Pour l’avenir de Mayotte, l’Etat promet toujours plus d’inégalités
Alors que la colère gronde à Mayotte et que les revendications se font plus pressantes que ...
Depuis plusieurs jours, Mayotte connaît une mobilisation d’une rare ampleur, pour « faire face à l’abandon de Mayotte par l’Etat français » et pour empêcher la « vague migratoire » comorienne : manifestations, blocage du service immigration de la préfecture, blocage de l’accès à un dispensaire… La raison ? L’Etat français voudrait faciliter l’accès au visa pour Mayotte depuis les îles comoriennes voisines. Présenté comme une menace, ne s’agirait-il pas là plutôt d’une piste de solution ?
cimetière des « kwassas » à Mayotte © Leny Stora
« Risque de submersion », « régularisation massive de clandestins », « futur calais de l’océan Indien », à entendre certains médias locaux, Mayotte ne devrait pas tarder à être engloutie sous les vagues de l’immigration comorienne et à disparaître des radars.Les voyants seraient au rouge et l’Etat en serait le responsable. Depuis la tenue du Haut-Conseil Paritaire franco-comorien du 15 septembre 2017 et l’annonce d’un potentiel assouplissement des conditions d’obtention du visa depuis les Comores, les spéculations vont bon train sur le risque d’invasion du 101ème département français.
Si toute mobilisation citoyenne qui demande plus de prise en compte de l’avis de la population est louable par essence, La Cimade se questionne sur le consensus qui semble se dégager de cette mobilisation et où on ne semble pas entendre de regard critique sur l’impasse que connaît Mayotte actuellement. Nous tenons ainsi à exposer un avis différent sur ce sujet d’actualité et présenter la fin du visa Balladur comme une avancée pour Mayotte et l’ensemble de l’archipel.
Avant toute chose, il nous semble déterminant de rappeler que ces échanges diplomatiques entre le gouvernement français et celui des Comores datent non pas du 12 septembre mais de…. 2011 ! A l’époque, sous le gouvernement Sarkozy, un accord bilatéral avait déjà conclu et évoquée le fait que la France était prête à « examiner toute mesure d’assouplissement des conditions d’octroi ou de délivrance du visa d’entrée à Mayotte ». Sous le gouvernement Hollande ensuite, le 28 novembre 2013, un pré-accord allant dans le même sens évoque que « la France s’engage à faciliter, dans la durée de validité de leur passeport, la délivrance d’un visa de court séjour à entrées multiples, d’une durée de validité limitée à cinq ans, pour des séjours n’excédant pas 90 jours aux ressortissants de l’Union des Comores » pour certaines catégories. Ainsi, cela fait 6 ans que des tractations ont lieux entre gouvernement, il est de ce fait difficile de croire à des négociations menées sans que les élus mahorais soient au courant.
Nos élus sont également bien au fait d’une chose, que plusieurs d’entre eux oublient trop souvent de rappeler : il s’agit de l’impasse de la politique migratoire française dans laquelle Mayotte. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
Centre de rétention de Mayotte © Leny Stora
Comme l’indiquait le rapport de la Cour des Comptes de janvier 2016 que personne n’a contesté, la situation d’impasse de cette politique répressive appelle à une « action diplomatique aussi délicate qu’énergique » pour viser « l’intégration de Mayotte dans son environnement régional […] vecteur essentiel du développement mahorais, tant du point de vue économique que sécuritaire« .
A l’inverse des choix politiques actuels, la volonté de permettre une plus grande liberté de circulation nous semble aller dans le bon chemin. Faciliter l’obtention des visas vers Mayotte, c’est prendre en compte le fait que des personnes ont toujours circulé et circuleront toujours entre les quatre îles. Si cette circulation est devenue « illégale » en 1995 avec l’apparition du visa dit Balladur, elle ne s’est pas atténuée, bien au contraire. L’écart croissant de richesse entre Mayotte et Anjouan y est pour beaucoup. Il faut également avoir en tête que nombreuses sont les personnes qui pourraient repartir de Mayotte vers les autres îles si elles pouvaient y revenir de temps en temps sans risquer leur vie lors de la traversée. Tous les jours, ce sont près d’une dizaine de personnes qui se font expulser de Mayotte de leur plein gré vers Anjouan, pour des raisons multiples : leurs soins sont finis, impératifs familiaux… Rendre légal cette circulation, c’est en finir avec cette idée qui voudrait nous faire croire que la frontière maritime mahoraise peut être étanche, c’est permettre aux personnes de bénéficier de plus de droits, c’est faciliter les échanges économiques et c’est tout simplement sauver des vies.
Penser une plus grande liberté de circulation, c’est également permettre aux personnes en situation régulière à Mayotte de se rendre sur le reste du territoire français sans visa, contrairement à la volonté de l’Etat français d’empêcher ces personnes de quitter l’île lorsqu’elles le souhaitent. La Cimade porte cette revendication depuis plusieurs années déjà.
Enfin, nous croyons que Mayotte devrait également s’inscrire dans une politique de co-développement régional qui pourrait, à terme, être bénéfique pour toutes et tous, par la réduction des inégalités. La question de la liberté de circulation ne peut en effet pas être une solution en elle-même pour les difficultés que connaît Mayotte et plus globalement l’archipel des Comores.
Parce qu’une coopération suppose au minimum qu’on soit deux, la solution ne relève pas uniquement des politiques publiques menées à Mayotte mais également à celles qui le sont dans l’Union des Comores. Trop nombreuses sont les personnes qui quittent cette partie de l’archipel en raison de la misère et des trop nombreuses défaillances étatiques.
Le Groupe local de la Cimade-Mayotte.
Auteur: Région Outre-Mer