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Un vendredi avec nous, au sein des ateliers socio-linguistiques de Saint-Louis de l’île de La Réunion

19 mars 2019

Vendredi 22 février 2019
ATELIER CONTE n°9

Animateurs : Xavier, Thierry
Apprenants : Zonke, Issouf, Soufiane, Combo, Fatima, Raziny
Rendez nous Denisse et Nadia !

Une séance d’atelier socio-culturel « débutants » plutôt mal embarquée

Trois nouveaux participants encore un peu timides d’un côté, Hourouoiti, notre bavarde/boute-en-train attitrée absente de l’autre, et voilà la dynamique du groupe renouvelée et totalement différente.

Aujourd’hui, nous avons “fait” dans la retenue et la découverte un peu frileuse !

Le démarrage a été laborieux. Une tension inhabituelle planait sur les activités.

Lors de l’échauffement, une gêne très perceptible chez les nouveaux accompagne les exercices de détente corporelle.

Nos petits nouveaux ont eu apparemment du mal à prendre la mesure de ces exercices un peu débridés et décalés, dont la réussite implique spontanéité et laisser-aller. Il faut posséder déjà une certaine maîtrise de l’oral, de l’abstraction, faire appel à son imagination, ou s’en remettre avec confiance au groupe, ce qui n’était pas si simple évidemment. Les mots ne voulaient pas sortir ; certains souffraient, le groupe s’est associé à leur malaise.

Empathie un peu « plombante » qui nous collait aux basques, et dont il fallait dissiper les effets.

Le jeu de la “circulation d’énergie”, qui mobilise beaucoup la concentration et peu le langage, a débloqué légèrement la situation et déclenché les premiers rires.

La “machine infernale”, toujours aussi irrésistiblement saugrenue, a fait le reste.

Animateurs et apprenants se répartissent en deux équipes. Chacune à tour de rôle doit inventer une machine. Un premier participant fait un geste (visser, caresser, scier, frapper, avaler, piocher, que sais-je ?), y associe un bruit bien distinctif et si possible identifiable, et répète ce mouvement jusqu’à la constitution complète de la machine. Un second participant vient lui prêter main forte en interférant avec lui, puis un troisième, jusqu’au dernier membre de l’équipe, ce qui se termine dans une cacophonie burlesque plutôt réjouissante.

La première fois qu’on a lancé cette activité, Hourouoiti était écroulée de rire et réclamait à grands cris qu’on nous filme…

Difficile en effet de ne pas se sentir vaguement (voire tout-à-fait) ridicule.

Plus difficile encore de ne ne pas finir par rire, et là, comme pour « je te tiens par la barbichette », oups, perdu !!! (C’est-à-dire gagné…!)

 

Et le Français là-dedans ? La dynamique d’appropriation des systèmes de communication ? Patience, patience !!!

Nous décidons de placer à ce moment notre activité-chant, habituellement située en fin de séance, en raison de son indiscutable pouvoir fédérateur.

Depuis la première séance, nous répétons une petite chanson, devenue notre chanson totémique, évoquant notre amour pour notre terre-mère, unifiant coeur, corps, terre, mer, veines, souffle, air, feu et esprit. Nous l’avons traduite, avec leur aide, dans la langue maternelle de chacun des membres du groupe, et nous l’accompagnons de mimes. Ce qui permet de faire intervenir tout le monde, en alternant Anglais, shimaoré, créole, Espagnol, tous reprenant à chaque fois en chœur …et en Français chanson et refrain.

Raziny se voit confier la traduction de la chanson en malgache pour la prochaine séance. Elle proteste pour la forme, mais je serais vraiment étonné que nous ne puissions pas rajouter un couplet en malgache vendredi prochain.

À la pause, les langues sont un peu déliées, des petits groupes se forment. L’atmosphère reste un peu cotonneuse, mais s’adoucit notoirement.

L’activité suivante, l’entretien d’embauche, consiste en un dialogue entre un représentant de l’ANPE (un animateur) et le(la) candidat(e), qui doit justifier de son aptitude à un poste dont l’intitulé loufoque a été constitué en piochant au hasard dans deux listes, une de métiers et une autre de noms communs… Planteur d’enfants, ophtalmologue d’oreilles, joueuse de pierres, jardinier d’histoires, tailleur de repas, cuisinier de meubles…, liste non exhaustive.

La tentation est grande pour eux de rester au premier degré et dans un cadre logique pour évoquer leur activité et lui conférer la légitimité à laquelle ils aspirent.

Bien sûr, c’est encore plus drôle ; très vite les premiers rires fusent. Les tensions restantes se dissipent peu à peu, sauf peut-être pour Raziny, notre très discrète et appliquée jeune malgache, qui ne sait plus trop quoi noter dans le cahier de cours qu’elle remplit avec grand soin, et qui doit encore se demander dans quel asile de fous elle a débarqué.

