Pour l’avenir de Mayotte, l’Etat promet toujours plus d’inégalités
Alors que la colère gronde à Mayotte et que les revendications se font plus pressantes que ...
« Je suis né à Anjouan, en 1989, dans le village de Ngadzalé. Ça se trouve à côté de Domoni. Domoni c’est une grande ville, là où il y eu le Président, Ahmed Abdallah Abderemane », celui qui, en juillet 1975, proclame l’indépendance des Comores à la suite de la consultation référendaire qui emporta alors l’adhésion de la majorité des Comoriens.
(photo : ©Damien Riccio)
L’histoire politique de son pays, les Comores, Amal la connaît bien. Il en parle volontiers, et situe le déroulement de sa propre existence à travers celle-ci. Il établit des liens entre la grande Histoire de l’archipel, celle de l’accession à l’indépendance, et sa petite histoire à lui, celle d’un gosse de dix ans qui décide un jour d’embarquer à bord d’un kwassa pour rejoindre ses parents, partis s’installer à Mayotte. Mayotte la française. Amal ne sait pas expliquer précisément pourquoi Mayotte demeura française quand les trois autres îles de l’archipel acquirent leur indépendance. Pour Amal, le nom d’Ahmed Abdallah renvoie aux promesses non tenues d’une décolonisation partielle. Mais aujourd’hui, ce qui compte, c’est de faire face au quotidien et de s’imaginer un avenir. L’avenir d’Amal a commencé à s’écrire à l’école, et très tôt, c’est cette perspective que lui et toute sa fratrie décidèrent de suivre.
Amal me reçoit près de chez lui, dans un village du centre de Mayotte, assis en lisière de forêt, à quelques encablures de son banga . Comme la majorité des autres jeunes hommes du quartier, il attend de pouvoir se marier pour habiter légitimement dans un logement à lui, avec sa futur épouse. En attendant, il vit dans un banga des célibataires, avec plusieurs autres amis. La cahute est entourée d’une palissade faite de bric et de broc : morceaux de tôles, planches, plants de manioc qui poussent, s’entrelacent et donnent à l’ensemble sa solidité autant que ses tonalités de verdure. Dans l’un des angles de cette parcelle, un petit enclos dans lequel ont été placées une dizaine de chèvres. Amal s’en occupe tous les matins avant toute autre chose : se déplacer en forêt pour découper des herbes, du « lapaille » comme il dit, les porter dans la mangeoire, remplir un récipient d’une eau rapportée de la rivière. Amal n’est pas propriétaire de ces chèvres. Il s’en occupe, gratuitement, pour un mahorais. C’est un arrangement correct de son point de vue : la gratuité du service produit est compensé par le fait qu’il est récemment devenu propriétaire de deux chevreaux, depuis que l’une des chèvres dont il s’occupe a mis bas. Comme souvent dans les espaces de vie clandestine à Mayotte, certains échanges sont démonétarisés : ce qui s’échange, ce n’est pas de l’argent, c’est de la force de travail.
©Damien Riccio
Le sens qu’Amal fait porter à son parcours migratoire se donne à voir dans sa vie quotidienne. Elle s’articule à la fois autour d’un ensemble de stratégies de subsistance qui font de chaque journée passée une répétition du jour précédent, et autour de temporalités plus longues accordant une place prépondérante à l’avenir de sa famille. Amal est le frère cadet d’une fratrie de dix enfants. Sept frère, trois sœurs. Il a un peu de mal à situer les dates de naissance de chacun d’eux, et résume : « En fait, dans la famille, on a presque une année de décalage entre chacun de nous. » Aujourd’hui, l’ensemble des membres de sa famille vit à Mayotte. Hormis son plus jeune frère et sa plus jeune sœur, nés à Mayotte, tous ont pris le risque de traverser illégalement le bras de mer de soixante-dix kilomètres qui sépare Anjouan de « l’île aux parfums ». Quels buts Amal poursuit-il ? Quels sont les ressors profonds qui guident son initiative ? Comment comprendre que le caractère précaire de l’existence vécue ne décourage pas la réalisation de ces buts ?
