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Tribune : « Non au démantèlement à bas bruit de l’aide médicale de l’Etat »

14 mai 2024

Un collectif réunissant trente-six ONG et associations, dont La Cimade, s’inquiète dans une tribune au « Monde » des « ajustements de fonctionnement » que le gouvernement apportera dans les prochaines semaines à l’aide médicale de l’Etat. Un pilier de la santé publique risque d’être dangereusement affaibli.

Jusqu’ici, grâce à la mobilisation de la société civile et des soignants, l’aide médicale de l’Etat (AME) a échappé à sa transformation en aide médicale d’urgence (AMU), qui revenait de fait à la suppression du dispositif. Mais fin janvier, Gabriel Attal a annoncé lors de son discours de politique générale une réforme du dispositif avant l’été, par voie réglementaire.

Nous y sommes. Dans les semaines à venir, les arbitrages ministériels devraient être rendus et le décret publié. Derrière les éléments de langage feutrés du gouvernement concernant un simple « ajustement du fonctionnement de l’AME »[i], se cachent d’inquiétantes pistes de restrictions.

Nos organisations lancent l’alerte contre tout ce qui pourrait s’apparenter à un démantèlement à bas bruit du dispositif. Au vu des conséquences sur l’accès aux soins des plus vulnérables et la santé publique, nous appelons à l’abandon du projet.

De nouvelles personnes privées de toute couverture santé

L’AME permet l’accès à la prévention et aux soins pour les personnes étrangères en situation administrative irrégulière, une population particulièrement fragile sur le plan sanitaire et social. Les pistes de restrictions envisagées à ce stade par le gouvernement compromettraient considérablement l’accès et la portée de ce dispositif.

Le conditionnement de l’accès au dispositif aux ressources du conjoint, à rebours de la réforme de l’allocation adulte handicapé (AAH) entrée en vigueur en octobre 2023[ii], modifierait drastiquement le calcul des ressources. Aujourd’hui les conditions pour bénéficier de l’AME sont déjà restrictives : le dispositif n’est pas accessible aux personnes en situation irrégulière qui ont des ressources supérieures à 847€/mois, parmi lesquelles de nombreux travailleurs qui cotisent et se voient pourtant privés de couverture maladie. Le nouveau calcul des ressources entraînerait une sortie sèche de toute couverture santé d’une personne sans-papiers en couple avec un conjoint français ou étranger en situation régulière, dont le cumul des ressources mensuelles dépasserait le seuil de 1271€. Cela conduirait en outre à accroître les situations d’emprise et de dépendance conjugale subies par des femmes étrangères en situation irrégulière, ce qui pourrait les amener à être davantage exposées à des violences conjugales, intrafamiliales, sexistes et sexuelles.

De plus, la limitation des pièces justificatives d’identité aux seuls documents avec photo, et à l’exclusion des attestations associatives, serait également un obstacle administratif insurmontable pour de nombreuses personnes. Beaucoup ont dû quitter leur pays sans pièce d’identité, notamment les plus jeunes, ont perdu leurs papiers, se les sont fait voler, ou sont victimes de confiscation de leur document ou de chantage aux papiers. Priver ces personnes d’accès à l’AME dégraderait leur état de santé, et pèserait in fine sur des services d’urgences déjà surchargées et sur les dettes hospitalières[iii].

Des embûches supplémentaires dans le parcours d’obstacles administratif

Les difficultés que rencontrent les usagers de l’AME pour accéder à leurs droits et aux soins sont déjà largement documentées[iv]. Elles expliquent une grande partie du taux de 50% de non-recours au dispositif[v]. L’extension du dépôt physique des demandes de renouvellement au guichet des administrations, comme c’est le cas pour les premières demandes depuis 2019, complexifierait encore plus les démarches et renforcerait le non-recours, tout en alourdissant le travail du service public de l’Assurance maladie.

L’introduction de nouveaux actes et prestations soumis à entente préalable pour l’accès à certains soins[vi] conduirait à des retards voire à des renoncements aux soins des usagers. Elle augmenterait la charge de travail administratif des médecins comme des agents de l’Assurance maladie en complexifiant inutilement les démarches administratives.

Quant à la réinstauration d’une franchise ou d’un droit de timbre pour avoir accès à l’AME, elle risquerait d’augmenter le non-recours tout en contribuant à la hausse des dépenses publiques. L’expérimentation de cette mesure entre 2011 et 2012 a rapidement été abandonnée face à l’ampleur des conséquences négatives[vii].

L’AME, un pilier de notre santé publique à consolider

L’intérêt de l’AME n’est plus à démontrer. Toutes les données d’études scientifiques[viii] et les évaluations institutionnelles[ix] successives convergent vers les mêmes constats : le dispositif est nécessaire pour la protection de la santé individuelle et publique, son budget est maîtrisé[x], et il est indispensable au bon fonctionnement de notre système de soins. Le dernier rapport sur ce sujet a été publié en décembre 2023.  Réalisé par Claude Evin, ex-ministre de la Santé, et Patrick Stefanini, conseiller d’Etat, il confirme l’ensemble de ces résultats : il réfute aussi bien le fantasme de « la fraude »[xi] que celui de « l’appel d’air », des contre-vérités largement assénées par les détracteurs du dispositif.

