Pour l’avenir de Mayotte, l’Etat promet toujours plus d’inégalités
Alors que la colère gronde à Mayotte et que les revendications se font plus pressantes que ...
Les tensions entre l’île de Mayotte et l’Union des Comores au sujet des migrations sont récurrentes. Suite à la longue crise diplomatique de 2018, un accord franco-comorien sur ces questions devrait voir le jour prochainement.
Mayotte, département français d’Outre-Mer au cœur de l’Océan Indien, est aussi une des quatre îles qui compose l’Archipel des Comores. Sous protectorat français, ces quatre îles ont choisi des destinées différentes lors d’un référendum sur l’indépendance en 1974. Mayotte décida de rester française, tandis qu’Anjouan, Grande-Comore et Mohéli, formèrent le nouvel État indépendant des Comores. La présence française à Mayotte reste contestée par les Comores, qui y revendique toujours sa souveraineté, mais aussi par plusieurs résolutions onusiennes (notamment de 1974 et 1977). Sur une des places de la capitale comorienne, Moroni, un grand panneau affiche sans équivoque « Mayotte est comorienne et le restera à jamais ».
Les autorités comoriennes manifestent régulièrement leur opposition à la politique répressive à l’égard des personnes migrantes menée par la France. En mars 2018, elles ont ainsi refusé de réadmettre leurs ressortissant·e·s suite à l’expulsions de plusieurs centaines de personnes en quelques jours. Le gouvernement français a alors décidé de suspendre la délivrance de visas et de titres de séjour aux personnes comoriennes.
Ce n’est que huit mois plus tard, en novembre 2018, qu’une déclaration conjointe franco-comorienne est venue mettre fin à ce bras de fer. Elle annonce un accord franco-comorien qui pourrait voir le jour prochainement.
Cet accord devrait mettre en œuvre les engagements communs de la déclaration visant à « faciliter des migrations légales et maitrisées, lutter contre les trafics d’êtres humains et traiter les causes profondes des migrations qui affectent les équilibres économiques et sociaux dans la région ». Il devrait donc contenir les fondamentaux des accords migratoires de la France avec d’autres pays : lutte contre les « passeurs » au nom de la « sauvegarde des vies en mer » contre facilitation de la migration régulière et aide au développement.
Faciliter les mobilités entre Mayotte et les Comores est un objectif qui semble aller de soi. L’histoire commune de ces îles donne en effet à la circulation dans l’archipel une importance fondamentale, que ce soit pour des raisons culturelles, familiales ou encore commerciales. Cette tradition de mobilité est en outre exacerbée aujourd’hui par le fossé économique qui existe entre le territoire français et les îles comoriennes. Mayotte a beau être le département le plus pauvre de France avec un PIB près de trois fois inférieur à celui de la métropole (10 300€ par habitant à Mayotte contre 34 300€ en métropole en 2017 — Eurostat), elle n’en demeure pas moins beaucoup plus riche que les autres îles de l’archipel avec un PIB par habitant dix fois supérieur (1 312$ aux Comores en 2017, Banque mondiale).
Ainsi, l’instauration d’un visa par la France pour les personnes comoriennes désirant se rendre à Mayotte en 1995 et un renforcement continuel des moyens de lutte contre « l’immigration clandestine », n’ont jamais empêché les personnes de tenter de traverser les 72km les séparant de Mayotte, à bord de kwassa-kwassa, barques utilisées traditionnellement pour la pêche.
Cependant, la levée du visa se heurte à une vive opposition d’une grande partie des élu·e·s et de la population mahoraise.
Révélateur de cette mobilité historique et de ce déséquilibre économique : les « kwassa sanitaires ». Dans l’Archipel, l’appellation « kwassa sanitaire » ou encore « éva kwassa » revient régulièrement tant dans les propos de la population que de ceux des personnes intervenantes dans le sauvetage en mer, les interceptions maritimes ou encore l’accueil des personnes comoriennes.
Un terme qui peut laisser perplexe … En effet, il fait immédiatement penser à la délivrance de visas sanitaires ou à des évacuations médicales convenues entre Mayotte et l’Union des Comores. Pourtant, ces « kwassa sanitaires » concernent des personnes arrivant « irrégulièrement » à Mayotte.
Face à un système de soin défaillant aux Comores, les personnes malades ou blessées préfèrent braver l’océan pour rejoindre Mayotte par kwassa que d’attendre un hypothétique visa ou de se rendre à l’hôpital, où ils n’ont aucun espoir d’être pris en charge.
Ainsi, en 2017 sur 90 « opérations sur kwassa » menées par la coordination des secours en mer de Mayotte (SECMAR), 92% impliquaient « de facto des personnes blessées ou malades dont la prise en charge est nécessaire par les pompiers ou le SAMU ». En termes de nombres de personnes, sur 1932 personnes secourues, 136 ont eu recours à l’aide médicale en mer.
Comme le confirme ces chiffres et certaines études menées il y a quelques années, cette migration « irrégulière » pour raisons médicales reste peu importante par rapport à l’ensemble des personnes arrivant à Mayotte par kwassa-kwassa (environ 10%) mais elle est emblématique des liens historiques et familiaux existant entre ces îles et du décalage de niveau de vie entre ces îles.
Le nombre de personnes mortes ou disparues en mer dans cette partie de l’Océan Indien est en baisse depuis 2015. De l’avis des associations et institutions à Mayotte et aux Comores, celle-ci serait essentiellement due à l’amélioration des conditions de passage (embarcations de meilleure qualité et moins surchargées).
En 2012, un rapport sénatorial avait évalué le nombre de personnes mortes ou disparues en mer de 7 000 à 10 000 personnes depuis l’instauration du visa en 1995. Selon les chiffres du SECMAR Mayotte, qui ne comptabilise toutefois que les personnes mortes ou disparues en mer pour les opérations sur lesquelles ils sont intervenus, elles étaient une centaine par an autour de 2012, 9 en 2017 et 19 en 2018.
Si les kwassa-kwassa moins surchargées ont permis une diminution des décès, elles ont aussi fait baisser les chiffres des interceptions en mer. En effet, selon le bilan 2018 de la Préfecture de Mayotte, celles-ci ont diminué de 48% entre 2017 et 2018, et ce, en partie en raison d’un « changement de tactique des passeurs plus rapides et moins chargés ».
À l’instar de ce qui se produit pour l’Union européenne, qui justifie les mesures de lutte contre les passeurs par une volonté de protection des personnes, il est probable que l’objectif des actions en faveur de « la sécurité maritime et de la sauvegarde des vies humaines en mer » évoquées dans la déclaration franco-comorienne soit en réalité motivée par une volonté de limiter les migrations « irrégulières ».
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Les Solidarités internationales et le groupe local de La Cimade à Mayotte ont mené une mission conjointe à Mayotte et aux Comores en mars dernier sur la question des personnes mortes ou disparues en mer. Un projet commun sur cette thématique a démarré début 2019 et vise notamment à établir un état des lieux des procédures et des pratiques sur les questions d’identification des corps des personnes décédées et de la collecte d’information sur les personnes migrantes disparues, afin de permettre un meilleur accès à l’information des familles à la recherche de leur proche.
En s’attachant à éclairer le destin des corps des personnes mortes en migration, le travail de la Cimade contribue à renforcer les droits des personnes concernées par la migration : ceux des personnes migrantes et ceux de leurs proches, dans les pays d’accueil comme dans les pays de départ.
Auteur: Région Outre-Mer