Pour subvenir aux besoins de sa famille, le père d’Amal quitte Anjouan et part tenter sa chance à Mayotte. Amal ne se rappelle pas exactement de l’âge qu’il avait quand son père est parti. Peut être avait-il cinq ans, ou six. Ce dont Amal se rappelle en revanche, c’est la difficulté de la vie sur son île natale.
« Nous étions seuls, les enfants, avec ma mère, et en l’absence de mon père. Alors on a vécu quelques années, comme ça. La vie, pour les petits, je veux dire, pour les pauvres, c’est pas facile. Quand tu vis aux Comores et que tu ne connais personne qui travaille dans l’État, quand tu n’as pas fait d’études, ta vie, ça n’est rien. A Anjouan, les pauvres sont vraiment humiliés. Quand tu essaies de faire une démarche pour gagner ta vie, avec l’État, ça ne marche pas. Tu te retrouves toujours dans une situation d’échec. »
Amal décrit ce qu’il perçoit comme des passe-droits pour les uns, et des barrières pour les autres. Il parle de celles et ceux qui partent à l’étranger, à Dubaï, pour acheter des marchandises qu’ils revendront ensuite aux Comores. Il raconte les facilités qui leurs sont accordées aux moment de s’acquitter des frais de douanes. Des activités comme celles-ci, Amal s’en sait exclu. Il décrit un monde bipolaire dans lequel l’élite économique et politique se taille la part du lion quand d’autres, les petits, n’accèdent que très rarement à des conditions matérielles suffisantes pour vivre dignement. Peu importe si ce que décrit Amal soit ou non le reflet exact de la réalité. Ce qu’il décrit est ce en quoi il croit fermement : un monde où les possibilités de changement pour la classe laborieuse sont absentes. Amal fait un lien entre l’enrichissement des puissants et les possibilités qui leurs sont accordées pour se déplacer :
« Toujours, ceux qui gouvernent le pays, ce sont les riches. Et ces gens, ils ont la double nationalité, comorienne et française. Ils peuvent partir à Dubaï, ils peuvent aller à Mayotte, et revenir à Moroni, tout ça pour faire du business. Eux ils bougent. Nous on reste. »
©Damien Riccio
Pour Amal et sa famille, la perspective de changement, c’est l’école. Les diplômes. Les formations. Alors, à Anjouan, Amal et son grand frère sont assidus en classe. Mais son père, parti à Mayotte, ne peut plus subvenir seul aux besoins de ses enfants. Le petit champ que possède sa mère à Ngadzalé et qu’elle cultive, ne produit pas assez pour nourrir la famille. « Ma mère, elle était toute seule avec nous, elle trouvait que c’était insupportable une femme seule avec des enfants… » Elle décide alors de rejoindre son mari. Quand elle quitte Anjouan pour rejoindre Mayotte, Amal a dix ans. « Là, nous, on était seuls. On était sans père et sans mère, à Anjouan. Après, il y a eu une division de nos frères et sœurs. » Son grand frère et lui restent vivre à Ngadzalé afin de poursuivre leurs études. Le reste de sa fratrie part vivre chez la grand-mère maternelle, dans un village voisin.
