En principe, il a le droit de déposer un recours contre l’OQTF dans les 48h, mais cela n’a pas été possible du fait du week-end.

La juge lui affirme d’emblée: “Vous sortez de prison, vous devez quitter le territoire. La décision est déjà prise… Vous comprenez ?”.
Non, M. X. ne comprend pas: il vient de purger sa peine, pourquoi le place-t-on en rétention ? Marocain, il vit en France avec un permis de séjour et un contrat de travail. Il est père de deux enfants qui vivent en France chez leur mère. “Nous sommes séparés, mais je veux continuer à les élever, je veux les voir grandir.”

L’avocat plaide une assignation à résidence, qui ne sera pas accordée, puisqu’il déclare vouloir rester en France. La juge prononce le maintien en rétention de M. X. pour un mois, en attendant son expulsion vers le Maroc.

Pour la Cimade, la double peine est discriminatoire et inhumaine dans ses effets.

La double peine: une situation absurde et injuste pour les personnes étrangères

Lorsqu’elles commettent une infraction, les personnes étrangères ne s’exposent pas seulement, comme tout le monde, à une peine d’emprisonnement. Elles peuvent en plus être expulsées une fois leur peine purgée: le jour-même de leur sortie de prison, elles sont placées en rétention en attendant le vol qui les renverra dans leur pays d’origine. C’est ce que l’on appelle la double peine. Sa mise en œuvre n’est toutefois pas systématique: les personnes peuvent rester sur le territoire pendant des années et même des décennies, accompagnées de la crainte quotidienne d’une expulsion et, en attendant, de la certitude d’une mise à l’écart de la société.

L'abattage

Le Tourniquet #35  6 octobre 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

Ce matin, quatre tunisiens comparaissent devant le Juge des Libertés et de la Détention. La Préfecture demande leur maintien au CRA au motif qu’ils ont refusé le test PCR préalable à leur embarquement pour un vol vers la Tunisie.
La décision les concernant sera prononcée sans délibération.

M. R., est en rétention depuis un mois. Il a quitté la Tunisie en 2005, et vit en Italie où il a un permis de séjour. Mais l’Italie n’a pas répondu à la demande de laisser-passer: “il faut croire que l’Italie vous refuse”, dit la juge. “Levez-vous, Monsieur. Je prononce la prolongation de votre rétention.”

M.E., en rétention depuis 2 mois. Il vit et travaille en Belgique, et est venu passer 2-3 jours en France. Son dossier de régularisation est en cours en Belgique, car il a un contrat de travail. Il a refusé jusqu’à aujourd’hui quatre tests PCR pour des vols vers la Tunisie. “Levez-vous, Monsieur. Vous serez maintenu au CRA

M.S., lui aussi au CRA depuis 2 mois. Il est entré en France avec un visa de travail d’un an. Son contrat n’a pas été renouvelé, et il a reçu un refus de séjour. Il veut récupérer son matériel professionnel, qui est coûteux. L’avocat demande une assignation à résidence, puisque M.S. a une adresse et un passeport en cours de validité. “Je prononce la prolongation de votre rétention.

M.A., enfermé depuis 2 mois et demi. “Je n’ai pas de vie en Tunisie”, dit-il. Le juge décide qu’il restera au CRA jusqu’à la fin de la durée légale de rétention, 90 jours.

Expéditive: il n’y pas d’autre mot pour cette justice réservée aux étrangers.

”Vous me prenez pour une idiote!”

Le Tourniquet #34 14 septembre 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

“Vous me prenez pour une idiote! depuis le début de la procédure vous parlez français, et là – miracle du CRA – vous demandez l’assistance d’un interprète! ça veut dire que vous prenez les gens pour des abrutis.”
Le juge est très énervé contre M.R., car l’avocate vient de poser une requête pour contester son placement au CRA, pour absence d’interprète lors de la notification de placement.

Le juge ajoute: “On parle français, ou on ne le parle pas. Or les rapports disent que vous répondez à toutes les questions.

L’avocate ressort du dossier la déposition des policiers municipaux.

Il y est mentionné que M.R. présente des difficultés à la compréhension du français. “M.R. a répondu par oui ou par non, il a pu comprendre certaines questions, mais ne semble pas être en mesure de saisir les explications compliquées du droit.

M.R. est tunisien, il réside en Italie, où il a obtenu un permis de séjour dont il attend la prolongation. Il est juste venu en France pour voir un ami, déclare-t-il par l’intermédiaire de l’interprète.

 

 

 

En l’absence du représentant de la préfecture, le juge manifestement endosse le rôle de l’accusation. Car lorsque l’avocate soulève ensuite que le rapport de police est daté d’un mois avant les faits, ce qui pourrait rendre la procédure nulle, le juge tranche: “C’est une erreur de plume, c’est fréquent et normal! Je date encore 2020, alors vous voyez!”

Avec un juge à charge, malgré la compétence de son avocate, M.R. n’a aucune chance d’être entendu. Il sera maintenu au CRA.

Qu'est venu faire M.S. dans cette galère ?

Le Tourniquet #33 13 août 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

La juge commence par expliquer son rôle à Monsieur S., tunisien: il paraît dans le cadre du doit des étrangers, il n’y a rien de pénal. Elle va examiner s’il doit rester en rétention pour être renvoyé en Tunisie.

Mais M. S. travaille en Italie, comme le rappelle son avocat; il est aide à domicile, il a l’équivalent d’un numéro de sécurité sociale; et son employeur s’occupe de sa régularisation dans le cadre du décret “Rilancio” adopté par le gouvernement italien (voir texte sous l’image). Il n’est en France qu’à titre exceptionnel, pour voir un cousin à Marseille.

La juge veut mieux comprendre. Elle s’étonne alors que M. S. n’ait pas de passeport. Réponse: il est dans les mains de celui qui s’occupe de sa régularisation en Italie. Elle demande des précisions sur le processus de régularisation ouvert par ce décret. L’avocat explique, et rappelle qu’il conteste le placement au CRA: il demande qu’on laisse M. S. retourner en Italie.

Quant à la représentante de la Préfecture, elle trouve cette requête bien peu motivée. M. S. doit rester retenu, pour être renvoyé en Tunisie, sauf si l’Italie envoie des documents sur la régularité de sa situation. Qui est seulement en cours ! Par ailleurs, elle lui rappelle qu’il ne peut franchir les frontières sans les documents nécessaires.

Finalement, la JLD retient la demande de la préfecture: maintien au CRA, dans l’hypothèse d’un éloignement, vers la Tunisie. Sauf communication de documents par l’Italie, ce qui semble bien improbable.

“Rilancio” (Relance)

Ce décret adopté en Italie, le 13 mai 2020, vise à soutenir l’économie touchée par l’épidémie de Covid-19. L’initiative en revient à la Ministre de l’Agriculture qui s’est battue au sein du gouvernement afin que le décret soit retenu.

Un article (art. 103) ouvre alors la voie à la régularisation de nombreux étrangers qui ont travaillé dans les secteurs de l’agriculture ou de l’aide à domicile, et selon certaines conditions. 
Cette régularisation peut, par exemple, concerner un étranger arrivé en Italie avant le 8 mars 2020, et employé au noir dans un de ces deux secteurs. Ou encore, pour les mêmes emplois, un étranger dont le titre de séjour était arrivé à échéance après le 31 octobre 2019.
Pour la première situation, il faut pouvoir prouver son arrivée avant la date du 8 mars (par les relevés d’empreintes pour les clandestins débarqués sur les côtes italiennes; ou autres preuves telles que des photos, etc.)

Qui fait quoi, au juste ?

Le Tourniquet #32  15 juillet 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Je suis le Juge des Libertés et de la Détention. Mon rôle se limite à vérifier la légalité de votre placement en rétention. Vous avez demandé l’asile, qui vient de vous être refusé…”. Monsieur A. acquiesce. “Alors votre demande d’asile, c’était en visio-conférence ? Je vous pose la question car j’aime bien savoir comment ça se passe… mais cela n’a rien à voir avec ici…”.

M. A. a beau parler et comprendre le français, il est déjà perdu…
A quoi sert donc ce tribunal ?

La police aux frontières précise qu’il est guinéen, arrivé il y a trois jours par un avion de Dakar avec de faux papiers italiens. Le lendemain il s’est vu refuser l’asile politique demandé. Il a déposé un recours qui doit être examiné demain devant le tribunal administratif. La police demande donc une prolongation du placement de huit jours en zone d’attente.

L’avocat prend la parole: “Au tribunal administratif, ce sera très difficile, à condition de pouvoir donner les bons coups de fil avant. Il doit justifier son appartenance à un parti politique, prouver qu’il a été réellement poursuivi”.
M. A. doit prendre sa propre défense devant l’avocat: “J’ai déjà fourni ma carte d’un parti politique. J’ai pu parler avec ma famille, ils vont m’envoyer le mandat d’arrêt.

La juge prend sa décision: M. A. restera en zone d’attente encore huit jours. Puis, s’adressant aux policiers: “Je vous demande de veiller à ce que M. A. ait bien la possibilité de recevoir les mails de sa famille…
Tout en pliant sa robe, l’avocat ajoute: “Si vous n’avez pas les documents à temps, aucun juge ne vous écoutera: il faut des preuves des témoignages…

Une drôle d’audience, où le juge s’informe de points hors de sa compétence, où l’avocat décourage son client, où seule la police semble en mesure d’aider le retenu…

“Il y a là une interprétation abusive !”