Il faudra penser à la rassurer la prochaine fois sur la cohérence et la pertinence de ce genre d’activités, et la persuader qu’elles peuvent même, si si !, présenter de l’intérêt pour elle !!!

(Il est vrai que lorsque nos apprenants/élèves comparent leurs disponibilités, ils parlent entre eux de « l’école » pour évoquer les séances-Cimade, ce que je trouve assez émouvant et rassurant, dans le fond. Ils viennent pour la plupart pour apprendre, donc travailler, et on ne peut s’étonner de percevoir chez eux un certain malaise devant ce qu’ils peuvent parfois assimiler à de déconcertantes pitreries.)

Et donc, les tensions se sont apaisées, certes, mais elles ont laissé des traces. Nous terminons tous « sur les rotules ».

Nous n’avons ni le temps ni le courage de nous adonner aux sirandanes, devinettes directement issues de la tradition orale créole, pratiquées aussi bien à Rodrigue qu’à Maurice ou à la Réunion, qui clôturent généralement nos ateliers.

Bizarrement, bien que cela demande imagination, perspicacité, capacité d’abstraction et bonne connaissance de la langue, tout le monde y participe, tant les curiosités sont aiguisées, les plus avancés palliant les manques des débutants.

Un recours à l’oralité précieux

Ce recours à l’oralité et aux jeux du « temps lontan » (ancien temps, en créole réunionnais) s’avère précieux pour débloquer en douceur la parole et niveler les différences.

Nous l’avons constaté aussi lors de la reprise d’une chanson fort ancienne transmise au chanteur réunionnais Firmin Viry par sa grand-mère, qui la chantait à Zanzibar. Nos apprenants se la sont appropriée sans la moindre difficulté, en ont recopié sans se poser de questions les paroles délicieusement désuètes et surannées, (mêlant le Français soutenu d’une époque révolue et le créole qui avait accompagné sa transmission en en modifiant parfois le sens pour cause d’incompréhension des paroles originelles), et ont chanté avec un plaisir évident cette jolie mélodie qui évoque avec des accents mélancoliques une époque et des mœurs révolues. Le pouvoir évocateur des mots et l’émotion qu’ils transmettent prend ici manifestement le pas sur le sens. La langue cesse d’être un obstacle.

A mon grand étonnement, ils n’ont manifesté aucune surprise quant aux pratiques évoquées dans la chanson, pourtant étranges et rapportées de façon si lacunaire et transformée qu’elles en deviennent quasiment surréalistes, ou pour le moins très poétiques.

Le recours a la chanson est extrêmement intéressant, car elle s’adresse directement à l’émotion et parvient à convoquer le monde intérieur de chacun, le préparant à l’ouverture et au partage. Ainsi de Fatima, arrivée pourtant le matin chargée du fardeau de ses soucis, qui s’en est libérée pour un temps, tant elle a été sensible à la mélodie, qu’elle a fredonnée pour elle-même tout au long de la séance et qui, ainsi, a pu participer à nos activités avec profit.

Au fil des séances s’est ainsi constitué un petit répertoire de rituels qui ne demande qu’à s’enrichir.

Nous avons également recours, bien entendu, à des activités plus orientées vers une pratique réfléchie de la langue, à base d’association de mots, de création d’histoires, mais presque toujours dans le cadre du jeu.

Nous répondons aux demandes ponctuelles par des aides individualisées plus  ciblées « apprentissage de la langue », mais nous laissons par choix ce type d’activités plutôt aux ateliers socio-linguistiques auxquels ils assistent d’autres jours de la semaine.

Au fil de la progression de chacun, nous espérons par ailleurs aboutir à de véritables scénettes que nous pourrions présenter aux participants des autres ateliers.

Nous n’avons pas encore eu le loisir d’aborder des activités plus traditionnellement culturelles, comme les amener voir un spectacle, ou visiter un musée.

Mais nous préférons, en ce début d’année, enchaîner sous la forme de « jeux d’expression » les exercices associant oralité, gestuelle et expression des émotions. Dix minutes de « Jacques a dit » sont une préparation extrêmement efficace à un apprentissage des différentes parties du corps.

La nécessité de coordonner gestes et paroles interdit de fait toute focalisation sur l’intellect, et d’éventuels jugements de valeur ou auto-dévaluations.

En outre, placer la séance sous l’égide de la découverte culturelle (incluant les traditions culturelles propres aux différentes communautés présentes) change vraiment la donne, parce que l’apprentissage n’est plus l’obsession première, mais devient un simple vecteur qu’on peut dédramatiser plus facilement.

En ce sens, cet atelier prépare et prolonge de façon très complémentaire les activités des ateliers socio-linguistiques traditionnels.

Thierry, bénévole

Auteur: Région Outre-Mer

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