« Du coup on allait à l’école tous les deux. Mais après, on a eu beaucoup de mal avec ça, car quand on revenait de l’école, à la maison, personne ne pouvait s’occuper de nous. Après l’école, mon frère et moi, on allait au champ, pour trouver à manger. Un jour, mon frère m’a dit : » si nous continuons comme ça, on ne pourra pas faire d’études, nous deux. Il faut que moi j’arrête l’école pour que toi, quand tu quittes l’école pour revenir à la maison, tu puisses avoir quelque chose à manger. Alors que si toi et moi on y va ensemble, personne ne pourra s’occuper de l’autre. » Donc mon frère a quitté l’école pendant deux ans. Moi j’ai fait une année, et après je suis passé en classe de CE1. »
Pendant qu’Amal allait à l’école, son grand-frère subvenait à leurs besoins. « Il partait en forêt, il allait prendre des fruits à pain, des bananes, des trucs comme ça. » La nécessité de retrouver leurs parents se fait de plus en plus pressante. Germe l’idée d’embarquer sur un kwassa. Initialement, le projet ne ressemble pas à un départ définitif. « Nous, notre objectif en venant ici, c’était de venir travailler à Mayotte, pour trouver des sous et acheter des cahiers, des livres, des fournitures, pour revenir ensuite un jour à Anjouan. »
©Axel Roux
C’est ainsi qu’en 1999, à l’âge dix ans, Amal et son meilleur ami Djaé décident ensemble de rejoindre Mayotte. Le père d’Amal lui a fait parvenir 400 euros afin de s’acquitter du coût de la traversée auprès du passeur. Comme souvent dans ce genre de contexte, l’argent a été confié au passager d’un bateau au départ de Mamoudzou, à Mayotte, et récupéré par Amal à Anjouan, au port de Mutsamudu. Ce type de service est une pratique courante, car relativement fiable : les personnes à qui l’on confie ces tâches ont des papiers en règle, ne risquent pas de se faire arrêter, et circulent grâce à des moyens de transport bien plus sûrs que ces petites barques que sont les kwassas. C’est dans l’un de ces bateaux que, la nuit suivante, Amal et Djaé embarquent, depuis le village de Sadapouani, à la pointe Sud d’Anjouan. Aujourd’hui, les souvenirs de cette première traversée s’entremêlent avec ceux des suivantes, celles qu’il fera à la suite de plusieurs arrestations par la police française. Peut-être que son regard d’enfant lui joue des tours : « C’était un grand kwassa ! Il y avait peut-être quarante personnes, des jeunes, des vieux. » A propos du tarif, Amal précise : « 400 euros, c’était pas cher. En tout cas, à l’époque, c’était pas cher. » Quelques heures plus tard, le kwassa débarque de nuit ses passagers sur la plage de Mlia, en territoire français, sur la côte nord-ouest de Mayotte. Amal contacte sa famille par téléphone. On vient les chercher en scooter, son ami et lui. Il peut enfin rejoindre sa famille. Durant les années suivantes, ses autres frères et sœurs feront le même voyage. « Au début, ils sont tous restés à Anjouan, mais après, mon père les a repris. Il les a fait venir un par un en kwassa. »
Le projet initial de retourner à Anjouan après avoir réussi à mettre de l’argent de côté tourne court : le coût de la traversée ainsi que les risques qu’elle fait encourir, la perspective de pouvoir inscrire les enfants à l’école, et plus simplement le regroupement de la famille, décident les parents d’Amal à s’établir définitivement à Mayotte. Commence alors pour cette famille un nouveau casse-tête : inscrire les enfants à l’école. « Mes parents ont fait tout leur possible pour m’inscrire à l’école. Et ici, ça n’est pas vraiment facile d’y inscrire son enfant quand tu es comorien. C’est pour ça qu’aujourd’hui, il y a beaucoup d’enfants qui ne sont pas à l’école, qui sont là, ils grandissent sans être à l’école, sans avoir de connaissances. »