Le Tourniquet #31  17 juin 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Militant politique pourchassé dans son pays, Monsieur H., né en Turquie, arrivé en France il y a treize ans, a été débouté de sa demande d’asile. Il reste cependant en France, se marie et a maintenant trois enfants. Il est salarié. Il y a trois ans, il a demandé la nationalité française, qui lui a été refusée. Il a déposé un recours concernant cette décision, l’audience doit avoir lieu dans un mois.
Interpellé à Toulon, M. H. est resté en retenue pendant huit heures, ne pouvant fournir ni passeport ni justificatif de domicile… car il ne les avait pas sur lui.

Et lorsqu’il dit qu’il souhaite rester en France… cette parole est interprétée comme le refus de se soumettre à l’OQTF* qu’on vient de lui délivrer.
L’avocat le relève fortement: “Dire qu’on souhaite rester là où l’on a fait sa vie, ce n’est pas refuser de se soumettre à une obligation administrative ! Il y a là une interprétation abusive !” Ce matin, à l’audience, la famille a pu remettre au greffe son passeport et ses justificatifs de domicile. M. H. affirme au juge qu’il se soumettra à la décision du tribunal administratif.

Dès lors, le JLD* prononce son assignation à résidence : “Ce monsieur a toutes les garanties de représentation, il n’a rien à faire en rétention.” Que ne l’a-t-on pas vérifié avant ? On aurait évité les frais de transfert, de trois jours de rétention, de personnel judiciaire. Au moins, il attendra chez lui le moment de prendre l’avion qui le livrera à la police d’Erdogan.

Les mesures sanitaires remplissent le CRA

Le Tourniquet #30  27 mai 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Depuis 6 mois, nous voyons passer devant le JLD des jeunes qui ont été interpellés dans la rue pour défaut de masque ou non-respect du couvre-feu. Les conséquences de ces écarts sont catastrophiques: obligation de quitter le territoire français, et en attendant, enfermement.

– M. M., 22 ans, Tunisien arrivé en France à 15 ans. Il a été arrêté devant chez lui après l’heure du couvre-feu. Ses parents vivent à Nice. Il a été scolarisé en France, a obtenu un CAP, travaille depuis 2 ans, vit avec sa femme dans un logement à son nom. “… La fin de l’histoire, c’est que vous allez être reconduit en Tunisie…” lui dit la juge. En attendant, il reste enfermé.

– M. N., 19 ans, russe né en Tchétchénie, il vit en France depuis l’âge de 8 ans. Il est scolarisé depuis son arrivée et vit chez sa mère qui est en situation régulière. Interpellé dans la rue pour non-respect du couvre-feu, il est placé au CRA afin d’être expulsé vers la Russie.

– M.A, 26 ans, marocain, a été arrêté après le couvre-feu par la police municipale. “Je fumais une cigarette en bas de chez moi”, déclare-t-il au juge. Il est arrivé en France début 2020, avec un contrat de travail temporaire. “Je comptais repartir, dit-il, mais je n’ai pas pu… à cause de la situation sanitaire”.

– M. B., 30 ans, tunisien, a été arrêté dans la rue pour défaut de port de masque. “Je le portais, mais baissé”, corrige M.B. Il habite à Nice depuis 2016 et travaille comme maçon.

Comme l’a souligné un avocat: “Cette arrestation n’est-elle pas faite au faciès ?”
Pour ceux qui ont des papiers, ces infractions coûtent 135 euros. Sinon, elles peuvent faire basculer toute une vie.

“Le cas de M. W. illustre parfaitement la faille du droit des étrangers.”

Tourniquet #29 – 5 mai 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

M. W. n’a pas de pièce d’identité. Il est connu de la police sous plusieurs identités, mais n’est reconnu par aucun des pays du Maghreb auxquels s’adresse la préfecture afin de pouvoir l’y expulser.

Il quittera très rapidement l’audience, malgré les conseils de l’avocate, en évoquant l’hôpital psychiatrique de Cassis où il aurait laissé ses papiers…
Arrêté sur la voie publique pour port d’arme blanche, il serait arrivé en France en 2006, et répète les séjours de 90 jours au CRA, la durée maximum, suivis d’une libération, faute de reconnaissance de sa qualité de ressortissant par un pays.

La juge s’en plaint: “le cas de M. W. illustre parfaitement la faille du droit des étrangers”

La préfecture justifie cette nouvelle retenue au CRA, afin de rechercher son identité sur les fichiers européens.
Pourquoi ne pas avoir procédé à cette recherche lors d’un précédent et interminable enfermement ? C’est la question que pose l’avocate.
La préfecture n’a pas de réponse.

La juge rejette la demande de libération de M. W qui restera, une nouvelle fois encore, enfermé au CRA.

Défaut d'information

Le Tourniquet #28  17 avril 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

M. E. est roumain et vit en France depuis 2012. Il a été emprisonné pour des problèmes anciens et libéré en août 2020… Il ignore qu’un mois avant sa libération, une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) lui a été envoyée par voie postale.
Je ne comprends rien, je ne sais pas pourquoi je suis là” dit-il en entrant dans le tribunal. »

Son avocat plaide pour une assignation à résidence: il présente en effet une adresse stable et une carte d’identité roumaine.
La juge déclare aussitôt cette demande impossible: M. E. ne peut pas présenter de passeport.

Le retenu s’étonne, il sait que les citoyens de l’Union européenne et les membres de leur famille n’ont pas besoin de présenter de passeport pour entrer en France.
Ce qu’il ignore, c’est que pour pouvoir s’y installer durablement, ils doivent acquérir un droit au séjour en France dans les 3 mois suivant leur arrivée.

Mais cela, encore fallait-il le savoir.
La rétention de M. E. est prolongée.

“La carence de la préfecture n’a pas à être supportée par ce monsieur”

Le Tourniquet #27  27 mars 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

C’est la première présentation de M. M. au JLD.
Son épouse française et leurs deux enfants sont dans la salle. Ils vivent ensemble, de multiples documents certifient leur adresse stable.
Arrivé en 2011 avec un visa touristique, M. M. a fait l’objet d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) en 2018, annulée en janvier 2020. Un titre de séjour d’un an lui a aussitôt été accordé.
Par inadvertance il dépose sa demande de renouvellement 5 jours après l’expiration et ne dispose pas du précieux récépissé de sa demande que la préfecture de Nice met, selon l’avocat, 6 mois à délivrer…


La préfecture a aussi oublié de radier M. M. du fichier des personnes recherchées sur lequel il était inscrit depuis son OQTF de 2018.
Alors lorsqu’il est interpellé, M. M. est aussitôt placé en retenue administrative et une nouvelle OQTF lui est signifiée.
L’avocat plaide: “la carence de la préfecture n’a pas à être supportée par ce monsieur”.

La conviction de la juge est déjà faite: ”Je ne suis pas juge de l’OQTF, mais je dispose tout de même d’une marge de manœuvre, l’assignation a résidence me semble évidente.”

L’avocat persiste à pointer la suite de défaillances de la préfecture elle-même, qui a abouti à la rétention illégale de M.M. au CRA. Sa plaidoirie l’emporte ! La juge reconnaît que l’audition de police et la procédure ont été bâclées. M. M. est libéré.

Où est passé le consentement ?

Tourniquet #26 – 15 février 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

M. I. est tunisien, il est retenu au CRA depuis dix semaines.
La préfecture demande une quatrième prolongation de sa rétention pour quinze jours. Elle reproche à M. I. son refus de se soumettre, il y a trois jours, au test PCR de dépistage du Covid, préalable à son embarquement dans l’avion destiné à l’expulser.
L’avocat évoque le droit pour tout individu au consentement au-dit test.

Pour la préfecture, suivie par les tribunaux français, l’équation est claire: refus de test PCR = refus d’embarquement = obstruction à l’éloignement = prolongation de la rétention.
La juge ordonne la prolongation de la rétention et la préfecture ajoute à l’intention de M.I. : “et sachez que si vous refusez encore d’embarquer, nous enclencherons des poursuites pénales à votre encontre”.

Quand on sait que les poursuites pénales pour refus d’embarquer peuvent aboutir à l’incarcération de l’étranger sans papier, on voit ici se déployer le cercle vicieux de la rétention/détention:
La rétention est suivie d’une condamnation pénale et d’un emprisonnement, suivi à son tour, à la levée d’écrou, d’une assignation à résidence ou, le plus souvent, d’une nouvelle rétention pour “absence de garantie de représentation”…

 

Le refus de se soumettre à un test PCR considéré comme une obstruction volontaire à l’éloignement

Puisque la présentation d’un test négatif à l’embarquement conditionne le départ  pour un grand nombre de pays, le refus de s’y soumettre est considéré comme une obstruction volontaire à l’éloignement. 
Ce refus devient alors également une infraction pénale. Les personnes concernées sont exposées à une condamnation à une peine d’emprisonnement de trois ans à l’issue de la période de rétention, laquelle peut être assortie d’une interdiction du territoire d’une durée de dix ans (C. étrangers, art. L. 641-1-1).

(Sources ici)

Un Géorgien en vaut bien un autre.

Le Tourniquet #25  3 février 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

La juge expose la demande de mise en liberté formulée par M. T.: “Vous avez été placé au CRA il y a aujourd’hui 33 jours. Vous deviez faire l’objet d’une seconde audience 28 jours plus tard. Or, selon vous, lors de cette audience, c’est un autre Géorgien, M. B., qui a été présenté au JLD et a fait l’objet d’une prolongation. Il a d’ailleurs été expulsé ce matin même par avion.
L’avocat complète: “en effet, le CRA s’est trompé sur la personne. Il ne vous a pas présenté M. T. ici présent. Aujourd’hui, le délai de 28 jours pour décider la prolongation de sa rétention est écoulé: vous devez le libérer”.

