Réaffirmons notre rôle de vigie, défendons nos libertés
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Devant une petite chambre où se trouvent hébergées depuis six mois, une jeune femme de 25 ans, seule avec deux bébés nés en France le 12 mai 2012, je constate la présence de deux policiers. La chambre est devenue un lieu de rétention administrative.
Lettre au ministre de l’Intérieur
Monsieur le ministre
Wikipédia me dit que vous êtes né en Espagne en 1962 et naturalisé Français en 1982.
Faut-il en déduire que vous avez connu les affres de vous trouver dans la situation d’un demandeur d’asile et que votre insertion a été favorisée par l’humanité dont nos concitoyens ont fait preuve à votre égard ? Sans doute. Votre parcours semble le prouver.
Et d’ailleurs, j’entends que vous avez décidé qu’en matière d’immigration, il fallait faire preuve de fermeté et d’humanité. Cela change du discours de vos prédécesseurs qui ne connaissaient que la politique du chiffre.
J’observe que le nombre d’expulsions de sans-papiers n’aura été que de 36.822 en 2012.
À raison de 20.000€ par expulsé, cela porte le coût de ces expulsions à : 736.440.000€, auxquels il y a lieu d’ajouter tous ceux qui ne sont pas sans-papiers mais considérés par vos services comme « devant être renvoyés ». Et on arrive bien au milliard d’euro!
Et tout est fait ici pour rendre populaire cette politique : le marketing électoral est depuis longtemps policé. À la suite de Messieurs Guéant, Hortefeux et autre Besson, vous avez accepté que l’on pointe du doigt :
Le voile qui implique le rejet de l’islamiste, oubliant le malheureux musulman qui tente de se raccrocher à son identité au même titre que l’écolier Breton à qui, en d’autres temps, on interdisait de parler breton et de cracher dans la cour de l’école.
La viande hallal sans jamais évoquer la viande kascher parce que ce ne serait pas politiquement correct.
L’identité nationale comme si l’on ignorait que la France est constituée d’une myriade de cultures différentes ou bien, comme le disait le Général de Gaulle, un pays où il existe 258 sortes de fromages.
Aujourd’hui, c’est à votre sens de l’humanité que je fais appel. J’ai vécu, grâce à vous, une folle nuit du 8 au 9 avril. Elle a débuté à 19h45 sur un simple appel téléphonique : il va encore y avoir du grabuge, la police est montée au premier étage.
Devant une petite chambre où se trouvent hébergées depuis six mois, une jeune femme de 25 ans, seule avec deux bébés nés en France le 12 mai 2012, je constate la présence de deux policiers. La chambre est devenue un lieu de rétention administrative.
La loi interdit de placer des enfants en rétention mais qu’à cela ne tienne, le préfet a contourné l’obstacle : dans ses écrits il n’est fait référence qu’à la mère qui est renvoyée vers l’Allemagne sous couvert du règlement Dublin.
Lorsque, Kereine dans les bras, je demande à la fonctionnaire de police si je peux partir avec les enfants, elle refuse au motif que ses ordres concernent également les deux petites jumelles.
Je souligne que les enfants ne figurent pas sur les textes émis par le préfet mais les ordres sont les ordres. Aussi, nous allons passer les heures suivantes, mon collègue, Michel et moi à pouponner et tenter de calmer ces petites filles rendues totalement énervées par cette atmosphère inhabituelle à l’heure où elles sont ordinairement couchées, pendant que la maman fait les bagages.
Michel appelle la préfecture, faisant valoir cette anomalie. Il lui est répondu que l’on en réfère au secrétaire général et qu’on va le rappeler. A cette heure, il est évidemment trop tard pour intervenir auprès du tribunal.
S’agit-il de naïveté de ma part ? La maman s’est présentée le 10 janvier à la préfecture de région, les deux bébés dans les bras. Son attestation d’élection de domicile porte les prénoms des enfants. Elle a écrit au préfet de région pour demander à être reçue afin de plaider sa cause : elle ne parle que français, seule avec ses jumelles, elle éprouve déjà des difficultés pour les élever. Faut-il en plus lui imposer de séjourner dans un pays dont elle ne connaît pas la langue ?
Je suis moi-même intervenue en mars dernier pour obtenir un sursis, à défaut d’une autorisation à demander l’asile sur le territoire français, après le rendez-vous programmé le 17 avril chez le cardiologue.
Il semble évident que l’existence de ces enfants est connue des autorités avec ce que cela implique au plan matériel pour les habiller, les nourrir, leur assurer un minimum de bien-être dans cette petite chambre et sans versement de l’allocation temporaire d’attente (demande effectuée le 30 novembre 2012).
Le préfet de région doit systématiquement examiner la demande d’admission au séjour après avoir pris en compte la situation de la personne en raison de sa fragilité ou de sa culture. Ah oui ? Pour éviter cet écueil et entrer dans la politique du chiffre, on a préféré occulter l’existence des enfants.
Quant à l’humanité ? Celle du policier qui a 1h06 me dit : « vous les réveillez ou je le fais ? Il faut préparer les affaires.»
Moi : « tout est prêt. »
Lui : « il va falloir mettre les manteaux, que tout soit prêt à l’arrivée des collègues. »
Pauvres biches à qui on a laissé deux heures de sommeil après une nuit de corrida et dont l’une hurlait, pleurait, toussait, reniflait pour avoir été réveillée en sursaut! Humanité du même policier qui, toisant mon mètre soixante du haut de son mètre quatre vingt dix me dit : « vous avez voulu faire dans l’assistance ? Faites le jusqu’au bout : vous portez les bagages. »
Moi : « vous plaisantez ? Vous allez aider ? ». J’ai déjà Kethia dans les bras.
Lui : « je ne suis pas déménageur ».
Je n’ose imaginer ce qui se serait passé si la maman avait été seule, posant les enfants dans un coin et chargeant les bagages de trois personnes !
Michel était là, les dents serrés, qui portait les sacs, sous le regard de cette nuée de policiers (huit ? plus ?) spectateurs bras ballants de cette débâcle.
Merci à la fonctionnaire de police qui est venue m’aider à attacher Kethia dans son siège auto, en lui prodiguant des paroles apaisantes.
Merci à la fonctionnaire de la PAF qui m’a rassurée hier matin sur l’accueil réservé en Allemagne à cette maman accompagnée et a accepté de noter ce rendez-vous manqué chez le cardiologue.
Veuillez croire, Monsieur le ministre, en l’assurance de ma parfaite considération.
Maryvonne Le Naour, La Cimade Morbihan
Maryvonne Le Naour, de La Cimade Morbihan
Auteur: Service communication
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