Fataliste, Amal décrit comment les Comoriens sont perçus ici, à Mayotte : « Quand tu es Anjouannais, tu es mal vu. Voilà. C’est comme ça. S’il se trouve que tu es Anjouannais, tu es mal traité, parce que toutes les mauvaises choses qui se passent à Mayotte, c’est forcément toi qui les a faites. Tu es un voleur, tu es même un tueur, en fait, tu es un criminel. Voilà. En fait, on est traité comme ça, même si ça n’est pas vrai. Je connais même beaucoup d’Anjouannais qui se cachent en disant qu’ils sont mahorais, pour ne pas être mal traités. » Sa famille se confronte aux difficultés administratives mises en œuvre au sein des mairies pour faire barrage à l’inscription des enfants : « Les Mahorais, ils disent non. Il ne faut pas prendre ces enfants à l’école. Ne les prenez pas ! Si vous les prenez, après ils vont étudier, et ils prendront la place de nos enfants. Du coup, il y a beaucoup de gens, des Mahorais, dans les bureaux, à la mairie et tout ça, qui bloquent beaucoup d’enfants. Nous, on ne peut rien faire là-dessus. Car les Mahorais s’appuient aussi sur la loi française : moi je sais que l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. Mais quand tu amènes ton enfant pour l’inscrire, même s’il a dix ans, eux ils ne l’inscrivent pas, car ils savent que comme tu es sans-papier, tu ne peux pas porter plainte. »
©Vali
Ces pratiques, même si elles semblent avoir évolué ces 10 dernières années, concernent essentiellement l’accès à l’école de premier degré. Il n’existe pas de texte de loi qui établisse clairement les documents à fournir pour l’inscription d’un enfant à l’école primaire. De fait, n’étant pas tenu de respecter un référentiel commun, chaque mairie définit sa propre liste de pièces à présenter selon une logique qui lui est propre. Pour Amal comme pour d’autres, la difficulté première, c’est l’attestation de domiciliation : prouver que l’on a une adresse, que l’on habite quelque part. « Beaucoup d’entre nous n’avons pas de papiers. Donc on est obligé d’aller demander leur adresse, à eux, les Mahorais. Mais comme ils ne nous aiment pas trop… » Ces attestations, signées par les habitants de logements reconnus comme tels par la loi française, font l’objet de marchandages divers, allant du service rendu à l’achat pur et simple du précieux document pour des sommes pouvant aller jusqu’à une centaine d’euros. Dans le cas d’Amal, l’attestation leur a été fournie par la personne ayant logé le père de la famille lors de sa première installation à Mayotte. Ces barrages administratifs ont une incidence forte sur l’accès au droit, notamment lors d’une demande de titre de séjour ou de nationalité : en effet les certificats de scolarités sont des documents clés permettant de prouver la continuité de présence d’un individu sur le territoire français.
Amal réussit tant bien que mal à être inscrit à l’école. En classe de CE2. Du haut de ses dix ans, la situation n’est pas toujours aisée. Lui comme d’autres dans sa classe subissent des brimades de la part de ses camarades, du fait de son origine. Du fait de son âge, ou encore du fait de sa moins bonne maîtrise du français. Mais qu’importe. Amal a su résister. « La résistance, ça veut dire, par exemple… Il y a des gens, des élèves, qui ont été dans la même situation que moi. Qui ne comprenaient pas le français. Finalement, ils ont décidé de quitter l’école. Ils ont abandonnés car ils ne comprenaient rien et qu’ils souffraient. Mais moi, je me suis dit que les études c’est important. Je me suis dit que je devais bosser. Alors, j’ai bossé. J’ai bossé. »
Mais Amal, dans son parcours scolaire, est rapidement rattrapé par son parcours migratoire : l’année de son entrée en cinquième, le jour de la rentrée des classes, Amal est arrêté par la Police de l’Air et des Frontières.
« Je devais aller au collège pour le premier jour. C’est loin du village, alors je dormais dans un autre endroit, pas avec ma famille. Le matin, vers quatre heures, la PAF a encerclé le quartier. Et ils ont attendu. Ils ont attendu que le jour se lève, et ensuite, ils sont rentrés dans les maisons, et ils ont pris tout le monde. Moi j’étais tout seul ce jour-là. »
Après avoir passé une journée en Centre de Rétention Administrative, Amal, 14 ans, est renvoyé à Anjouan. Sans ses parents, et sans le moindre document d’identité. Bien sûr, en théorie, conformément à la loi française, cette situation n’aurait pas dû se produire. Un enfant mineur, au-delà du fait qu’il ne peut être séparé de ses parents, ne peut pas non plus tomber sous le coup d’une mesure d’éloignement. Mais dans le cas présent, la gestion du flux migratoire est un principe qui s’impose face à celui du respect de la loi.