La juge doute et peine à comprendre qu’on ait oublié d’examiner le cas de M. T. à l’issue de 28 jours comme la loi l’exige. Un Géorgien a pourtant bien été jugé ce jour-là !
Dessin Solie Morin, janvier 21N’était-ce pas M. T., ici requérant, contrairement à ce qu’il veut nous faire croire ? La confusion s’empare du tribunal.
On se passe les photographies de M. B. et de M. T. figurant sur les dossiers; difficile de les distinguer tant elles sont de mauvaise qualité. Mais il faut bien se rendre à l’évidence: les dates de naissance ne concordent pas: 1987 pour l’un, 1980 pour l’autre.

L’interprète assermenté s’en mêle et aura le dernier mot: “j’ai bien traduit pour un M. B., il était petit et gros. C’est lui qui était présent à l’audience et non pas M. T. plus grand, ici devant vous.”

La juge décide la libération de M. T.
Quant au retenu jugé la semaine précédente et expulsé ce matin, le doute sur son identité persiste.

L’audience démontre crûment qu’ici on ne se préoccupe pas d’une personne, avec son nom, son histoire. Ce qui compte c’est uniquement sa qualité d’étranger.

Faute d’accompagnement.

Tourniquet #24    22 janvier 21

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

“Faute d’accompagnement”

“Monsieur D. a été mal accompagné”. C’est l’avocate qui le dit.
Le jeune Albanais de 22 ans, titulaire d’un CAP, a suivi toute sa scolarité en Savoie, entouré de sa famille.
Il pensait avoir suivi le bon chemin pour s’intégrer en France.
Sa mère a régularisé sa propre situation il y a quelques temps, son père attend la réponse de la CNDA* à sa propre demande d’asile.

Quand Monsieur D. a fêté sa majorité ils n’avaient pas pensé.
Il aurait fallu demander la régularisation de sa situation avant ses dix-huit ans, avec l’appui de celle de sa mère.
Il aurait fallu mettre à jour ses papiers d’identité auprès du consulat.Solie Morin
Il aurait fallu contester les deux OQTF prononcées en 2017 et début 2020.
Après son interpellation de dimanche, il aurait fallu réunir dans l’urgence tous les papiers nécessaires ce jour pour que la juge prononce son assignation à résidence.
Il aurait fallu savoir, entreprendre les démarches, comprendre.

Monsieur D. regrette de ne pas avoir su.
La juge, quant à elle, prolonge sa rétention de 28 jours.

 

* Cour nationale du droit d’asile

”Pas d’avenir pour les mineurs non accompagnés devenus majeurs”,
cliquez ici pour lire l’article sur le site de la Cimade.

“Vous n'êtes pas en France !”.

Tourniquet #23  5 janvier 2021

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille:

“Vous n’êtes pas en France !”

– Quand arrive-t-il ? La juge s’impatiente.
La policière lui explique: “Il est retenu en «Zone d’attente». Il n’est pas réputé être en France et ne doit donc croiser personne !
Avec trois autres clandestins, M.A., 34 ans, iranien, a été arrêté sur dénonciation à Fos-sur-Mer sur le cargo choisi par son passeur.

Devant la juge, M.A. implore: “Ma vie est en danger en Iran !”. Il pleure. “Deux membres de ma famille ont été tués. Pour me réfugier, je n’ai pas vu mon fils depuis sa naissance. J’ai des moyens financiers, je ne veux pas venir en France, c’est le passeur qui m’y a amené. Ordonnez-moi de quitter le territoire français afin que je rejoigne ma sœur en Norvège !”.

La juge tente alors de lui faire comprendre la logique administrative: “Mais, Monsieur, vous n’êtes pas en situation irrégulière, puisque vous n’êtes pas entré sur le territoire français ! On ne peut pas donc pas vous donner l’ordre de quitter le territoire ! L’OFPRA a refusé votre demande d’asile, je dois donc vous renvoyer en Turquie où vous avez embarqué”.

La police de l’air et des frontières (PAF) demande une prolongation de 15 jours de la rétention de M.A. en zone d’attente, le temps pour l’armateur – sous la menace de voir tous ses navires immobilisés – de le rembarquer pour la Turquie.

L’agent de la PAF explique à la juge: “Vous savez, la zone d’attente ce n’est pas comme le CRA; c’est bien plus confortable; il y a des fauteuils, etc… car on peut y accueillir des familles”.
L’étranger, toujours les larmes aux yeux: “Madame si vous m’expulsez, garantissez ma vie, expulsez-moi vers la Norvège”.

La juge ordonne la prolongation de la rétention en Zone d’attente, de M.A., à fin de rembarquement… vers la Turquie.

Perdu

Tourniquet #22  15 décembre 2020
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille:

Perdu…

On ne réalise pas que l’adolescent frêle qui entre dans la salle est le retenu concerné par l’audience.
Monsieur L. a dix-huit ans. Arrivé d’Albanie il y a un an, il vit à Marseille avec ses parents, à l’hôtel. Eux ont un passeport, mais pas lui. Il dit avoir déposé une demande d’asile à la plateforme d’accueil. Dans cette salle de tribunal, il ne comprend pas bien ce que dit la juge qui lui fait face.

 

On n’a pas de passeport vous concernant, on ne trouve aucune trace de demande d’asile”. Sur un ton presque maternel, elle cherche à comprendre pourquoi il n’a pas demandé d’interprète. Elle cherche à l’aider : “J’insiste, Monsieur L., vous devez demander un interprète pour vous aider à régulariser votre situation, sinon vous risquez d’être reconduit dans votre pays. Vous avez bien compris ?”.

Le jeune blondinet hoche la tête; on ne saura pas si c’est clair pour lui. Pour la représentante de la Préfecture, en revanche, les choses semblent limpides: “Monsieur L. n’a pas de passeport, il n’a pas déclaré la langue dans laquelle il souhaitait effectuer l’entretien, et il a signé la décision de placement en rétention”.

La juge se rend à ces arguments: Monsieur L. restera donc encore 28 jours (au moins!) au centre de rétention. C’est un gamin qu’on enferme.

“Madame la Présidente, il faut libérer !”

Tourniquet #21  20 novembre 2020
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Madame la Présidente, il faut libérer !

Huit dossiers s’empilent devant la juge des libertés et de la détention.
Ils concernent des personnes qui sont au centre de rétention depuis déjà un mois. La préfecture demande leur maintien en rétention pour trente jours supplémentaires.
Mais “aucun ne sera présent à l’audience, suite à la pandémie et sur instructions de la hiérarchie du centre de rétention”, annonce la juge aux avocats présents.
La semaine précédente, trois retenus d’un même “peigne”(1) ont été atteints de la COVID, le “peigne” tout entier a été confiné, et tout le CRA a été “gelé”: pas de sortie pour aller au tribunal. Trois des cinq salariés de Forum Réfugiés ont été testés positifs et ne sont plus en fonction.
Madame la Présidente, la situation est exceptionnelle, il faut libérer !


Depuis le “gel” du centre de rétention, les droits des personnes retenues ne sont plus assurés, affirment les avocats. Aucun n’a pu rencontrer son client avant l’audience comme cela est prévu. De plus il est fait obstacle au droit des retenus de saisir directement le JLD pour exercer un recours, de faire appel: Forum Réfugiés, plaident les avocats, n’est pas en mesure d’aider efficacement les retenus pour “l’exercice effectif de leurs droits”.
Pour les avocats, dans aucun des cas présentés, la procédure n’est équitable. Elle doit être annulée, ne serait-ce qu’à cause de l’absence de la personne à l’audience.
A chaque fois la JLD refuse l’annulation “… car l’absence du retenu à l’audience est due à une cause insurmontable”.
A chaque fois le maintien en rétention est prononcé.

 

1 Il y a cinq « peignes » au Canet (ce terme désigne des « espaces de vie » comportant plusieurs chambres de 2 à 5 lits). En ce deuxième confinement, 67 personnes sont enfermées au CRA, soit en moyenne 13 personnes par peigne.

Il comparaît en combinaison de chantier

Tourniquet #20   26 octobre 2020
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Il comparaît en combinaison de chantier

Monsieur D. est tunisien, peintre en bâtiment, en France depuis sept ans. Il a été interpellé trois jours auparavant dans cette tenue, maculée de peinture blanche, attablé devant un snack à l’issue de sa journée de travail.
Faute de papiers il a été placé au centre de rétention.

Avant le début de l’audience, sa compagne algérienne effondrée se répand en confidences, il est le pilier affectif et financier de son foyer de cinq enfants et père des deux derniers.
Dans la salle d’audience, vide à notre exception, la juge n’admet pas la présence des jumeaux de deux ans et demi qui attendent dehors avec une amie.

La préfecture reproche à Monsieur D. de ne pas avoir respecté l’Obligation de Quitter le Territoire Français qui lui a été notifiée en 2017, suite au non-renouvellement de son titre de séjour d’un an accordé après son premier mariage.
Son avocat explique qu’il est resté pour divorcer.

Monsieur D. dispose d’une attestation d’hébergement de l’office public qui le loge avec sa compagne, de témoignages de voisins, d’échanges de courriers avec la CAF et la sécurité sociale…

Rien n’y fait. La juge considère qu’il n’offre pas les “garanties de représentation” qui le dispenserait d’enfermement en centre de rétention.
Ainsi va la vie pour les étrangers.

 

Lire le rapport de La Cimade 2019 sur les centres de rétention

“Vous êtes vulnérable ? Prouvez-le.”

Tourniquet #19
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

“Vous êtes vulnérable ? Prouvez-le.”

