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Dans le projet de loi de simplification et d’accélération de l’action publique, le Gouvernement réaffirme son objectif de dématérialisation complète des demandes de titre de séjour et propose une suppression des récépissés pendant l’instruction des demandes, remplacés par des documents édités en ligne par les particuliers.
Alors que le Conseil d’État rappelait, le 27 novembre dernier, qu’une alternative aux téléservices dématérialisés doit toujours être proposée aux usagers et usagères du service public, le Gouvernement fait la sourde oreille. Ainsi, le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique dont l’examen par le Sénat démarrera le 3 mars prochain propose, dans une perspective de dématérialisation totale des demandes de titre de séjour, de supprimer de la loi toute notion au récépissé, ce document remis pendant l’instruction d’une demande de titre de séjour afin de justifier de ses droits (séjour, circulation, travail, droits sociaux…).
L’impact de la modification proposée échappera en grande partie au pouvoir du législateur, l’essentiel relevant de modifications réglementaires ultérieures dont les effets semblent à la fois mal mesurés et potentiellement très graves.
Une perspective illégale de déploiement de la dématérialisation
La Cimade dénonce depuis plusieurs années la mise à distance des usagers et des usagères de l’administration et l’invisibilisation des files d’attente par la dématérialisation. L’expérience montre sans ambiguïté que la dématérialisation n’a pas permis, en particulier pour ce qui concerne les personnes précaires, d’« améliorer l’accueil du public » ni d’offrir « une voie d’accès plus simple et plus rapide pour effectuer [la] demande et limiter [les] déplacements en préfecture » (extraits de l’étude d’impact du projet de loi). En matière de droits des personnes étrangères comme dans d’autres domaines, les difficultés liées à la fracture numérique, aux dysfonctionnements des sites internet ou encore à l’insuffisance des moyens maintenus pour la réception du public ont souvent accru les difficultés d’accès aux droits, ce que le Défenseur des droits a analysé de manière complète dans son rapport 2019 Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics.
Ainsi, le « maintien d’une capacité d’accueil en préfecture destinée à aider [les usagers] à réaliser leur demande en ligne » annoncé dans l’étude d’impact ne répondra pas à l’exigence du Conseil d’État qui impose à l’administration de permettre aux usagers de ne pas réaliser leurs démarches en ligne.
L’impact mal mesuré de la suppression des récépissés
Les textes réglementaires actuels prévoient qu’un récépissé est délivré à toute personne admise à « souscrire une demande de première délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour ». Ce document est fabriqué par la préfecture et remis en main propre. En pratique, il est très fréquent que les personnes restent les mains vides pendant l’instruction de leur demande et ne soient pas en mesure de justifier de la régularité de leur séjour et de leur droit au travail face à leur employeur, face à la CAF ou face à un contrôle de police. Pour les personnes en capacité d’accomplir leurs démarches en ligne, la possibilité d’éditer de façon autonome un document provisoire pourra donc présenter un intérêt, mais sous réserve de la possibilité de le récupérer par un autre biais en cas de dysfonctionnement du site… et sous réserve que ce document continue d’autoriser à séjourner, travailler et être rattaché aux organismes sociaux. Or à ce stade, le projet de loi ne propose pas de modifier les autres textes de loi qui font référence aux récépissés pour l’accès aux droits (par exemple le code de sécurité sociale et le code de l’action sociale et des familles) et qui deviendraient donc obsolètes, plongeant dans la précarité des millions de personnes pendant l’instruction de leur demande. Par ailleurs, les droits associés aux récépissés ou aux futurs documents provisoires étant en grande partie déterminés par décret, l’incertitude est grande quant aux impacts réels de la réforme législative sur les droits des personnes.
Une réforme floue qui risque de complexifier l’accès aux droits
Le contenu des futurs textes d’application est évoqué dans l’étude d’impact mais reste très flou. Le Gouvernement semble envisager une multiplication du type de documents provisoires pour remplacer le récépissé : « attestation dématérialisée de dépôt d’une demande », « attestation de prolongation de l’instruction », ou encore « attestation de décision favorable ». Cette multiplication ne fera que rendre la procédure plus illisible pour les usagers et usagères comme pour leurs interlocuteurs : il n’en sera que plus difficile pour un employeur, une banque ou un bailleur social, de savoir si le document présenté par la personne étrangère permet bien d’accéder à certains droits.
À la lecture du projet de loi, on ne comprend pas non plus si « l’attestation dématérialisée de dépôt d’une demande » vaudra bien autorisation de séjour et éventuellement de travail, ou si ces droits ne seraient accordés qu’avec « l’attestation de prolongation de l’instruction » voire même « l’attestation de décision favorable ». Dans ce dernier cas, les effets seraient catastrophiques pour les personnes demandant un renouvellement de titre qui ont déjà acquis des droits et les exercent.
Ainsi, à rebours de l’esprit de la modification proposée dans le cadre du projet de loi d’accélération et simplification de l’action publique, La Cimade appelle le Gouvernement et les député·e·s à renforcer les droits des personnes étrangères pendant l’instruction de leurs demandes de titre de séjour, en abandonnant le principe de dématérialisation exclusive des démarches et en renforçant le droit à un récépissé dès l’enregistrement d’une demande de titre de séjour.
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