Sitôt revenu à Anjouan, Amal fait de nouveau appel à un passeur pour rentrer à Mayotte. Il ne veut pas louper les cours trop longtemps. Même stratégie que la première fois : son père lui fait parvenir la somme de 600 euros, Amal embarque, traverse la mer, débarque sur une plage. On vient le chercher. Il rejoint sa famille. Il retourne à l’école. Cet itinéraire forcé, Amal le suivra encore deux autres fois. En 2007, alors qu’il n’est âgé que de 16 ans, puis en 2014. Cette fois-ci, il ne prendra pas de risques, il paiera la somme de 1000 euros à un passeur clandestin. La hausse du prix se justifie par le faible nombre de passagers. A peine une douzaine. De la sorte, c’est plus sûr. Moins de personnes à embarquer, c’est plus de chances de ne pas chavirer. La sécurité a un prix, dit-on. Son meilleur ami, Djaé, avec qui il était venu la première fois, a eu moins de chance. Lui aussi, après son arrestation en 2012, a voulu revenir en kwassa. Lui aussi est reparti de Sadapouani, mais il n’est jamais arrivé à Mayotte, « C’était vraiment mon meilleur ami, mais il est mort dans la mer. »
©Vali
Amal a continué sa scolarité, il est allé au lycée professionnel, et a fini par obtenir un CAP. Aujourd’hui, après de nombreuses péripéties administratives, Amal a obtenu un titre de séjour Vie privée et familiale. Ce nouveau statut lui a permis de réaliser de nouvelles choses. Se déplacer, ne plus se cacher, sortir du village sans craindre d’être arrêté, espérer trouver du travail. Quand il était en situation irrégulière, il faisait parfois de petits boulots, un peu de maçonnerie. Dans ce cadre, il était payé environ 150 euros à la fin de la construction. Mais il arrivait parfois que le propriétaire de la demeure nouvellement construite décide de ne pas le payer, car il savait qu’Amal et ses collègues ne disposaient d’aucuns moyens de recours. Inutile de se plaindre auprès des services compétents quand on est clandestin. C’est en tout cas ce que croit Amal. Maintenant que sa situation est régularisée, Amal ne trouve plus de travail. Il devient risqué pour un employeur potentiel d’embaucher au noir un individu pouvant légitimement déposer plainte en cas de litige. Et de toute façon, du point de vue des employeurs, les meilleurs candidats au travail au noir sont les clandestins, mieux disposés à accepter les salaires les plus bas. Paradoxalement, le titre de séjour d’Amal, ce sésame, fait maintenant obstacle à l’accès au travail.
Amal s’est alors mis en quête d’une formation. Ce qui l’intéresse, c’est l’apprentissage de l’anglais, la vente, les relations avec les clients. Depuis quelques mois, son nouveau statut lui a permis d’accéder à une formation professionnelle dans le domaine du tourisme. Amal perfectionne son anglais. Mais à la différence des autres étudiants, il n’est pas rémunéré. Quand j’aborde le sujet avec lui, même s’il a conscience que la situation n’est pas normale, il m’avoue n’avoir rien fait de particulier pour faire valoir ses droits. Tout se passe comme si Amal avait pleinement intégré que sa place s’accompagne d’une posture conciliante et soumise. Le peu qui lui est offert, c’est déjà beaucoup.
A la différence de ses camarades de promotion, Amal ne pourra pas terminer sa formation : celle-ci devait normalement se ponctuer par un stage de plusieurs mois à l’étranger dans une grande institution touristique. Certes, Amal pourrait partir, mais les délais de renouvellement de son titre de séjour ne lui permettrait pas de rentrer. Alors, Amal reste là, à Mayotte. Lui qui avait le projet de rentrer chez lui, un jour, après avoir eu la chance d’aller à l’école, est aujourd’hui cloué sur place. Mayotte la française représentait un tremplin ponctuel, la possibilité de se hisser vers une vie meilleure : venir, apprendre, grandir, repartir. Mais aujourd’hui, elle retient Amal plus qu’elle ne lui permet de se réaliser. D’un sas, Mayotte la française est devenue une nasse. « Eux ils bougent. Nous on reste. »
Depuis quelques semaines, sa plus jeune sœur et son plus jeune frère, nés à Mayotte, entament une démarchent de demande de nationalité. Les deux benjamins font l’objet d’un traitement particulier dans la famille. De la même façon qu’Amal représentait l’avenir dans lequel il fallait investir, pour son grand frère, quand ils vivaient à Anjouan. Ce sont sur les épaules des plus jeunes que reposent une part du futur de cette fratrie. Aussi l’ensemble de la famille participe-t-elle activement à leur fournir ce dont ils ont besoin pour réussir à l’école, afin qu’ils incarnent ce pourquoi tous quittèrent Anjouan, bientôt vingt ans auparavant.
Damien Riccio.
Auteur: Région Outre-Mer