-“Dites à Monsieur qu’il ne présente aucun élément objectif à l’appui de ses allégations concernant sa vulnérabilité.
La JLD adresse ces mots à une petite boîte noire qui sert de relais entre le tribunal et une interprète.
Le monsieur est Géorgien. La Préfecture demande une deuxième prolongation de maintien au Centre de rétention, en attendant que les autorités géorgiennes, déjà sollicitées deux fois, reconnaissent Monsieur J. et donnent un laisser passer.

Monsieur J. se dit malade, atteint d’une hépatite. Il avait fait un recours contre la première prolongation. Ce recours a été rejeté, mais assorti d’un rappel qu’il fallait vérifier si son état de vulnérabilité était compatible avec la rétention. Il n’a pas été revu par un médecin depuis : l’évaluation n’a pas été faite.

Mais cela ne compte pas : la JLD lui fait dire que c’est à lui qu’il appartient de démontrer sa vulnérabilité, et qu’il y a une équipe médicale au CRA, qu’il pouvait faire valoir ses droits.

[caption id="attachment_32931" align="alignleft" width="450"]Le retenu et son avocat Le retenu et son avocat[/caption]

Donc, monsieur J. devait prendre rendez-vous avec le médecin, lui expliquer sa situation, ses symptômes. Cela ne doit pas poser de problème pour un homme qui ne parle ni ne comprend le français. D’autant plus simple que pour tenir l’audience du jour il a fallu trouver un interprète qui manifestement ne peut se déplacer. Ainsi, avec ses mots géorgiens, il devait convaincre les policiers du centre de lui obtenir le rendez-vous médical, un interprète et la petite boîte noire.

S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il n’est pas malade.
Il va rester 30 jours de plus au CRA.

 

 

Après 15 ans de séjour régulier, devenir un étranger à éloigner

Tourniquet #18
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Qu’est-ce qui a changé? Monsieur G., citoyen russe, est-il devenu autre au bout de 15 années passées en France en séjour régulier?

Oui, maintenant il est devenu autre, il est devenu un étranger à éloigner.

Pourtant, il est toujours marié, en France, sa femme est réfugiée statutaire tchétchène. Il a toujours des enfants, en France, dont un est toujours français. Il est toujours russe et réside toujours dans le Puy-de-Dôme.
Mais, avec la complexité des situations et des règles spéciales appliquées pendant le confinement, il a laissé passer la date pour demander le renouvellement de son titre de séjour.

[caption id="attachment_32796" align="alignnone" width="467"]Pour la fermeture des CRA La Marche des Solidarités à Marseille samedi 19 septembre[/caption]

Alors, oui, tout a changé.
D’autant que la préfecture, qui ne peut l’éloigner, s’obstine, et demande une nouvelle prolongation de sa rétention.

La Cimade soutient la Marche des Solidarités qui exige la fermeture des Centres de rétention.

 

L’éloignement est-il une “perspective raisonnable” ?

Tourniquet #17  11 septembre 2020

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

L’éloignement est-il une “perspective raisonnable” ?
Un jeune Tunisien est présenté à l’audience. Il a 29 ans, ne parle pas français, et est assisté d’une interprète. Il est sous le coup du règlement Dublin, ayant laissé ses empreintes en Italie. L’administration italienne a accepté d’étudier sa demande d’asile.

Placé en rétention en juin 2020, il a déjà passé 60 jours au CRA. La Préfecture a déjà demandé deux fois la prolongation de sa rétention pour pouvoir organiser son transfert vers l’Italie, mais ce dernier n’a pas été possible en raison de la crise sanitaire.

Cette fois, la Préfecture demande au JLD une prolongation exceptionnelle de 15 jours, “dans l’attente d’un moyen de transport vers l’Italie”.
Le jeune homme exprime son incompréhension: “La Préfecture trouve des prétextes pour prolonger ma rétention. Laissez-moi partir, certains au CRA ont obtenu un moyen de transport pour la Suisse et moi on ne me trouve pas de moyen pour aller en Italie; trouvez-moi un moyen d’y aller ou laissez-moi y aller par mes propres moyens.

Le juge rejette la requête de la Préfecture et, conformément à la loi, libère le jeune homme.

Selon le Code d’entrée et de sortie des étrangers et demandeurs d’asile (CESEDA), le placement en rétention peut être décidé à l’encontre d’un étranger “qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l’éloignement demeure une perspective raisonnable”.

Depuis le début de la crise sanitaire et avec la fermeture des frontières et la réduction drastique des transports internationaux, personne ne sait dans quel délai le transfert d’un retenu pourra avoir lieu, ici vers l’Italie.

En même temps, plusieurs fois nous avons entendu à l’audience les préfectures demander au JLD une prolongation du maintien en rétention sous l’argument que en ce moment “les consulats ne délivrent pas de laissez-passer”.

Cette fois, la juge a considéré, selon la loi en vigueur, que “la troisième prolongation doit rester exceptionnelle”.

Rappelons que depuis la mi-août, dans les Centres de rétention du Canet, du Mesnil-Amelot et de Rennes, les retenus dénoncent par des grèves de la faim leurs conditions d’enfermement et l’absence de vols pour retourner dans leurs pays d’origine (ou le pays de renvoi).

“La PADA, qu'est-ce que c'est ?”

Tourniquet #16
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille.

“La PADA, qu’est-ce que c’est ?”

Un jeune Gambien demandeur d’asile est présenté ce matin devant la juge. Le préfet de Nice lui interdit le territoire français (IRTF) et demande qu’on le maintienne en rétention jusqu’à son transfert en Italie, où il a laissé ses empreintes en 2018.
Monsieur B. a été arrêté dans la rue à Nice, alors qu’il se rendait à une convocation à la PADA.

– “La PADA, qu’est-ce que c’est?” demande la juge à l’avocat. L’avocat n’en sait rien, pas plus que les greffiers.

Nous signalons, nous Cimade, que nous pouvons répondre: “Plate-forme d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile”. La juge nous remercie, mais n’a pas bien compris, puisque plus tard elle mentionnera qu’il s’agit d’une sorte de centre d’hébergement.

L’association Forum Réfugiés a déposé une requête: la rétention de M. B. est illégale. Il a déposé une demande d’asile en France et puisque l’arrêté de transfert n’a pas été exécuté dans les six mois, c’est bien à la France d’examiner cette demande. Dans l’attente de la décision, M. B. est en situation régulière.

– “La requête est très complète, dit l’avocat au juge, je n’ai rien à ajouter. Si ce n’est que dans votre sagesse, vous remarquerez que Monsieur B. n’a commis aucun délit et que son casier est vierge, ce qui est rare. Il a un domicile, une carte ADA…”

– “Une carte ADA, c’est quoi?” demande la juge.

La Cimade est encore là pour éclairer la juge: il s’agit de la carte d’Aide aux Demandeurs d’Asile.
Nous voyons cette magistrate depuis plusieurs années au Tribunal comme Juge des Libertés et de la Détention. Nous sommes catastrophés de découvrir cette ignorance des procédures légales de la demande d’asile.

Après une demi-heure de délibération, les droits de M. B. sont tout de même reconnus et la juge prononce sa libération.

Retour à l'anormal

Depuis le 29 juin, la trêve engendrée par l’épidémie de Covid-19 au Centre de Rétention Administrative du Canet n’est plus qu’un souvenir. Les placements ont bel et bien repris, et le niveau de violence des audiences auxquelles nous assistons a indéniablement monté d’un cran.

Tourniquet #15  29 juillet 2020
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Une procédure dévoyée
Au cours de cette audience, trois points seront abordés.
Le premier est la demande de la Préfecture de prolonger de 28 jours la rétention de Monsieur A. en vue de son éloignement. On est dans la procédure habituelle.

Le deuxième concerne l’interprétation à donner au texte de loi qui stipule que cette rétention doit se faire “dans une perspective raisonnable d’éloignement”. Selon l’avocat, la Préfecture ne démontre pas que cela est possible : les frontières avec l’Algérie ne sont pas rouvertes. Le juge, lui, pense que cela pourrait se faire pendant ces 28 jours…

A ces deux points, le juge ne consacre que peu de paroles. Il garde ses remarques, nombreuses, pour le troisième point : la personnalité du retenu, interpellé alors qu’il “se préparait à voler à la gare.”

Extraits: “… on vous interpelle en train de pourrir la vie de voyageurs… ici, c’est le temple du mensonge, on peut tout dire… je ne suis pas le juge pénal, mais il est important de rappeler les circonstances… même si je n’ai pas à juger de cela, cela donne un éclairage sur la personnalité… vous êtes cette personne-là…

Plus tard le même jour, un retenu se verra adresser cette question, quand il insiste à propos de sa pièce d’identité: “Monsieur, vous êtes sourd, ou vous êtes idiot ?” Et, à un autre: “Arrêtez de me remercier, ça m’agace ! Là, c’est la procédure, parce que moi, j’aurais préféré que vous restiez en rétention.” On comprend que le droit a été sauvé de justesse.

Qu’est ce qui guide l’audience : des sentiments et des positions personnelles ou le souci de l’application du droit ?

On y voit flou

Le Tourniquet #Covid-19 – 3

Des nouvelles du Centre de Rétention Administratif de Marseille

On y voit flou

À ce jour le centre de rétention administrative de Marseille est vide et le juge (JLD) local au repos.

Aucune information officielle ne dit pourquoi le CRA de Marseille ne reçoit plus personne ni jusqu’à quand cette situation va perdurer. Des bruits de couloir évoquent une fermeture jusqu’en juillet.