Les usagers de l’AME que nos organisations rencontrent au quotidien sur le terrain sont les travailleuses et travailleurs essentiels qui construisent et entretiennent nos villes, cuisinent et livrent nos repas, prennent soin de nos aîné.es et de nos enfants. Maillons essentiels de notre société, leur santé est aussi la nôtre.

C’est pourquoi l’ensemble de nos organisations appellent le gouvernement à l’abandon de ce projet de réforme. La seule mesure acceptable est l’instauration d’une carte vitale pour les usagers de l’AME, unique solution consensuelle et réaliste pour favoriser l’accès aux soins des plus précaires, alléger le travail administratif des soignants et de l’Assurance maladie et renforcer notre santé publique.

Organisations signataires :

  • Dre Florence Rigal, Présidente de Médecins du Monde
  • Pascal Brice, Président de la Fédération des Acteurs de la Solidarité
  • Véronique Devise, Présidente du Secours Catholique – Caritas France
  • Arnaud Bontemps, Porte-parole du Collectif Nos Services Publics
  • Gérard Raymond, Président de France Assos Santé
  • Vanessa Benoit, Directrice générale du Samusocial de Paris
  • Diana Galindo, Coordinatrice médicale, Médecins Sans Frontières – Mission France
  • Fanélie Carrey-Conte, Secrétaire générale de La Cimade
  • Antoine Sueur, Président d’Emmaüs France
  • Jérôme Voiturier, Directeur général de l’Uniopss
  • Camille Spire, Présidente de AIDES
  • Patrick Baudouin, Président de la Ligue des droits de l’Homme

Collectif d’organisations signataires :

Le Collectif ALERTE

L’Observatoire du Droit à la Santé des Etranger·es (ODSE) : Act Up Paris, Association des familles victimes du saturnisme (AFVS), AIDES, Arcat, La Case de Santé, Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED), Centre Primo Lévi, Cimade, Comité pour la santé des exilés (Comede), CoMeGAS, Créteil-Solidarité, Dom’Asile, Droits d’urgence, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Ligue des droits de l’homme, Médecins du Monde, Médecins sans frontières, Migrations Santé Alsace, Mouvement français pour le planning familial, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuple (MRAP), Réseau Louis Guilloux, Sidaction, Sida Info Service, Solidarité Sida, Solipam, SOS Hépatites

Le Collectif des 10 choix politiques pour en finir avec le sida

 

i Interview de Frédéric Valletoux sur France Info le 8 avril 2024
ii La fin de la prise en compte des ressources du conjoint dans le calcul pour percevoir l’AAH a permis à de nombreuses personnes en situation de handicap de vivre avec des revenus propres, tout en ayant la possibilité de construire une relation affective
iii « Nous, professionnels de santé, appelons à nouveau à la défense de l’aide médicale de l’Etat », Tribune, Le Monde, 15 avril 2024
iv « Entraves dans l’accès à la santé : les conséquences de la réforme de 2019 sur l’accès à l’aide médicale de l’Etat », Rapport d’enquête interassociatif, Avril 2023 ; Institut des politiques publiques, « Les refus de soins opposés aux bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire et de l’aide médicale de l’État », Rapport, n° 43, Mai 2023
v IRDES, Enquête Premiers Pas, 2019
vi Il s’agit d’une demande de prise en charge remplie par le médecin qui doit être validée par l’Assurance maladie avant l’exécution de l’acte ou du traitement
vii L’instauration d’un droit de timbre de 30€ entre 2011 et 2012 a entrainé la baisse des effectifs des bénéficiaires de l’AME sur la période, ainsi qu’une hausse de 10% de la dépense moyenne par bénéficiaire due à la dégradation de leur santé, et un report sur le dispositif « soins urgents » dont les dépenses sont passées de 76 à 129 M€ entre 2010 et 2013. Réponse du gouvernement, Question écrite n°2283, 31 janvier 2023
viii IRDES, op. cit. ; ANDRE, AZZEDINE, « Acces to healthcare for undocumented migrants in France : a critical examination of State Medical Assistance », Public Health Reviews, 2016
ix Rapports de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances de 2010, 2019 et2023
x Il représente moins de 0,5% du budget de l’assurance maladie, une proportion stable depuis des années.
xi Ces résultats sont par ailleurs confirmés par le bilan 2023 de la lutte contre la fraude réalisée par la Caisse nationale d’Assurance maladie, et par les rapports annuels de la Cour des comptes sur la sécurité sociale

 

Tribune initialement publiée dans Le Monde le 11 mai 2024.

Auteur: Service communication

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