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Alors que la flottille Boats4people fait route vers Monastir, empruntant le chemin inverse de celui des migrants pour dénoncer les morts en mer Méditerranée, nous avons voulu rencontrer ceux qui ont traversé au printemps dernier.
Alors que la flottille Boats4people fait route vers Monastir, empruntant le chemin inverse de celui des migrants pour dénoncer les morts en mer Méditerranée, nous avons voulu rencontrer ceux qui ont traversé au printemps dernier.
Mohamed sort en courant presque de la bouche de métro de Couronnes. Avec un grand sourire, il présente le collectif crée pour aider les jeunes hommes tunisiens arrivés au printemps dernier à Paris. Il est accompagné de Joël et Franck, eux aussi membres de ce groupe de soutien aux migrants Tunisiens de Lampedusa crée dans l’urgence du printemps 2011. C’était aux alentours du métro Couronne qu’ils les retrouvaient presque chaque soir de manière informelle pour tenter de les orienter, leur trouver un hébergement ou une solution pour les papiers, quand ils espéraient encore qu’il puisse y avoir une solution. Cependant, cela fait plusieurs mois maintenant que le collectif ne se réunit plus. Certains Tunisiens sont repartis, expulsés ou acceptant, vaincus, une aide au retour dérisoire. Les autres tentent de survivre.
Khaled a traversé au printemps 2011, il a rejoint un ami à Paris où il cherche du travail, en vain.
Mohamed nous entraîne jusqu’à un cyber-café fréquenté habituellement par des Tunisiens. Juste devant, trois jeunes hommes attendent adossés à une rambarde. Ils sourient dans le soleil, rasés de près, les cheveux gominés, lunettes noires et montres clinquantes. Mohamed s’approche et leur demande en arabe s’ils accepteraient de témoigner. Ils sont méfiants. Finalement l’un se lance. Il a 22 ans, vient de Gabès et est parti en mars 2011 depuis Zarzis. Il répond par des phrases courtes, un gros bateau, 450 personnes environ. La traversée s’est bien passée, sans problème. Au bout de 30h, il est arrivé à Lampedusa, puis il a été transféré à Bari et de là est venu à Paris. Il voudrait rester un an, travailler pour de vrai et puis rentrer. Belkacem s’approche alors et raconte à son tour, dans un bon français. Il a payé 1 000 € pour venir sur un bateau de pêche de 18 mètres au moins. Sans risque glisse-t-il nonchalamment, « c’était comme de prendre le ferry, on a eu à manger, rien à dire ». Lofti, qui apparaît d’un coup avec son tee shirt rouge, le coupe pour expliquer que, lui, a attendu 4 jours au large de Lampedusa, en panne. Un hélicoptère les a repéré alors qu’ils brûlaient leurs tee-shirts pour appeler à l’aide. Les gardes côtes italiens les ont alors ramené jusqu’ Lampedusa. Belkacem, qui venait pourtant de raconter tranquillement sa traversée en « ferry », l’interrompt à son tour, « Mais des histoires comme ça, y’en a 1000 ! y’en a 22 000 plutôt. Moi j’ai vu des cadavres qui flottaient, sans nez, sans bouche » s’écrie-t-il tandis qu’il porte une main à son visage comme pour mieux expliciter les mutilations. Une voix ajoute que de son quartier, il y a 4 disparus en mer. Une autre qu’il a dérivé pendant une semaine.
Lofti a traversé en mars 2011, secouru par les gardes côtes italiens, il a ensuite mis plus de trois mois pour atteindre Paris.
Devant le cyber-café, le groupe d’homme s’est singulièrement agrandi. Un homme interrompt tout le monde et interpelle violemment Mohamed en lui reprochant de faire venir des journalistes. La méfiance vis-à-vis des médias est vive. Puis, les histoires reprennent. Un jeune homme s’avance, poussé par les autres, « lui, il faut qu’il raconte », répètent-ils, « il était sur le bateau qui a été heurté volontairement par les gardes côtes tunisiens. Il y a eu 40 morts ». « C’était au tout début, juste après la révolution, les gardes côtes agissaient encore comme sous Ben Ali » m’explique Mohammed. Quand on leur demande s’ils ont eu peur, ils haussent les épaules d’un air viril. L’un dit qu’il est ancien pêcheur et qu’il a toujours souffert, la traversée ce n’était rien. Tous désiraient venir en Europe. Et aucun n’avait jamais imaginé venir autrement que par la mer. « Ce n’est pas la peine d’essayer d’avoir un visa » soupirent-ils.
Un jeune homme s’avance alors, traînant des pieds, les épaules basses. Il veut rentrer. Il le répète plusieurs fois d’une voix lasse en nous montrant sa maigreur. « Je pesais 90 kilos avant, j’en peux plus de vivre dans le parc là… ». Puis il s’éloigne. Deux amis bras dessus-dessous rigolent en brandissant leur permis de séjour italien qu’ils viennent de faire renouveler. Ils ont l’air confiants, on leur a dit qu’avec ce papier et un contrat de travail en France, ils auront un titre de séjour. Un autre raconte avoir payé 1 200 euros pour avoir ce même permis temporaire. Quand on leur explique que cela ne suffira pas pour être régularisés, ils insistent. Chacun parle de sa situation, tente d’entrevoir une solution, en vain. « La vérité, s’écrit l’un d’eux qui porte, en bandoulière, serrée contre lui, une lourde sacoche en tissu, c’est qu’on est obligé de voler maintenant. Regarde, dit il en ouvrant son sac où se trouvent quelques rasoirs jetables neufs et deux pantalons. Je dois voler pour me raser, pour manger…sans-papiers, on ne peut pas travailler. »
Les épreuves de la traversée en mer semblent lointaines maintenant. En les évoquant sèchement tout en exposant longuement leurs vies de misère à Paris, tous semblent nous dire que, sur un zodiac au milieu de la tempête, le péril est acceptable. Ils savaient, avant de s’embarquer. Et puis, il y avait encore un espoir auquel s’accrocher. Une vie meilleure à portée d’heures. Un dieu vers qui adresser ses prières. Surtout, ce sont des hommes valeureux, sans peur. Mais à Paris, condamnés à dormir dans un parc, sans possibilités de régularisation, ni de travail digne, quel type d’homme faut-il être pour réussir ? De quelle forme de courage faut il être doté pour survivre ?
Khaled a traversé au printemps 2011, il a rejoint un ami à Paris où il cherche du travail, en vain.
photos : Rafael Flichman, juin 2012
Auteur: Service communication
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