À Nîmes, le CRA reçoit des sortants de prison qui viennent des Baumettes (Marseille), mais aussi du Vaucluse et des Alpes Maritimes*. Ils sont là pour une deuxième peine, celle de l’éloignement : une OQTF, voire une IRTF. Le JLD assure les audiences les concernant en huis clos avec l’avocat. Les retenus sont les grands absents, il n’y a aucun témoin et pas même de visioconférence.

Pendant le confinement les retenus étaient généralement libérés puisque l’éloignement était impossible (cf. Tourniquet précédent). Depuis le 11 mai, le JLD a pris au moins deux décisions de prolongation de rétention parce qu’on est passé au dé-confinement, même si les frontières sont à ce jour majoritairement fermées. L’argument ne semble pas valoir pour l’ouverture des audiences au public…

Belle logique d’une justice confinée.

*Nîmes est à 3 h de Nice en auto, à 4h47 minimum en train

Le juge libère, le préfet s'obstine

Tourniquet #14  Covid-19 – 2
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Le juge libère, le préfet s’obstine.

Nous ne pouvons pas nous rendre aux audiences du JLD depuis le 13 mars. Le récit que nous livrons ici est le résumé d’un jugement récent rendu par le tribunal administratif de Marseille.

Il aura fallu un mois pour que monsieur A. bénéficie d’une application juste de la loi*.

Le 11 mars , la préfecture prend une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) à son encontre, et décide son placement en rétention en attendant son éloignement vers la Tunisie.

Le 20 mars, le JLD met fin à sa rétention au motif, évident, qu’il n’y a pas de perspectives raisonnables d’éloignement (rappel: la rétention n’est justifiée que dans cette attente): la Tunisie a fermé toutes ses frontières le 16 mars, pour une durée illimitée.

Le même jour, le préfet, qui semble ignorer ce fait, assigne monsieur A. à résidence** pour 45 jours, pendant lesquels il devra quotidiennement venir pointer au CRA du Canet (le Centre de rétention reste ouvert, même si depuis plus de dix jours les derniers retenus ont été libérés par le JLD).

Un recours est déposé au Tribunal administratif, fondé sur cette absence de perspectives d’éloignement. Le mémoire de l’avocat rappelle également que le retenu a été privé de son droit d’être entendu.

Enfin, le 17 avril, la décision du juge du TA est prise: l’Assignation à résidence est annulée, “la République ordonne au Préfet des Bouches-du-Rhône… de pourvoir à l’exécution de la présente décision”.

Monsieur A. n’a plus à se rendre chaque jour au CRA.
Quant à l’acharnement de la préfecture, quel sens peut-il avoir ?

 

* Telle qu’écrite dans le CESEDA, code concernant les étrangers.
** L’Assignation à résidence avec obligation de pointer, en préfecture, commissariat…: autre moyen de s’assurer que l’on peut à tout moment signifier à la personne que le moment de l’éloignement est venu.

Coronavirus : point sur la situation au CRA de Marseille et sur l’action de l’équipe JLD de la Cimade

Tourniquet #Covid-19 – 1
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Si les Centres de Rétention Administratives se sont massivement vidés à travers le pays depuis le début du confinement, ils ne sont cependant toujours pas sur le point d’être fermés: vendredi dernier, le Conseil d’État a rejeté la demande de leur fermeture déposée par le GISTI, l’ADDE, le Syndicat des avocats de France, La Cimade et le Conseil national des barreaux*.
Malgré le risque élevé de contamination au sein des CRA, la grande vulnérabilité des personnes retenues et l’absurdité de la mesure de rétention (aucun départ effectif à brève échéance : frontières fermées, liaisons aériennes interrompues, risque d’exportation de la maladie contraire aux recommandations de l’OMS), 160 retenus restent enfermés en France**, dont 5 à Marseille d’après le quotidien La Provence***.

Notre équipe est composée d’observateurs citoyens qui se rendent régulièrement aux audiences du Juge des Libertés et de la Détention afin de rapporter dans cette newsletter bi-mensuelle ses observations à travers ses récits et témoignages.
Aujourd’hui, en raison de la crise sanitaire, nous ne sommes plus en mesure de nous rendre aux audiences. Notre suivi de la situation dépend désormais du travail journalistique :

* Communiqué conjoint de l’ADDE, de La CIMADE, du GISTI, du SAF et du CNB

** Dalloz-actualité: Coronavirus: le Conseil d’État rejette la demande de fermeture des centres de rétention administrative

*** La Provence: Coronavirus – Marseille: l’appel à la fermeture du centre de rétention du Canet

Sur Médiapart, retrouvez la Chronique d’Olivier Bertrand “A l’ombre les indésirables” une série de huit articles (en cours) sur le Centre de Rétention Administrative de Marseille.

Sur ce lien, retrouvez l’appel pour la fermeture immédiate du CRA de Guyane.

Retrouvez aussi la lettre ouverte au président et la pétition des CRA, du “Cercle des voisins”, ainsi que le communiqué  “CRA de Cornebarrieu: la CEDH demande des comptes au gouvernement français”.

Ici, le communiqué de presse du 18 mars 2020 des Organisations membres de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (publié dans notre dernier envoi).

Et toujours, retrouvez la pétition de la Cimade et 21 autres associations pour faire cesser la politique du tout enfermement, la maltraitance de personnes étrangères, proscrire la rétention d’enfants, assurer la protection des personnes les plus vulnérables et mettre un terme aux pratiques illégales de l’administration.

D’ici notre prochain envoi, nous restons vigilants!

L’équipe JLD de la Cimade Marseille

Face à la crise sanitaire, l’enfermement administratif des personnes étrangères doit immédiatement cesser

Tourniquet #14   24 avril 2020
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Coronavirus: Danger de contamination dû à la promiscuité dans les Centres de rétention. Impossibilité de procéder à l’éloignement, les frontières étant fermées. L’Observatoire de l’enfermement des étrangers dont La Cimade est membre, appelle à la libération immédiate de toutes les personnes enfermées en rétention ou en zone d’attente. C’est une exigence absolue, tant juridique que sanitaire.

Alors que dans son discours du 16 mars, le Président de la République Emmanuel Macron appelle à faire preuve “d’esprit solidaire et de sens des responsabilités” et à l’heure où le pays entre dans une période de confinement, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE) s’alarme de voir que des personnes (hommes, femmes, enfants) sont toujours privées de liberté dans les centres de rétention administrative (CRA), les locaux de rétention administrative (LRA), les zones d’attente (ZA) et les constructions modulaires du poste de police de Menton pont Saint-Louis.

Leur libération immédiate est une exigence absolue, tant juridique que sanitaire.

Des personnes auxquelles il est seulement reproché de ne pas justifier de la régularité de leur entrée ou de leur séjour en France ne peuvent être enfermées en zone d’attente ou en rétention que le temps strictement nécessaire à l’organisation de leur départ et à la condition expresse qu’il existe des perspectives raisonnables que ce départ puisse être effectif à brève échéance [Articles L 221-1, L 551-1 et L 561-2 du Ceseda].

Or, l’éloignement de ces personnes est impossible, aujourd’hui et pour les semaines à venir et ce, pour deux raisons. D’abord parce que la plupart des liaisons aériennes avec les pays vers lesquels elles devaient être renvoyées ont été interrompues. Ensuite parce que leur éloignement du territoire serait contraire aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui visent à limiter les risques d’exportation ou d’importation de la maladie.

La privation de liberté subie par ces personnes ne répond donc pas aux conditions prévues par les textes applicables aux droits des étrangers en France et leur est imposée en violation de leurs droits fondamentaux.

Extrait du communiqué de presse du 18 mars 2020 des Organisations membres de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers: ACAT-France, Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), Anafé, Comede, Droit d’urgence, Fasti, Genepi, Gisti, La Cimade, Ligue des droits de l’homme, MRAP, Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau, Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM).

Lire le texte complet

Un simulacre de justice !

Tourniquet #13
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Un simulacre de justice !

Aujourd’hui, tout sera terminé en 35 minutes.

Il n’y a ni avocat, ni représentant de la Préfecture. Seules la Juge des libertés et de la détention et la personne retenue – ou son interprète – auront la parole, et en réduisant celle-ci au strict minimum.

Des trois personnes présentées, la première est restée moins de dix minutes dans la salle d’audience, pour se voir confirmer son placement au centre de rétention. Fin de la première audience, la juge dicte rapidement sa décision. “Vous voulez signer?”. Il n’y aura pas de rappel des droits.

Les deux marocains qui passent successivement ensuite, ont le même point important à faire entendre : ils n’ont plus aucune famille au Maroc où la Préfecture veut les renvoyer. Pour l’un toute sa famille est en Libye, pour l’autre en France. La juge écoute, et reprend la parole rapidement : “Là, ce sera un retour au Maroc”. Rédaction de la décision : “Vous voulez signer ?” L’un refuse. “Vous pouvez faire appel”. Une policière le prend par le bras aussitôt, “Allez, viens”.

Voilà, c’est fini, et, si on se rappelle que ces audiences doivent permettre d’examiner la légalité du déroulement de la procédure, c’est caricatural.

[caption id="attachment_30399" align="alignnone" width="400"]A l'entrée de l'annexe du TGI L’entrée de la salle d’audience du JLD[/caption]

La justice doit être contradictoire

Les avocats étant en grève, le juge annonce aux étrangers qui lui sont présentés qu’ils devront se défendre seuls. Comment peuvent-ils le faire, alors qu’ils n’ont souvent pas leur dossier, ne connaissent pas le droit, et pour certains ne s’expriment pas en français?

Pendant quelques jours début février, les avocats grévistes sont venus plaider à plusieurs, soulevant tous les points de droit possibles, chaque cas donnant lieu à des débats de près d’une heure. Plusieurs libérations en ont résulté. Cette grève du zèle a démontré, s’il le fallait, l’importance d’une justice contradictoire, inscrite dans la loi de la République, pour l’application des droits.

Mais à part cet épisode, nous assistons à chaque audience à un simulacre de justice. Comment dans ces conditions ne pas dénoncer la partialité de la justice ?

 

Lire le rapport de La Cimade 2018 sur les centres de rétention

Voir aussi la Revue « La Crazette », réalisée par l’équipe des intervenant·e·s de La Cimade au CRA du Mesnil-Amelot.

Audiences publiques ? Plus ou moins.

Tourniquet #12
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Audiences publiques ? Plus ou moins.

La sérénité de la justice serait-elle dérangée si le public pouvait entrer dès le début des débats dans la salle d’audience du TGI pour les étrangers ?
La sécurité est-elle mieux assurée si, comme ce matin, nous ne pouvons entrer qu’au moment où la première personne présentée va en sortir ?
Ici les audiences sont publiques, pour la plupart, et si on excepte la première. Quant aux suivantes, elles peuvent l’être, relativement. Est-ce vraiment public si les débats sont tenus à voix suffisamment basse, ou rapide, ou les deux, pour que dans la salle on n’entende rien ?

Image Solie MorinCe jeudi, après un accès trop tardif à la salle, il y aura deux moments où les paroles du juge seront prononcées d’une voix si ténue qu’elle ne passera pas l’obstacle des corps du monsieur qui est présenté et de son avocat, et font face au juge.
La semaine précédente, la tonalité était inverse. Le représentant de la Préfecture commençait à développer son discours demandant une prolongation de rétention, quand il eut la surprise d’être interrompu par le juge qui lui demanda de parler lentement pour tenir compte des gens qui étaient dans la salle. Ajoutant le descriptif d’un exercice facilitant une élocution claire. “Je ne vous l’imposerai pas, mais c’est très efficace !” Après des temps de murmures à grande vitesse, la Préfecture devint audible.
Cela, bien sûr, ne change pas grand chose quand aux résultats, la rétention est toujours la règle, on fait toujours mine de croire que ce n’est pas de la détention. Mais, tenu à l’écart des tribunaux de centre ville, ce tribunal spécial peut ressembler un petit peu à un autre tribunal.

Lire le rapport de La Cimade 2018 sur les centres de rétention

Voir aussi la Revue « La Crazette », réalisée par l’équipe des intervenant·e·s de La Cimade au CRA du Mesnil-Amelot.

”Pourquoi vous pleurez, monsieur ? Le débat est trop long, vous vous ennuyez ?”

Tourniquet #11
Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

“Pourquoi vous pleurez, monsieur ?
Le débat est trop long, vous vous ennuyez ?”

Ce matin, deux avocats de la commission des étrangers plaident gratuitement pour que, malgré la grève, les personnes retenues aient une vraie défense. Alors qu’habituellement chaque cas est jugé en moins de vingt minutes, cette fois plus d’une heure sera consacrée à chaque retenu. Tous les points de droit opposables à cette justice spécifique aux étrangers seront soulevés.
D’abord les points de procédure, notamment les délais de transmission des dossiers non respectés. Nous, observateurs, sommes résignés à ce que les avocats découvrent dossiers et clients cinq minutes avant l’audience. Or ce point pourrait suffire à invalider la demande de prolongation en rétention posée par la Préfecture: “C’est en violation d’une justice contradictoire, souligne l’avocate. Madame la juge, vous devez pouvoir garantir les droits des personnes qui vous sont présentés”.


Sur le fond, la rétention est-elle légale? Pour ce jeune Algérien de 24 ans qui vit en France chez sa mère depuis quatre ans, plusieurs points de nullité sont soulevés. Au milieu du débat, qui l’agace manifestement, elle s’adresse au retenu:
– “Pourquoi vous pleurez, monsieur ? Le débat est trop long, vous vous ennuyez?
– C’est parce que je suis en prison, et je n’ai rien fait, répond-il
– Ah, monsieur, mais vous résidez ici illégalement!”
L’avocat insiste: c’est au contraire la rétention de ce jeune qui est illégale. Selon la loi, la rétention n’est justifiée que pour permettre d’organiser l’éloignement (l’expulsion) de l’étranger.
Or le consulat interrogé n’a pas délivré de laisser-passer: il n’y a donc aucune perspective d’éloignement.
La rétention est dès lors non seulement illégale, mais inutile: après 90 jours, ce jeune devra être libéré. Mais dans quel état, après ce long enfermement?
Quant au coût financier pour l’État…

Lire le rapport de La Cimade 2018 sur les centres de rétention

Voir aussi la Revue « La Crazette », réalisée par l’équipe des intervenant·e·s de La Cimade au CRA du Mesnil-Amelot.

”On est sur les apparences”

Tourniquet #10     janvier 20

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

« On est sur les apparences »

Pourquoi Monsieur A., tunisien, depuis quatorze ans en France, sera-t-il éloigné ? Parce qu’il n’a pas de titre de séjour.
Mais au départ, il y a le contrôle d’identité. Pourquoi Monsieur A. a-t-il été contrôlé, interpellé et conduit au CRA ? A cause des apparences.
Ce que dit le procès verbal de police : que Monsieur A., de type nord-africain, est penché vers le siège avant d’une voiture dont la portière est ouverte. Il sera contrôlé pour cela. Parce que lui, qui ramassait un chargeur de téléphone sur le tapis de sol, donne l’impression aux policiers qu’il bricole les fusibles, et va voler la voiture.

Le représentant de la Préfecture, après avoir ironisé sur le fait de chercher un câble de téléphone derrière le volant d’une auto, dit que lui il n’y connaît rien… mais que c’est clair, c’est le mode opératoire caractéristique.
L’avocate, qui conteste la régularité du contrôle d’identité, fait remarquer que Monsieur A. avait les clés du véhicule : on ne le lui avait pas demandé…

La JLD a alors cette parole révélatrice: “Vous voyez bien qu’on est sur les apparences, Maître.
Et les apparences deviennent des indices : selon la police, Monsieur A. « n’est pas de type caucasien », il est penché vers le dessous du volant. Ce sont là les indices qu’on va commettre une infraction. La procédure est déclarée régulière.

La JLD décide que Monsieur A. restera au CRA en attente de son éloignement.

Dessin de Solie Morin, Tourniquet 10

Contrôles d’identité

Il existe plusieurs situations permettant un contrôle d’identité, codifiées dans le Code de procédure pénale,  articles 78-1, 78-2, 78-2-1.
Entre autres, dans l’art. 78-2: Un Officier de Police Judiciaire (ou un agent sous sa responsabilité) peut ainsi “inviter à justifier, par tout moyen, de son identité, toute personne à l’égard de laquelle existe un indice faisant présumer (notamment) qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction”.
Contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques : il peut être jugé discriminatoire (cf. Cour de Cassation, le 9 novembre 2016, suite au recours de personnes d’origine africaine ou nord-africaine. La personne qui s’en estime victime doit apporter des éléments laissant présumer cette discrimination, l’administration ayant la charge d’en montrer l’absence.

La Cimade se bat contre toute forme de discrimination.
Pour elle “il n’y a pas d’étranger sur la terre”.

 

Lire le rapport de La Cimade 2018 sur les centres de rétention

Voir aussi la Revue « La Crazette », réalisée par l’équipe des intervenant·e·s de La Cimade au CRA du Mesnil-Amelot.

Sans défense

Tourniquet #9   janvier 20

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Sans défense

Depuis plusieurs jours, en début d’audience, le JLD précise à la personne présentée: “Monsieur, vous n’aurez pas d’avocat, en raison de la grève; comme elle continue demain, et comme la loi m’impose un délai que je dois respecter, je dois rendre une décision au cours de cette audience. Vous devrez vous défendre seul.
Il n’y a donc pas d’avocat*.

Voilà, c’est simple. Ou presque.
Car la loi prévoit -art. L 551-2 du CESEDA**- qu’en rétention, “l’étranger est informé dans une langue qu’il comprend et dans les meilleurs délais du fait qu’il bénéficie, dans le lieu de rétention, du droit de demander l’assistance d’un interprète, d’un conseil et d’un médecin…”
D’avocat (le conseil), il n’aura pas. A un moment, le juge demandera à l’étranger s’il veut ajouter quelque chose sur sa situation personnelle. Il devra comprendre que c’est le moment de se défendre. Une défense se prépare, en toute connaissance des articles de loi qui justifient la procédure aboutissant à la rétention. Est-ce le cas?
Quant au juge, n’est-il pas garant de la légalité à toutes les étapes de cette procédure?

*Pas d’avocat commis d’office (seuls de rares avocats choisis défendent leurs clients; 3 sur 11, un jour. Aucun un autre jour).

** CESEDA : Code de l’entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d’asile

Images d'audience

 

Lire le rapport de La Cimade 2018 sur les centres de rétention

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”Des gens très bien”

Tourniquet #8

 Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Des gens très bien

Madame Y., Syrienne, est présentée par la police de l’aéroport, parce qu’elle détient un passeport qui n’est pas le sien.

– L’avocat : « Madame était dans un camp en Turquie, dans de mauvaises conditions, ne pouvant ni travailler ni vivre normalement. Elle était ingénieur biologiste en Syrie. Elle voulait rejoindre son époux, qui est ici dans la salle. C’est le passeur qui lui a fait jeter son passeport et lui en a donné un autre. Elle passe demain au tribunal administratif pour demander l’asile en France.

– La juge : On voit qu’elle a une certaine éducation… Son mari, c’est pareil, ce sont des gens très bien… Mais je ne peux pas la faire entrer en France avec un passeport qui ne lui appartient pas. Elle obtiendra l’asile.

(au policier): Je l’autorise à parler cinq minutes à son mari, dehors… Non, dans le bureau, ils seront mieux…

– Le policier : Oui, on va rester humains !”

Un traitement humain, régime de faveur pour “les gens très bien”?

Il est certes rassurant d’entendre un policier de la PAF affirmer qu’il va rester humain…

Mais nous pouvons dire que c’est l’arbre qui cache la forêt. Dans la salle d’audience nous assistons régulièrement à des interdictions de contacts avec la famille présente, à des indiscrétions ou à des paroles blessantes, tous traitements loin d’être humains.

La juge ici, en faisant une exception juste après avoir évalué positivement “l’éducation” de la personne présentée, illustre l’esprit de la politique des quotas: il y a les bons étrangers, les personnes jugées “très bien”, et les autres, les indésirables. A la Cimade, nous sommes pour l’accueil inconditionnel des étrangers.

Lire le rapport de La Cimade 2018 sur les centres de rétention

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”Humainement”

Tourniquet #7     décembre 2019

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Humainement.

Dans la salle d’audience, ils sont huit à attendre l’entrée de monsieur S. Il arrive et la juge se met à interroger chacune des huit personnes présentes dans la salle, sur son identité et ses liens avec le jeune homme.
Elle rappelle ensuite l’histoire de monsieur S., qui vient de passer de prison au Centre de Rétention. Il a quitté son pays à 5 ans, après un sanglant drame familial. Il a été élevé en France par sa belle-mère. Alors qu’il était encore mineur, il a participé à un cambriolage qui a mal tourné, et a passé 5 ans en détention. En prison, il a suivi une formation aux métiers du bâtiment, et une autre en boulangerie.
La juge ajoute :” Vous attribuez le délit commis à votre jeunesse. Vous pensez que maintenant… bon, là ,maintenant vous avez une compagne qui attend un enfant. L’Angola, vous n’y êtes jamais retourné. Et le Préfet entend vous faire quitter le territoire, il a pris un arrêté d’expulsion au motif que vous constituez une menace grave pour l’ordre public. Humainement, je ne me vois pas faire retourner un jeune homme de 23 ans dans un pays qu’il a quitté très jeune et de façon dramatique. Je vous libère, Monsieur.

Quelle est la latitude du JLD?

Il le rappelle souvent, sa compétence est limitée.

On lui demande d’examiner la régularité d’une procédure, de l’interpellation au placement en rétention. Et d’apprécier la nécessité de prolonger cette rétention au-delà des premières 48 heures. Le plus souvent, seuls sont regardés au cours de ces audiences les aspects formels: les actes sont-ils signés par la bonne personne? Transmis en temps voulu? Y a t’il un réel accès aux droits à chaque étape? Et l’étranger retenu a peu l’occasion de s’exprimer là-dessus.

Lorsque le JLD ne se contente pas d’un interrogatoire expédié pour la forme (avec la séquence: Avez-vous quelque chose à ajouter? – Réponse… – Ce n’est pas le lieu d’en débattre ici.); lorsqu’il écoute la parole de la personne présentée, et ici de ses proches, lorsqu’il prend en compte le but et les conséquences et pas uniquement l’application la plus restrictive des articles du CESEDA, en suivant la demande de la Préfecture, une porte peut s’ouvrir.

C’est rare; ce n’est pas impossible.

Lire le rapport de La Cimade 2018 sur les centres de rétention

Voir aussi la Revue « La Crazette », réalisée par l’équipe des intervenant·e·s de La Cimade au CRA du Mesnil-Amelot.

Le tribunal fait du tourisme

Tourniquet #6   décembre 2019

 Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Le tribunal fait du tourisme

Troisième dossier du jour.

Le juge s’étirant sur son siège: “On continue le voyage. Alors maintenant on va partir en… Afghanistan! Au fait vous avez lu le livre…”

L’avocat et le juge entament en face à face une discussion littéraire.

Pendant ce temps, M. M. entre. Personne ne fait attention à lui. Il cherche sa place. La traductrice lui indique discrètement, mais c’est l’avocat qui l’occupe. M.M. reste là où il doit être, le nez dans la robe de l’avocat qui lui tourne le dos.

Puis l’avocat se retourne vers la traductrice: “L’Afghanistan, c’est bien là qu’ils font ce polo avec une tête de mouton. Ça s’appelle comment… vous savez le polo avec la tête de mouton?…” Gênée la traductrice donne un nom. Regards de connivence satisfaite entre le juge et l’avocat “Ah, voilà, c’est ça…!”.

Le juge, à la traductrice: “Il parle quoi d’ailleurs?…” La traductrice répond qu’il parle pachtoun, mais que ce sont aussi les gens qu’on nomme comme ça, les Pachtouns. Le juge et l’avocat semblent heureux d’apprendre des choses sur l’Afghanistan.

Le dos de M. M. ne dit rien de ce qu’il pense. Le juge examine le dossier, donne la parole au représentant de la Préfecture, puis tout en l’écoutant glisse encore à l’avocat quelques réflexions sur le fameux bouquin.

M. M. peut enfin parler. Il a eu deux refus de demande d’asile en Allemagne. Il ne comprend pas pourquoi. Il a eu peur d’être renvoyé en Afghanistan là-bas, donc il est venu en France. L’avocat explique que dans le village où il vivait, sa famille est considérée par les Talibans comme collaboratrice de l’État Afghan.

Quand le maintien de M. M. au CRA est confirmé en attendant son expulsion vers l’Allemagne, et donc vers l’Afghanistan, tous les protagonistes, deviennent graves; conscients de ce que cela veut dire.

Renvois forcés vers l’Afghanistan depuis l’Union européenne

Jusqu’en 2018, le pays qui reçoit le plus de migrants afghans, et le plus de demandes d’asile, est l’Allemagne. Mais en France il y a eu un accroissement, que le gouvernement veut contrer.
En Allemagne, en 2016, 2017, le taux d’acceptation des demandes d’asile faites par des Afghans était de 50%; en 2018, de 37,5%. Après un attentat particulièrement meurtrier à Kaboul, en juin 2017, A. Merkel avait suspendu les renvois forcés. Ils ont repris. Et certains des demandeurs déboutés passent en France.

En France, le taux d’acceptation des demandes d’asile venant d’Afghans était plus élevé qu’en Allemagne (jusqu’à 80%), mais les demandes étaient nettement moins nombreuses. Ce taux a baissé; il y a donc plus de déboutés. Et le gouvernement veut faciliter la procédure de renvoi forcé. Le 18 septembre, l’Assemblée nationale a adopté, après le Sénat, le projet de loi qui prévoit un accord entre l’Union européenne et la République islamique d’Afghanistan facilitant les réadmissions (expulsions). Amnesty International et La Cimade ont mené une campagne pour dénoncer des renvois qui violent le droit international: celui-ci interdit tout renvoi d’une personne qui l’exposerait à des violations graves de ses droits.

Le Ministère de l’Intérieur fait valoir que les retours contraints depuis la France n’ont été que de 11 en 2018. Les violences en Afghanistan sont continuelles; que ces 11 personnes soient exposées à un danger de mort ne semblent pas peser assez lourd.

Et il faut considérer que, aux renvois directs, s’ajoutent les renvois indirects: quand la France renvoie dans le pays où la personne, afghane, avait d’abord demandé l’asile (Allemagne, Norvège, Suède…), et d’où elle sera alors expulsée vers l’Afghanistan.

Lire le rapport de La Cimade 2018 sur les centres de rétention

Voir aussi la Revue « La Crazette », réalisée par l’équipe des intervenant·e·s de La Cimade au CRA du Mesnil-Amelot.

Deux mois pour aller de Marseille en Italie

Tourniquet #5  novembre 2019

 Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Il a 25 ans, il est gambien. Arrivé par l’Italie dans l’espace Schengen, interpellé à Marseille, il est au Centre de Rétention en attente de son transfert vers l’Italie où les textes l’obligent à faire sa demande d’asile.

Longue attente pour ce jeune homme qui est là déjà depuis 30 jours, et pour lequel la Préfecture demande une prolongation de 28 jours… Son avocate fait remarquer que l’Italie est à deux heures et demie du Centre de rétention.

La juge s’en étonne auprès de la représentante de la préfecture :

  • Il n’y a pas de place sur les vols depuis un mois? Pourquoi n’est-il pas parti sur le vol prévu il y a deux semaines? S’agit-il de vols militaires ou privés? Et les transferts en voiture avec des policiers, c’est possible, non?
    Les accords franco-italiens obligent à utiliser l’avion, répond celle-ci. Les lignes commerciales sont pleines. On utilise des vols dédiés, mais le vol prévu était en surbooking… ce sont de petits avions de cinq places. Il y aura un vol le mois prochain, mais y aura-t-il une place pour lui? De plus, l’Italie aura-t-elle donné son accord pour son retour?…

L’avocate reprend la parole: Monsieur a besoin de soins dentaires; on a contacté l’hôpital, qui ne lui donne pas de rendez-vous parce que la date de transfert n’est pas fixée.La rétention, dit-on, n’est pas un emprisonnement. Son fonctionnement est-il moins obscur? Moins absurde? Pour le jeune Gambien, qui reste en rétention, c’est incompréhensible.

Lire le rapport de la Cimade 2018 sur les centres de rétention

Voir aussi la Revue « La Crazette », réalisée par l’équipe des intervenant·e·s de La Cimade au CRA du Mesnil-Amelot.

Tout le monde s’aime

Tourniquet #4

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Tout le monde s’aime

Ce matin au tribunal, tous les protagonistes s’apprécient, et se le disent. Tous, sauf un. Le juge, d’abord sur la réserve, s’autorise quelques rires avec le représentant de la Préfecture pendant les temps d’attente, nombreux ce jour-là. Il rit même franchement quand il s’adresse à lui, avec un lapsus: “C’est à vous monsieur le préfet.” Le premier avocat, qui est arrivé tard, remercie la Cour pour sa patience. Le second sert chaleureusement la main de son client; et complimente le représentant de la préfecture – décidément héros du jour: “Je vous retrouve bien là, qui cherchez toujours la solution.” Et, de fait, ce dernier termine ses requêtes de maintien en détention en expliquant les démarches que chaque personne qui comparaît devrait faire à partir de son pays. Il néglige seulement le fait que pratiquement aucune ne retournera “dans son pays”, parce que, pour trois d’entre elles, les autorités ne les reconnaissent pas, et ne délivrent pas de laisser-passer.

Notamment, monsieur M. qui quelques temps auparavant, a été renvoyé en Algérie. Il dit qu’arrivé là, il a été battu et finalement renvoyé en France. Où le renverra-t-on après une nouvelle période de rétention, en Algérie, en Tunisie, au Maroc? Nulle part? Il supplie de ne pas rester en rétention; on ne l’écoute pas; et lui ne veut pas écouter la fin de la traduction de l’interprète, ni signer le procès-verbal, il est en colère et le montre. L’avocat glisse: “On peut le comprendre.”

Il y aura encore ce monsieur qui se dit Tunisien, non reconnu par la Tunisie. Et cet autre, dont le juge, toujours très calme, rappelle les déclarations contradictoires sur son origine, mais qui affirme être Algérien et vouloir retourner en Algérie. Où sera–t-il dans 28 jours? Dans deux mois?

Alors, le représentant de la préfecture explique: “Si Monsieur n’est pas reconnu (par l’Algérie, la Tunisie ou le Maroc) pendant sa rétention, à l’issue il sera libre de partir dans le pays de son choix.

Avec une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) de trois ans qui lui interdit l’Union européenne, il lui reste toute l’Asie, les Amériques, l’Océanie… Tout va bien.

Prolongations de rétention

Après 48h passées au centre de rétention, la préfecture doit obtenir du juge des libertés et de la détention une prolongation de 28 jours pour préparer l’éloignement.

Seconde prolongation: Si la rétention n’a pas pris fin après une 1re prolongation, le préfet peut, dans certains cas, demander au JLD une seconde prolongation de 30 jours francs:- en cas d’urgence absolue (exemple: risque de fuite),- en cas de menace particulière grave pour l’ordre public,- ou si la personne n’a pas pu être renvoyée: en raison de la perte ou de la destruction volontaire de son passeport, de la dissimulation de son identité ou de l’obstruction à son éloignement / parce que le consulat de son pays d’origine ne lui a pas délivré de laissez-passer / ou faute de moyens de transport.Pendant la rétention, la personne retenue pourra être amenée à rencontrer le Consul de son pays.

Rétention bête et méchante

Tourniquet #3

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

Rétention bête et méchante

La juge est saisie par Monsieur H. d’une requête contre son placement en rétention. Il est déjà passé devant le tribunal, mais apporte des éléments nouveaux.

Monsieur présente un certificat médical, délivré par le médecin de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), il y a déjà huit jours: il est dit qu’il a besoin d’une prise en charge médicale d’au moins trois mois, sous peine de conséquences “extrêmement graves”; et que dans le pays de renvoi, la Tunisie, il ne recevrait pas les soins nécessaires.

L’avocat souligne que le maintien en rétention de Monsieur est dangereux au vu de ce certificat, et que, de plus, il n’a tout simplement pas d’objet. En effet, il faut lui garantir au minimum trois mois de traitement. Alors, même avec une rétention totale maximale de 90 jours (dont il a déjà effectué 10), on ne pourrait le mettre dans un avion sous peine d’interrompre son traitement et de mettre sa vie en danger.

La juge ne comprend pas que la préfecture ne l’ait pas fait libérer suite à ce certificat.

Pitoyable réponse de la préfecture : le certificat médical donne un avis au Préfet, il n’est pas contraignant, donc pas forcément suivi. C’est exact, le préfet peut prendre le risque du décès d’un homme sans titre de séjour.

Après une courte suspension d’audience, la juge ordonne que Monsieur H. soit libéré. Il pourra se rendre à l’hôpital.

La vulnérabilité

Au centre de rétention , il est possible de consulter un médecin si nécessaire, comme écrit dans le CESEDA.

L’étranger ou le demandeur d’asile, placé en rétention administrative, peut, indépendamment de l’examen de son état de vulnérabilité par l’autorité administrative lors de son placement en rétention, faire l’objet, à sa demande, d’une évaluation de son état de vulnérabilité par des agents de lOffice français de limmigration et de lintégration et, en tant que de besoin, par un médecin de l’unité médicale du centre de rétention administrative.

A l’issue de cette évaluation, l’agent de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et le médecin qui en ont été chargés peuvent formuler des avis sur les éventuels besoins d’adaptation des conditions de rétention de létranger ou sur son maintien en rétention lorsque ce dernier est incompatible avec son état de vulnérabilité. Le responsable du centre de rétention ou son représentant détermine, le cas échéant, les modalités particulières de maintien en rétention tenant compte de la situation de vulnérabilité de la personne et, en cas d’incompatibilité du maintien en rétention avec cet état, en avise l’autorité administrative compétente.

”Ce monsieur est difficile à défendre”.

Le Tourniquet #2

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

“Ce monsieur est difficile à défendre”

Monsieur X est chinois. Interpellé lors d’un contrôle de police en centre-ville de Marseille, il a été placé en centre de rétention en l’absence de papiers. Monsieur X est debout face à la juge mais, dès les premières paroles, son dos se courbe et il se recroqueville. Il explique qu’il est entré en France depuis l’Espagne il y a un an, qu’il a quitté la Chine après avoir fait faillite et qu’il est venu travailler ici afin que son enfant, scolarisé en Australie, puisse terminer ses études. “Encore un an ! Il aura son diplôme dans un an !”, supplie-t-il.  Monsieur X pleure devant la juge et se prostré de plus en plus. A sa gauche, l’interprète reste droit et traduit sans discontinuer ce que dit la juge, le regard porté vers cet homme qui s’affaisse à ses côtés.

“On m’a volé mon passeport mais je travaille comme manutentionnaire au sein de la communauté chinoise. Laissez-moi rester un an…”

Le représentant de la préfecture s’immisce dans le tableau, et s’adresse à la juge: “Je vais lui apporter des explications…” A Monsieur X: “Si vous avez un employeur, celui-ci doit faire une demande pour obtenir un visa…” Monsieur X est assis, la tête entre les mains et continue de s’affaisser vers le sol. L’interprète est toujours debout, droit comme un i, et regarde à ses pieds sans interrompre son flot de paroles en chinois. Mais Monsieur X n’en finit plus de s’expliquer.Dans ce brouhaha, dans ce dialogue de sourds, personne ne saura ce qu’il tente de dire. L’avocat, muet jusqu’alors, soupire: “Ce monsieur est difficile à défendre”. Sa détresse n’est pourtant pas difficile à comprendre…La Juge des Libertés et de la Détention prononce la prolongation en rétention de Monsieur X en attendant son expulsion vers la Chine.

Contrôles et mesures conduisant au placement en rétention

Le contrôle d’identité peut n’être effectué qu’à la seule initiative de la police ou de la gendarmerie ou sur réquisition du procureur et n’est justifié qu’à la condition que la personne soit soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction. Le contrôle ne peut pas être mis en œuvre aux seules fins de contrôler la régularité du séjour des étrangers. C’est également le cas pour un contrôle pour prévention d’une atteinte à l’ordre public ou un contrôle Schengen (infractions liées à la criminalité transfrontalière).

Un contrôle des documents de circulation et de séjour peut avoir lieu après un contrôle d’identité ou en dehors de celui-ci. Néanmoins, il faut que des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé soient de nature à faire apparaître sa qualité d’étranger. Ce contrôle ne doit pas avoir de caractère discriminatoire ou stigmatisant, et la nationalité étrangère de la personne doit pouvoir être déduite d’éléments objectifs extérieurs à celle-ci*** art 78-2 al.1 du Code de Procédure Pénale** circulaire du 18 janvier 2013.

Vous avez dit “Excusez-moi”.

Le Tourniquet #1    septembre 19

Audiences du Juge des libertés et de la détention (JLD) du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille

– “A quel endroit êtes-vous né ? »

Monsieur M. ne comprend pas.

Quand je vous ai dit de vous lever, vous avez dit: excusez-moi, alors, bon… vous parlez français ! Votre avocat a soulevé une nullité au motif que vous ne comprenez pas le français.

L’avocate rappelle que lors d’une précédente comparution Monsieur M. était assisté d’un interprète, et qu’en consultation médicale il a été noté l’impossibilité de se comprendre en français. La juge rétorque qu’entendu par la police, il a pu donner une adresse, dire qu’il venait de Géorgie, que sa mère y vivait. Sans interprète. Pendant une longue audition, avec reformulations, aides, réponses suggérées… ?

Pour la juge, il comprend donc le français, tout, tout ce qui se dit -très vite, dans un tribunal.

Plus tard : “Vous souhaitez ajouter quelque chose ?” Mais Monsieur M. ne comprend ni où en est l’audience, ni la question. Il tend le cou vers elle. “Quoi ?

A la fin, le juge : “Je rejette la nullité soulevée au motif de votre connaissance insuffisante de la langue française.

– “Quoi ?”

 

Auteur: Région Sud-Est

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